Jules Guarneri, se considérant jusqu’alors comme chef opérateur ou monteur dans le milieu du ski, retrace ce qui l’a amené à adopter un rôle de réalisateur de films. Il évoque aussi les « mentors » qui l’ont amené à évoluer et, dernièrement, à assumer une position d’auteur. Débutant du côté technique de l’image, il convoite l’idée de faire un film plus tard. Cela l’a toujours habité, sans trop savoir quand ni comment. « Au début, je n’avais pas une vision claire sur mon travail », se rappelle-t-il.
Mentors
De Nicolas Vuignier, grand bricoleur construisant des sortes de drones avant leur apparition, aux snowboarders Arnaud Cottet et Benoît Goncerut, auteurs du projet « We Ride In Iran », en passant par Laurent De Martin, Jules a évolué en nouant des relation avec ce que l’on peut appeler des « mentors » : « Je dirais que j’en ai eu comme cela quatre personnes qui m’ont amené d’un point A à un point B dans mon parcours. C’est un peu ma spécialité, j’ai eu cela toute ma vie, dès les films de ski j’ai bossé pour des gens envers qui j’avais énormément d’admiration. »
Vient ensuite la rencontre décisive avec Fisnik Maxville, le premier réalisateur et le premier qui n’avait rien à voir avec le monde du ski. « J’ai rencontré ce gars qui venait de terminer l’écal, hyperactif du travail. J’ai commencé à faire du montage puis à filmer sur ses projets. Il n’avait pas non plus une expérience énorme, on était assez sur un pied d’égalité, mais il avait fait une école donc il réfléchissait beaucoup plus narrativement à ce qu’il fallait faire. Il conceptualisait les projets, et moi j’avais un bagage plus technique — on se complétait assez bien. »
Plus tard, alors que Jules commence à réfléchir à son premier film, il rencontre Arnaud Robert qui lui dit un jour « arrête de parler de ton film de famille comme quelque chose que tu vas faire un jour, prends ta caméra et commence à filmer, tu décideras ensuite si tu veux en faire un film ». Arnaud Robert prend ainsi le rôle de co-scénariste et d’aide à la production sur son premier projet de film. « Je lui ai montré un premier montage, il m’a dit “C’est une catastrophe, tout ce que tu as filmé. Mais il y a clairement un film à faire, c’est sûr”. Il a commencé à voir tout ce que je ne voyais pas et m’a apporté un point de vue extérieur et analytique. Et l’on faisait aussi de la marche à pied ensemble, où l’on discutait beaucoup. C’est clair que j’avais besoin de lui pour continuer, sinon je me sentais trop incompétent et démuni. J’écrivais jamais, je détestais écrire ; et il m’a simplement suggéré d’écrire tous les jours, l’important c’était d’avoir des idées. Il m’a beaucoup libéré dans l’écriture. »
Position d’auteur
Une fois plus à l’aise dans l’écriture, Jules détaille un peu mieux sa vision : « avant, je n’avais pas du tout une idée claire, c’est d’ailleurs pour cela que je ne voulais pas écrire, que je voulais filmer et faire du montage, parce que pour moi c’était beaucoup plus intuitif et que c’était en quelque sorte ma manière d’écrire. »
Par ailleurs, lors de la réalisation du Film de mon père, l’idée d’une voix off n’était pas une option au départ : « je voyais cela comme le portrait d’une famille dont je ne faisais pas partie ». Par pudeur, mais aussi puisqu’il aborde initialement son film sous l’angle d’un chef opérateur et d’un monteur, plutôt que comme un auteur. « Je faisais ça pour un réalisateur imaginaire, dont je ne savais pas ce qu’il voulait. Il a fallu deux ans pour que je réussisse à écrire une voix off. Et le fait de devoir le faire m’a forcé à devenir auteur, donc à porter un regard clair sur mon propos. Ce qui fait la différence, c’est quel est ton regard, et comment tu le transmets au spectateur. Il y a une absurdité dans mon cas, de choisir de faire un film sur ma famille sans oser affirmer mon regard. »
Aficionado du bricolage
Si Jules débute du côté technique, il estime qu’il importe plus d’avoir une histoire qui tienne qu’une image lisse. Le film de famille, c’est aussi un film dont on sent un peu le bricolage. « Autant j’adore les films de fiction magnifiques, autant j’ai été marqué par des films où tu te dis à la fin que tu aurais pu le faire aussi, comme avec C’est arrivé près de chez vous, ou Festen. Et j’adore encore aujourd’hui sentir le bricolage dans un film. Pour moi, une bonne image est une image qui transmets l’émotion adaptée à ce qu’elle raconte. » Mais la forme raconte aussi plein de choses — « le dispositif et la forme choisie est la conséquence de là où tu te trouves et comment tu es. Mais il ne faut pas se prendre la tête trop en amont sur la forme, au risque de t’enfermer et de te bloquer, la forme va se trouver au fur et à mesure. »
Des projets plein la tête, il les aborde avec désinvolture, et conclut : « Tu risques totalement de te planter, bien sûr. Et il y a toujours l’envie de reconnaissance, mais si c’est uniquement cela la motivation, tu t’exposes à tant de frustration que tu as meilleur temps que le processus soit réellement amusant. »