Cyril & Louise, fragments d’une déchirure amoureuse

Poétique, mélancolique, onirique : le cinéma d’Alexandre Schild s’affirme comme l’un des plus prometteurs du paysage cinématographique romand. Le Genevois revient en cette fin d’année avec Cyril & Louise, court-métrage qui sera bientôt projeté en première mondiale aux Internationale Kurzfilmtage Winterthur. Discussion autour d’une œuvre d’une grande rudesse et d’une intensité peu commune.

Salut Alexandre ! Depuis notre dernier entretien il y a deux ans, quels projets as-tu menés à bien ?

J’ai eu la chance de voir mon précédent court-métrage, Lettres en ton nom, être diffusé sur la RTS et programmé en festival à Barcelone et à Revine Lago en Italie. Le film a également reçu un prix au festival du court-métrage de Zurich et l’ensemble du casting a été récompensé à Lucerne. En parallèle, j’ai réalisé plusieurs clips : Dr. Jekyll et Mr. I avec Cyril Metzger et Yann Philipona, Comme rêve et Créature pour le duo Baron.e, et plus récemment La Question pour Aslo et Loups (sorti le 25 octobre) pour Chien Bleu. Par ailleurs, mon dernier court-métrage, Cyril & Louise, sera projeté en première mondiale les 11, 12 et 13 novembre à Winterthour.

Suite à ces diverses expériences, as-tu vu un changement dans ta pratique du cinéma ?

Je crois que, si changements il y a eu, ils se sont révélés dans ma manière d’aborder l’écriture et le montage. Ainsi, le processus d’écriture de mon prochain film Le Dernier Soleil a commencé début 2021 et vient seulement de prendre fin. Ce développement très long et très réfléchi en dit beaucoup sur la façon dont j’envisage désormais la rédaction d’un scénario ; surtout, il s’agit de ma première expérience de co-écriture, puisque je suis accompagné par Loïc Hobi, ce qui modifie beaucoup de choses. Je dirais qu’il a su m’introduire à une démarche très rigoureuse qui me permet d’atteindre quelque chose de plus poussé et de plus abouti. J’ai également développé mes capacités techniques en termes de montage, puisque je m’y attèle désormais pour mes clips, chose que je ne faisais pas auparavant. Toucher à cette dimension de la création d’un film m’amène maintenant à envisager des choix de succession d’images plus radicaux et plus expérimentaux. Globalement, je crois que cela me pousse aussi à mieux anticiper le découpage de mes séquences.

« Cyril & Louise » sera projeté dans le cadre des prochaines Internationale Kurzfilmtage de Winterthour, un véritable honneur pour son jeune réalisateur.

Quelle est la genèse de Cyril & Louise, ton dernier film ?

Ce court-métrage a une dimension personnelle : j’ai écrit une première version du scénario plus d’un an avant une rupture amoureuse. Si le tout est fictionnalisé, le développement de Cyril & Louise a été coloré par cette histoire intime ; ainsi, bien que la structure globale du film soit toujours restée la même, j’ai jugé nécessaire de réécrire plusieurs séquences après cette séparation. De manière générale, mon cinéma est toujours assez personnel, car je fonctionne beaucoup au ressenti et je me nourris de mes expériences humaines. Surtout, faire des films me permet de poser un regard différent sur ma vie, ce qui m’amène souvent à mieux comprendre les événements qui y surviennent.

Pourrais-tu te prêter au difficile exercice de pitcher Cyril & Louise ?

J’utiliserais une phrase assez radicale : nous assistons au dernier soir, au dernier bisou, aux derniers instants du premier amour d’un couple d’adolescents.

Dans ce film, la façon dont tu restitues le langage de la jeunesse sonne très vrai. De façon générale, tu as une manière assez naturaliste de mettre en scène les rapports humains, et surtout les expériences des vingtenaires. Comment procèdes-tu pour construire tes personnages ?

