Rencontre avec Alice Botelho et Dolo Aurore Andaloro

Du 5 au 10 mars prochain, le Théâtre du Loup, le Théâtre de Saint-Gervais, L’Abri – Genève et Le Grütli – centre de production et de diffusion des Arts vivants accueilleront le festival C’est déjà demain, une opportunité donnée au public de découvrir les artistes émergent·e·x·s de la scène romande. À cette occasion, Epic a rencontré deux de ces artistes : Alice Botelho et Dolo Aurore Andaloro. Elles nous ont parlé de leur pièce Dissection Putain de Folle et du processus créatif qui les y a menées.

Dolo, jeune comédienne diplômée des Teintureries à Lausanne, et Alice, actuellement étudiante à l’Institut Littéraire Suisse à Bienne, ont collaboré sur la création de la pièce « Dissection Putain de Folle ». Ce titre est directement tiré de deux œuvres de l’autrice québécoise Nelly Arcan : « Putain »* et « Folle »*.

La pièce débute le jour de l’anniversaire des trente ans de la protagoniste, brillamment interprétée par Dolo. La femme se tient seule sur scène et nous invite dans sa chambre d’enfant. L’anniversaire est aussi une mise à mort, puisque celle-ci a prévu de se suicider à cet âge-là. S’ensuit un monologue effréné, à l’image de l’écriture qui ne laisse pas la place de souffler. Les phrases longues des livres originaux, ponctuées uniquement en fin de paragraphe, donnent cette impression de suffocation, un élément qui a guidé les deux artistes dans l’écriture dramaturgique de la pièce.  

Le désir de Dolo et Alice de travailler sur l’oeuvre de Nelly Arcan vient de loin. Dolo raconte que c’est Alice qui la lui a faite découvrir et le coup de cœur a été partagé. C’était donc une évidence de collaborer, à quoi Alice ajoute « ces textes tissent de grands moments de nos vies depuis sa première lecture pendant notre adolescence. On voulait revenir dessus avec un rapport au texte forcément différent aujourd’hui. » Transposé sur scène, le texte conserve « les moments horribles, mais tellement vivants à la fois ». Les questions telles que pourquoi je veux mourir, pourquoi je ne veux pas mourir, sont effectivement des questions inhérentes au vivant. La comédienne reprend cette idée d’essoufflement, « ce n’est pas possible de s’arrêter avant la toute fin et du coup je suis obligée de vraiment incarner le texte, ce qui est très intéressant. » Et à ce niveau, il faut dire que le travail d’écriture tout comme celui d’interprétation ont la force de ne jamais permettre à des instants de flottements de s’installer. L’urgence que l’on ressent du début à la fin du spectacle pourrait aussi venir du sujet lui-même. Les deux livres dont il est tiré sont l’autofiction de la vie de l’écrivaine canadienne et traitent de sujets tels que l’inceste, la prostitution, le viol, le suicide et les constellations familiales destructrices. Telle que montée, la pièce ne peut donc pas laisser indifférent·e·x·s. 

La collaboration au centre du projet

Le processus d’écriture a été collaboratif et le travail double : d’abord la sélection de passages des deux textes par les deux artistes, la mise en commun et les discussions autour de cette sélection, puis la réunion de ces passages avec « la volonté claire de les utiliser pour trouver une dramaturgie, que ça ne ressemble pas à un patchwork », dit Alice. C’est elle qui a fait la majeure partie du travail d’écriture. Le texte en résultant est intelligent, fin et poignant. De son côté, Dolo ajoute que l’écriture de plateau a été très importante. « L’écriture de plateau permet davantage de s’ancrer dans la recherche du personnage, sa propre histoire qui flirt parfois avec l’autofiction, comme c’est le cas dans le texte original. » Le rapport avec le public a aussi été réfléchi tôt dans le processus, en collaboration avec l’artiste Solène Humair. Comment se place-t-il, quel est le rapport souhaité avec le déroulé de la pièce. 

Mais face à des sujets tels que le suicide, l’inceste, le travail du sexe, comment travaille-t-on ? Dolo reconnaît que son entourage a parfois été inquiet, a voulu s’assurer qu’elle se protégeait. « Au contraire, ça me donne de la force de mettre en mots tout ça et de le structurer, parce que ces sujets sont malgré tout essentiels et j’aimerais donner cette même force au public. On ne cherche pas à entrer dans quelque chose de destructif ». Alice appuie cet avis : « Ne doutez pas de notre solidité ». La pièce n’invite d’ailleurs pas à se questionner sur ce qu’il y a de bien ou de mal, mais à réfléchir à comment cela s’inscrit dans la société, dans quelles structures et qui cela implique. « Nous nous sentons concernées, la parole ne nous appartient pas parce qu’elle est multiple, mais on la comprend et on ne parle pas de nulle part », ajoute Alice. La force, Dolo dit aussi la trouver dans sa capacité à entrer dans ces zones sombres et incarner un personnage, tout en étant capable de laisser cela au plateau, de passer à autre chose une fois sortie du personnage. 

Toutes deux ont trouvé nécessaire d’assembler les deux textes de Nelly Arcan, plutôt que de n’en garder qu’un. Bien qu’écrits à trois ans d’intervalle, une histoire se tisse dans l’association des deux et Alice nous explique ce choix : « ça nous a semblé assez évident de mettre les deux textes en parallèle. Pour comprendre son lien à l’amour, il faut comprendre son lien avec le travail du sexe, pour comprendre son lien avec le travail du sexe, il faut comprendre son lien avec son père, pour comprendre son lien avec son père, il faut comprendre sa relation avec son ex, etc. Les deux livres sont donc essentiels dans la composition de la dramaturgie ».

Guider la réflexion

Par ailleurs, il n’y a pas la crainte de choquer, mais la volonté de déplacer, amener le public dans des lieux où il n’est pas forcément confortable. Et elles le font très bien! L’alliage texte et interprétation dégagent des émotions qui touchent profondément. Dolo ajoute : « il y a vraiment ce phénomène qui fait que ce n’est jamais le bon moment ou le bon endroit pour en parler. Mais ce n’est pas un débalage que nous faisons, c’est justement mettre le doigt sur le fait que c’est tu ». Elles avaient, au début du processus, considéré l’idée d’y introduire des touches d’humour, pour que le public puisse se relâcher et pour distancer un peu le propos. Cette idée a été abandonnée lorsqu’elles se sont rendues comptes que cela revenait presque à s’excuser du choix du sujet. Et, comme le dit Alice, « dans la violence du privé, il n’y a jamais de distance ». Outre les sujets abordés, la langue employée n’a rien de futile. Elle est à l’image de celle de Nelly Arcan qui ne cherche jamais à édulcorer ses propos. Et c’est là la force qu’Alice voit dans le travail de l’autrice : « si une langue peut avoir le même effet trash qu’une image, alors il y a de la justesse et c’est ça qui est beau ». Celles-ci ajoutent d’ailleurs que le message qu’elles souhaitent faire passer au travers de leur travail est avant tout « d’arrêter de s’excuser. S’excuser de tout ou de rien dire, ne plus taire et mettre à terre ceux qui veulent mettre du silence là où il devrait y avoir des cris ». 

Dissection Putain de Folle pourra être découvert au Théâtre du Loup les 5 et 6 mars prochain.

Réservations : Théâtre du Loup

Avant d’aller voir le spectacle, il est important de savoir qu’il contient les thématiques susmentionnées et qu’il n’est pas recommandé aux jeunes de moins de seize ans.

*”Putain”, 2021, Nelly Arcan, éditions du Seuil

*”Folle”, 2004, Nelly Arcan, éditions du Seuil

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