Reprise des OPUS après la pause estivale. Pour cette édition du mois d’août, présentation de SMØR&BRØD, l’un des fondateurs du collectif genevois Bassment!, qui présente son projet musique électronique, entre DJ set et live. L’occasion de revenir sur son parcours et sur les liens étroits qu’il établit entre ses différentes pratiques et influences.
Entre reggae, électronique et production
Si les habitués des soirées sound system genevoises le connaissent comme DJ spécialisé dans le reggae sous le nom de Till, c’est avec le projet SMØR&BRØD que l’un des fondateurs du collectif Bassment! participe à ce 41e OPUS. Un tournant vers l’électronique qui n’est pas le premier virage dans le parcours musical de SMØR&BRØD puisqu’il vient à l’origine du violon : « J’ai toujours été entouré par la musique, mes parents en faisaient et donnaient des cours. J’ai fait 14 ans de violon, pendant ces années, j’ai eu une prof qui faisait de la musique contemporaine et on a commencé à faire du violon préparé, je suis arrivé comme ça dans la musique électronique. En parallèle, j’en écoutais déjà beaucoup, surtout en raison de mon implication dans Bassment!. J’ai commencé par mixer pas mal de genres différents et je me suis assez vite rendu compte que pour un être un peu pertinent dans un style c’était important de se spécialiser un minimum et donc, avec le temps, j’ai lâché ce qui était plus électronique pour faire seulement du reggae. » Après plusieurs années à mixer des styles très spécialisés dans le reggae, c’est le passage par la production qui a créé l’impulsion donnant naissance au projet SMØR&BRØD : « Le changement de projet, le fait que je me mette à mixer de la musique électronique, c’est clairement lié au fait que même si ce n’était pas la musique que j’écoutais au début, c’est la musique que je trouve la plus intéressante à produire, donc c’est vraiment via la prod’ que j’ai commencé à m’intéresser d’avantage à la musique électronique et à en mixer ».
Car SMØR&BRØD n’est pas qu’un projet de DJ set, mais comporte un versant de production : « La prod’ c’est arrivé dans le cadre de mon service civil, pour lequel j’ai animé des cours de percussions avec des enfants. Ils devaient choisir chacun un rythme qu’ils voulaient jouer, le but était de faire un spectacle en combinant ces rythmes. Le fait de jouer avec des enfants qui se transforment en sampler et de devoir les mettre ensemble, les stacker, les guider pour pouvoir en faire quelque chose, ça m’a donné envie de continuer dans la prod’. Donc quand j’ai arrêté mon service civil, j’ai commencé à faire pareil avec des synthés ». Une vision de la production qui tourne beaucoup autour de la possibilité de se produire en live, avec des synthés et des machines : « Je fais des lives sans ordinateur, c’est central dans la vision que j’ai de produire de la musique ».
Styles, l’impossible définition
Si le parcours est clair, il est en revanche beaucoup plus difficile pour SMØR&BRØD de se définir en termes de genre musical, flou qu’il revendique cependant : « Pour moi, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que c’est un sujet qui ne m’intéresse pas tellement, je ne fais pas du tout l’effort de regarder sous quels styles les artistes se classent et je pense que globalement il y en a beaucoup qui sont aussi embêté·x·s que moi quand on leur pose la question. Je crois que même sur les prods qui sortent, les gens sont assez souvent incapables de se donner des styles ». En insistant un peu, il est cependant possible de dresser une esquisse du projet SMØR&BRØD. Pour ce qui est du côté DJ set : « On peut parler de techno, de techno industrielle pour certains morceaux, d’autres plutôt issus du milieu rave, pas mal d’influences différentes au final. Dans tous les cas, que ce soit dans la musique que je produis ou la musique que je mixe, il y a souvent une approche liée au dub et à une façon spécifique d’utiliser les effets qui sont influencés par les artistes importants de la scène reggae, notamment les artistes de la scène UK ». S’il y a des similitudes dans l’approche, le côté production de SMØR&BRØD se démarque toutefois du versant DJ par des bpm plus rapides et une tendance « dub techno plus clubby […] avec des influences d’acid et de house ».
Des liens entre son passif reggae et son orientation musique électronique que l’on retrouve dans le podcast préparé pour EPIC : « Je l’ai pensé comme une sorte de voyage avec des moments différents. Au final, au niveau méthode, je m’inspire pas mal de ce que je fais quand je mixe du reggae : j’ai des pochettes avec des vinyls de styles spécifiques à des périodes. Ensuite, en fonction de la soirée, je fais des allers-retours entre les pochettes en fonction de comment les gens réagissent pour proposer un set qui est le moins linéaire possible. Là c’est aussi une approche que j’ai eu dans ce podcast, il est divisé en deux parties : une partie plus autoroute au début avec des morceaux qui sont stackés les uns sur les autres dans le but de créer un nouveau morceau, et la deuxième partie du set, qui va un peu plus vite, on est moins sur des empilements de morceaux mais plus sur une façon de mixer au break, et où chaque morceau garde une identité propre ».
