Sous la peau : Robin Harsch se fond dans l’intimité du genre

Dans le cadre du FIFDH, EPIC est parti à la rencontre de Robin Harsch, un jeune réalisateur genevois qui signe son dernier documentaire Sous la peau, une étude intime et profonde des vies de trois jeunes transgenres.

La condition de la transidentité

Dans son documentaire Sous la peau, Robin Harsch aborde de manière frontale et profondément intime le sujet encore assez peu évoqué de la transidentité. Cette dernière ne se manifeste pas obligatoirement par un besoin de changer de sexe ; ce qui est en jeu, c’est l’identité de genre, à savoir la façon dont la société perçoit quelqu’un comme masculin ou féminin. Une personne transgenre a été, comme tout le monde, assignée à un des deux genres dès sa naissance, mais se vit comme appartenant à l’autre. La transition leur permet de devenir à part entière un homme quand on est femme, ou une femme quand on est homme, ce qui implique un bouleversement profond et global de son être. Tandis que j’emploie assez naïvement durant notre interview des mots comme ‘désir’ ou ‘envie’ pour décrire ces jeunes, Robin Harsch me reprend très vite en précisant que « ce qu’il faut comprendre et ce que j’ai compris en faisant le film, c’est que ce n’est pas un désir, c’est un besoin. Ils sont nés comme ça, ce n’est pas une lubie, dès 4-5 ans ils ressentaient ça sans mettre de mot dessus. Ce n’est vraiment pas un choix. Ils détestent quand on dit « changement de sexe », parce que ça ne touche pas à l’essentiel, l’essentiel c’est le genre, c’est être un homme ou femme, ce qui est bien plus profond. »

La détermination de Robin Harsch

Le cinéaste genevois a suivi trois jeunes durant les mois décisifs de leur transition. C’est au Refuge Genève, un espace d’accueil pour des jeunes LGBTIQ+ dans le besoin, qu’il les a d’abord rencontrés. Ils y reçoivent un soutien affectif, une présence, une écoute, par des personnes qui connaissent, l’ayant elles-mêmes vécues, le chemin tumultueux de la transition de genre.

Un des principaux accomplissements de Robin Harsch est d’être parvenu à gagner la confiance des trois jeunes qu’il a suivi. Mais le chemin n’a pas été facile. « Pendant deux ans, personne ne voulait me rencontrer. La coordinatrice du Refuge, Alexia (que l’on voit dans le film) me disait ‘je suis désolée, ils ne veulent pas te rencontrer et en parler, et ils ne veulent surtout pas être filmés, même en flou…’. Et finalement, Alexia m’appelle et me dit qu’il y a quelqu’un qui veut me parler de sa cause ». Grâce à cette jeune fille, Effie (que l’on voit dans le film), Robin va pouvoir assister, d’abord sans caméra, aux groupes de parole des jeunes transgenres du Refuge, et, très graduellement, il va gagner leur confiance. Soän, Effie et Logan vont finir par s’ouvrir entièrement à sa caméra, et livrer leurs histoires, leurs pensées, leurs espoirs, leurs douleurs et leurs craintes. Robin Harsch illustre ici le rôle d’un réalisateur de documentaire : se rendre capable par la confiance d’apprivoiser le réel, et d’y pénétrer dans ses parts les plus intimes et cachées.

Une image authentique

Le documentaire de Robin Harsch brûle d’un réalisme purgatoire. Au lieu de voir comme les stéréotypes les laissent imaginer, des hommes travestis, maquillés, revêtant des vêtements de couleurs fantasques à la manière de Michel Serrault dans La Cage aux folles, des danseuses de cabarets ou encore des prostitués brésiliens aux traits masculins efféminés, Robin nous montre de jeunes adolescents habitant la région aux vies apparemment banales, si ce n’est pour l’émergence en eux très tôt de l’impérieux besoin de changer d’identité. Le réalisateur prouve que l’on ne peut plus reléguer la réalité des personnes transgenres aux franges lointaines et chimériques de la marginalité. Robin avoue en outre qu’avant de se lancer dans ce projet de documentaire, pour lui aussi le sujet était obscur, voire même fantasque : « en fait, je ne connaissais pas du tout la question. Pour moi, un transgenre c’était quelqu’un d’un peu foufou qui s’isolait dans des milieux assez marginaux. Mais en faisant ce film, je me suis rendu compte que ça pouvait être n’importe qui ». Lors du visionnage, on est ainsi déchiré entre un profond sentiment de familiarité, car ces jeunes appartiennent à un monde visible et conventionnel, et un sentiment de mystère, face à cette condition encore méconnue du plus grand nombre.

Les enjeux d’une transition identitaire

Sous la peau nous fait comprendre que la grande difficulté à laquelle fait nécessairement face un jeune garçon ou une jeune fille qui désire changer de genre, c’est le regard aliénant que projette sur eux la société. Dans leur entourage, à l’école, et surtout, au sein de leur propre famille, ce basculement identitaire provoque très souvent une incompréhension, une douloureuse perception d’étrangeté, et par conséquent, un sentiment d’isolement et d’abandon. « Ce qui me choquait, c’était la possibilité pour un parent de rejeter son enfant », raconte le réalisateur. Le deuil est une notion qui revient lors des interviews des mères. L’une d’entre elles avoue que lors des premiers moments de la transition de son enfant, elle avait l’impression d’avoir perdu sa fille et d’avoir à faire à un inconnu. L’amour inconditionnel qui jusque-là unissait le parent à l’enfant révèle alors ses parts de conditionnements, et il faudra que la mère se détache de profondes exigences pour renouer avec son amour et voir à nouveau son fils devenu fille, ou sa fille devenue fils, comme son propre enfant.

Un appel au progrès

Sous la peau de Robin Harsch est un documentaire puissant, pédagogique, qui montre à quel point nous devons tous réfléchir à cette question. Car, on le comprend au fur et à mesure que l’on voit se dérouler les vies des trois jeunes, le secret d’une transition harmonieuse dépend majoritairement de la réception de l’environnement social. Et cette réception nécessite de faire preuve d’une plus grande flexibilité identitaire, d’une ouverture plus inconditionnelle à la particularité d’autrui. Le travail de Robin Harsch s’inscrit dans la mouvance contemporaine salutaire de la reconnaissance et de l’intégration de l’infini variété des sensibilités humaines, et de la création d’une société plus tolérante. Son film est présenté au FIFDH (Festival International des Droits Humains), le 9 mars dans la salle du Bio72 à Carouge. Il commencera ensuite sa période de distribution en salles publiques à partir du 11 mars, encore une fois au Bio72 pour Genève, au Zinéma à Lausanne, puis à Neuchâtel, la Chaux-de-Fonds et Oron dès le 18 mars.

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