Anaëlle Clot observe le vivant

Détail d'un dessin d'Anaëlle Clot (© Anaëlle Clot)

Pour sa prochaine exposition « Décomposition Recomposition », l’artiste vaudoise Anaëlle Clot se (re)penche sur son thème de prédilection : son rapport au vivant, à la matière en décomposition et à ce qui naît de cette transformation. EPIC a pu discuter avec elle quelques jours avant le vernissage officiel de son expo au Docks.

Le 6 mars prochain, tu présenteras ton exposition « Décomposition Recomposition » aux Docks. Pourquoi collaborer avec ce lieu qui rime plus avec musiques actuelles qu’arts visuels ?

Même si le lieu est avant tout dédié aux musiques actuelles, cela fait un moment que les Docks proposent ponctuellement des expositions de photographies, peintures ou illustrations. Quand la responsable de la communication, Alexandra, m’a proposé d’y exposer mon travail, j’ai un peu hésité au départ. De ce que je connaissais de ce lieu déjà très habité, il me semblait plutôt difficile d’occuper l’espace de manière forte. Mais je n’ai pas hésité longtemps. L’idée de faire découvrir des œuvres visuelles à un public éclectique qui ne se rend pas forcément dans les galeries me plaisait beaucoup. Et puis, j’ai tout de suite pensé à continuer une série de sérigraphie en cours et qui, à mon sens, résonnaient parfaitement avec ce lieu.

Les œuvres qui seront dévoilées le 6 mars prochain dans le cadre de « Décomposition Recomposition » font la part belle aux éléments organiques de type champignons ou humus. Pourquoi mettre en avant le vivant se trouvant sous nos pieds ?

La thématique en elle-même n’est pas nouvelle, tout mon travail parle de la même chose : mon rapport mon environnement, au vivant et à ce qu’il crée en moi comme musique, comme vibrations, comme réflexions sur le monde. Ce que je présenterai aux Docks est en partie le fruit d’un travail que j’avais déjà débuté en 2020. J’avais alors réalisé quatre sérigraphies en grand format et en noir blanc. Elles portent en elles une forme de musicalité intérieure et intime qui est liée à ce que je ressens quand je vadrouille en forêt, que j’observe et écoute ce qui m’entoure : la vie qui grouille, les sons que ça produit, la matière qui se décompose et se recompose. Le lien que je fais avec la musique se trouve ici.

Les quatre premières sérigraphies exposées (© Anaëlle Clot)

Pour « Décomposition Recomposition », j’ai donc poursuivi cette série en réalisant huit dessins de plus. Certaines de ces nouvelles œuvres sont un peu plus figuratives, on peut par exemple reconnaître une souche, des champignons lignicoles ou des coquilles d’escargot. Ensuite, les dessins ont été reproduits en sérigraphie par Thomas Mottet dans son atelier de Grandson. Il y aura en outre quelques originaux en petit format : une série de peintures sur bois, représentant des lichens flamboyants, qui évoquent le feu, comme symbole d’espoir mais aussi de menace. Pour un lieu comme les Docks, il m’a semblé pertinent de présenter des multiples, d’être presque sur de l’affiche. La reproduction en sérigraphie permet également de rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre.

As-tu étudié au microscope les formes précises de ces bactéries et molécules pour t’inspirer ?

Non, c’est uniquement le fruit de ma vision, je passe beaucoup de temps dans la forêt et dans mon jardin. Je ne poursuis pas une démarche scientifique, je n’utilise pas la photo ni ne dessine d’après nature. Ce travail est issu de mon observation et de mon imaginaire… le tout mêlé à mes émotions et mes réflexions. Mon travail artistique est essentiel pour mon hygiène de vie et mon équilibre mental. Il me permet de digérer les choses, de les déposer sur le papier, de prendre du recul et de réfléchir à ma vision du monde.

La thématique de la nature est centrale dans ton travail et dans ta vie en général. Ton atelier est installé dans une ancienne ferme à Assens, dans le Gros-de-Vaud. Quel rapport avec la nature entretiens-tu ?