Scène électronique : critiques et inspirations
Des influences bien différentes donc, mais étroitement liées dans sa pratique. Bien qu’orienté musique électronique, la force de SMØR&BRØD tient probablement dans sa diversité et sa capacité à adapter ses sets aux événements : « Je fais attention à l’ambiance de l’event, je peux très bien faire un set rapide où ça va taper assez dark, à 160 bpm, et une autre fois être aux alentours des 110. Les bpm, pour moi, ça a une plus grosse importance que les noms de style finalement. Après je conçois que ce que je fais soit difficile à suivre, la preuve c’est que même moi je ne sais pas vraiment le définir mais ça me convient, je trouve ça chouette de surprendre un petit peu. L’avantage c’est que ça m’évite de me lasser en faisant la même chose, de garder aussi un peu une surprise pour le public qui vient me voir. L’inconvénient c’est que je pense perdre les spécialistes, qui viennent voir des styles très précis ».
Mais côté musique électronique s’insérer à tout prix dans une niche n’intéresse pas plus que ça SMØR&BRØD qui, se considérant nouveau sur cette scène, préfère fonctionner au coup de cœur plutôt que de déterrer le titre que personne ne connaîtra : « La scène musique électronique, ce n’est pas une scène que je connais de manière très pointue pour le moment. Mais j’ai parfois été déçu en soirée de rencontrer des gens du milieu avec qui j’ai trouvé qu’il était difficile de parler, ça c’est un truc qui me saoule un peu, souvent parce que ce sont des gens avec qui il faut discuter de label ou d’artistes très spécifiques uniquement, ce qui ne m’intéresse pas tellement comme approche. Par contre, ce que je trouve impressionnant sur cette scène, c’est qu’il y a une quantité assez incroyable de personnes qui mixent. C’est stimulant, il y a des gens tout le temps qui sortent des nouvelles choses, il y a cette possibilité après toutes ces années dans le milieu de la musique nocturne de pouvoir encore débarquer et de rencontrer systématiquement des nouvelles personnes, dans le milieu DJ en tout cas, parce que côté live je trouve qu’on en manque encore à Genève. Même s’il y a beaucoup de gens qui sont très pointu·e·x·s dans la production musicale, il y en a peu qui ose se lancer dans le live. Je trouve ça dommage, parce que pour moi la musique a du sens surtout dans le live. »
Côté artistes locaux SMØR&BRØD se dit admiratif de deux artistes bien connus dans le paysage musical genevois, Androo pour ce qui est de la production et Boodaman pour ses lives : « Androo pour moi c’est l’un des producteurs qui me porte le plus et depuis pas mal de temps, non seulement il est capable de faire ce pont entre la musique électronique et le reggae de manière générale, mais il a aussi une approche expérimentale que beaucoup de producteurs ont perdu, il sort des trucs qui sont souvent inattendus, il travaille bien l’effet de surprise. Même après des années à écouter ce qu’il fait, je suis encore étonné par ce qu’il sort et, en dehors du fait que ça me plaît, j’aime bien la démarche, la manière qu’il a de produire de la musique et son approche globale. Boodaman c’est pareil, j’admire l’approche, il est très orienté modulaire, moi ce n’est pas vraiment mon truc mais je pense qu’on partage quand même des choses autour de la musique en général, et j’aime beaucoup sa capacité de partage et de discussion. »
En effet, au-delà de la musique en tant que résultat, on sent chez SMØR&BRØD que le côté artistique, la recherche et les intentions derrière, et donc la possibilité de partager autour de ces sujets, est centrale dans sa pratique : « Je trouve assez dommage que si peu de gens parlent de la difficulté de mixer ou de faire de la musique, que ce soit si difficile de se livrer quand on en parle alors que c’est bien plus universel que ce qu’on croit, il y a un truc qui touche à l’intime qui rend difficile le fait de produire de la musique ou d’en passer. Peut-être que c’est autocentré, mais j’ai du mal à croire les gens qui me disent que pour eux c’est aussi facile. Pour moi, il y a un peu un truc de posture derrière, d’idéalisation, très liée à la société, où il faut se vendre sous son meilleur jour pour avoir des dates alors qu’au final on reste dans un milieu où, souvent, on retrouve des personnes très sensibles. »
Vers plus de lives ?
Du reggae, de la musique électronique, des DJ sets et de la prod. Et surtout l’envie de tout continuer : « Je n’ai pas envie de lâcher le reggae parce que j’aimerais développer l’approche sound system aussi dans mon projet techno. Il y a une influence des sound system qui est très clair dans le reggae et cette influence existe aussi dans la musique électronique, dans la techno, mais les gens ont plus tendance à l’oublier, c’est quelque chose qui a disparu avec les clubs. Je trouve que c’est important de remettre ça en avant, donc j’aimerais ramener plus de lives électroniques sur sound system, pas que pour des questions de son mais aussi pour l’ambiance que ça amène, on vit une autre expérience ».
Une volonté donc de mettre l’accent sur le live : « Le live, c’est clair que ça m’intéresse plus mais ça demande une quantité de travail énorme. Pour moi, ça reste le sens de la musique mais ça demande une infrastructure importante, du matériel, de la préparation et une organisation qui est bien plus conséquente que de se pointer dans un club avec une clé USB. Et le live ce n’est pas adapté à tous les endroits, donc je vais continuer à faire des DJ sets aussi parce que ça me permet de continuer à faire des petits gigs. Mais c’est clair que si j’avais un objectif premier, et que je n’avais pas le travail à côté, je ferais uniquement des lives. Mais il faut faire des compromis et l’important au final, ça reste d’échanger autour de la musique. »
SMØR&BRØD, prochaines dates : Genève, Zooloo Festival (DJ set) – 26.08 / Genève, Fêtes des Grottes (DJ set) – 09.09. / Genève, TBA (Live) – 09.11.