Dans Cyril & Louise il y a un décalage entre un langage contemporain et une action qui se déroule dans un espace temporel imprécis ; ce qui m’importait, c’était de créer une atmosphère assez onirique qui flirte toujours avec le réel. J’ai aimé travailler sur cette ambiguïté-là, car c’est l’ambiance qui me permet de parler des sentiments humains de la façon la plus pure possible. Je dirais que je suis globalement très marqué par mes expériences nocturnes et la force de mes relations amicales, ce qui me permet ensuite de composer les traits de mes personnages. Mes films sont irrigués par les rencontres que je vis au quotidien et les observations faites au contact de mes proches, issus d’une génération qui fait preuve à mon avis d’un grand romantisme et qui est particulièrement avide de liberté. Je pars d’ailleurs du principe que plus tu fais quelque chose de personnel, plus il y a de chances que le résultat final soit universel. Je pense que beaucoup de gens peuvent se retrouver dans Cyril & Louise, car il s’agit d’une histoire simple pour laquelle je n’ai rien inventé ; mon sujet, c’était la rupture.

Ton cinéma est toujours assez violent, au moins émotionnellement. Pourquoi cet intérêt pour les fêlures humaines ?

Je pense qu’il y a une forme de simplicité naturelle à exprimer sa douleur. Par contraste, il est parfois plus difficile de partager ce qui nous réjouit. Enfin, cela sonne rapidement moins vrai. Si je fais du cinéma, c’est pour sortir quelque chose de moi, et il s’avère que je trouve plus compliqué de mettre en lumière ce qui me fait du bien. Néanmoins, je suis toujours habité par un fort désir d’espoir, bien que je sois une personne assez mélancolique.

Dans ce film, tu mets à nouveau en scène Cyril Metzger, l’un de tes acteurs fétiches. Qu’est-ce qui te touche particulièrement chez ce comédien ?

Je sens qu’il recèle une forme d’ambiguïté : il porte une grosse carapace de jeune homme viril et sûr de lui, qui contraste avec son regard doux voire fragile. Je voulais l’emmener pour Cyril & Louise vers un endroit où il n’était jamais allé, dans quelque chose de plus émotionnel, de moins contrôlé. Je trouve qu’il a une beauté intemporelle, qui colle à toutes les époques ; en cela, il dégage quelque chose d’unique et de très pur. Il incarne ainsi parfaitement l’ambivalence entre réalité et onirisme que j’essaye d’instiller dans mes films. Il existe par ailleurs une forte amitié entre nous ; j’ai constamment besoin de ce rapport-là au comédien, puisque cela me permet notamment de travailler les dialogues avec lui en amont.

Comment as-tu formé ce couple avec Mélodie Adda, qui irradie l’écran ?

J’ai repéré Mélodie dans un clip, et j’ai tout de suite trouvé qu’elle avait un visage plus écorché et plus violent que celui de Cyril. J’avais besoin de cela, car je trouve qu’il y a un rapport intéressant d’opposition mais aussi de complémentarité entre ces deux corps. Je l’ai d’abord rencontrée à Paris pour discuter de sa participation à mon court-métrage. Puis une grande alchimie s’est créée entre nous entre les prises. Au final, si le film peut sonner aussi vrai, je pense que c’est fortement lié à l’atmosphère intimiste voire familiale créée sur le tournage.

Alexandre Schild propose un cinéma à hauteur d’humain, qui sonde les tréfonds des relations amicales et amoureuses.

Que représente pour toi la projection de ton film aux Internationale Kurzfilmtage de Winterthour ?

Ce festival est l’événement majeur dédié aux courts-métrages en Suisse. C’est donc une fierté de pouvoir y figurer en compétition, d’autant que je n’y avais encore jamais présenté de film. Les conditions de projection de Cyril & Louise seront également optimales : il s’agit d’une première mondiale et plusieurs séances vont être organisées. Je considère cette opportunité comme une nouvelle étape très positive.

Quels sont tes projets à venir ?

Le tournage de mon prochain court-métrage, Le Dernier Soleil, devrait avoir lieu en début d’année prochaine. C’est un film qui durera entre quinze à vingt minutes et qui abordera l’évolution à travers le temps des sentiments masculins entre deux amis d’enfance, suite à une promesse d’amitié fraternelle absolue formulée à l’âge de dix ans. L’action prendra par ailleurs place dans un contexte apocalyptique.

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