Tout d’abord, la « nature » est un concept occidental que nous avons créé visant à placer l’être humain au-dessus des autres espèces, pour justifier ensuite leur exploitation. J’essaie d’éviter autant que possible ce terme, ou du moins le questionner, mais je lui préfère « le vivant ». Quoi qu’il en soit, je suis depuis très longtemps intéressée aux questions environnementales. J’ai grandi à la campagne, à Montheron, proche d’un jardin et d’une forêt et avec un père passionné d’oiseaux. Je suis très impactée par la manière dont l’être humain s’acharne à tout détruire alors que notre sort est biologiquement lié au reste du vivant. On parle parfois d’« écoanxiété », c’est ce que je ressens quand je constate que ce qui se trouve autour de moi souffre et disparaît à une vitesse très inquiétante.

Tu fais partie du collectif Aristide, de quels types sont vos activités ?

On a créé en 2016 ce collectif à trois avec Simon de Castro, qui est dessinateur, et Antón de Macedo, qui est écrivain. Notre activité principale est la publication une fois par an d’une revue collective de dessin intitulée « Aristide », qui a donné le nom au collectif. Le principe est d’inviter pour chaque édition une vingtaine d’artistes, des plasticien·ne·s, graphistes, illustrateur·trice·s, qui ont pour tâche de créer une œuvre selon deux contraintes : une thématique et un code couleur (la bichromie). Jusqu’à présent, nous avons notamment publié sur les thèmes de l’alimentation et l’agriculture, du corps et du genre ou encore de la lenteur. De notre côté, c’est un travail purement éditorial, on ne publie pas notre travail à travers cette revue. Le prochain numéro de cette revue paraîtra en juin de cette année.

Revues publiées par le Collectif Aristide (© Anaëlle Clot)

En parallèle à cette activité, on mène un projet entièrement en sérigraphie, on fait des séries limitées. On a également publié un livre dédié à l’écrit et on a fait des expositions. On explore naturellement différents horizons, car nous car nous avons des pratiques artistiques très variées et surtout car nous nous intéressons à beaucoup de choses.

Comment en es-tu venue à devenir illustratrice ?

Je ne me considère pas comme une illustratrice, je ne peux et ne veux pas tout dessiner. Ce qui m’intéresse, c’est développer un langage qui m’est propre et proposer ma vision. Je viens du graphisme, j’ai suivi un à l’École romande d’arts et communication (Eracom), j’ai travaillé un bon moment dans des ateliers de graphisme. J’étais toujours à temps partiel, ce qui me permettait de développer mes projets et ma pratique. J’ai notamment fondé en 2012 avec deux copines « Le dévaloir », un fanzine qui regroupait toute sorte de contenu, ça allait des dessins aux entretiens de groupe de musique, en passant par des recettes de cuisine. C’est parce qu’il fallait remplir ce fanzine que j’ai véritablement commencé à dessiner. Lorsque ce projet s’est arrêté en 2015, j’avais envie de continuer dans un projet éditorial, mais plus axé sur le dessin. C’est pour cela qu’on a lancé la revue « Aristide ». Ce n’est qu’en 2018 que je me suis installée en tant qu’artiste et graphiste indépendante. Pendant tout ce temps et encore aujourd’hui, j’ai énormément travaillé – il n’y a pas de miracle – et suis parvenue à me constituer un petit réseau. J’ai eu la chance de recevoir beaucoup de proposition de projets qui sont chouettes et qui sont en adéquation avec mes valeurs.

Dessin de l’exposition “Décomposition Recomposition” (© Anaëlle Clot)

Découvrez les œuvres d’Anaëlle Clot sur son site.

Le vernissage de l’exposition « Décomposition Recomposition » aura lieu le mercredi 6 mars 2024 dès 18h30. L’exposition est à voir jusqu’au 29 avril aux Docks.

Tags sur cette publication
, , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.