Aujourd’hui, Sophie Ammann nous raconte son parcours sinueux, qui a débuté par la danse classique et contemporaine et qui se dirige désormais vers la “danse-théâtre”, avec une touche humoristique certaine.
Pour commencer, peux-tu nous parler de ta formation de danseuse interprète ?
J’ai commencé très jeune. Ma première révélation a été de voir la comédie musicale Cats. Ça a été un coup de foudre, mais on m’a rapidement dit qu’une bonne formation en danse classique serait indispensable, même pour me diriger vers la comédie musicale. J’ai alors intégré la Tanz Akademie Zürich, une école de danse classique très stricte, j’y ai passé quelques mois avant de rejoindre le Royal Conservatoire of Glasgow, pour suivre leur Bachelor of Arts en Modern Ballet. J’ai apprécié être entourée d’artistes de tout style et j’ai commencé à découvrir la danse contemporaine. Mais j’ai vraiment pu approfondir ma pratique de la danse contemporaine en intégrant le Ballet Junior de Genève pour deux ans. J’y ai rencontré beaucoup de personnes très chouettes avec qui je collabore encore aujourd’hui.
Et ensuite, professionnellement ?
J’ai mis un peu de temps à me créer un réseau à Genève et à reconnaître mes qualités en tant qu’interprète. Je ne me suis jamais considérée comme une grande technicienne et je n’ai pas tout de suite su ce que j’avais à apporter. J’ai dû me rendre compte que j’avais quelque chose à offrir dans la théâtralité et dans un esprit plus décalé.
De 2015 à 2017, j’ai dansé mes premières pièces avec la Junebug company, en collaboration avec Rosanne Briens et Erin O’Reilly. On a notamment dansé au Fringe Festival d’Édimbourg. De fil en aiguille, on a continué notre collaboration à trois ainsi qu’avec Pauline Raineri et là aussi dansé au Fringe Festival deux années de suite avec des pièces basées plus sur l’improvisation. En parallèle, mon réseau à Genève s’est développé. J’ai travaillé avec Marie-Caroline Hominal, Woman’s Move avec Elsa Couvreur et Iona D’Annunzio et avec la Beaver Dam Company. Puis plus récemment avec Samuel Pajand et Victor Roy, et avec la compagnie STT-super trop top de Dorian Rossel et Delphine Lanza, sur des pièce de danse et de théâtre pour jeune public.
Mais durant ces trois dernières années, je me suis surtout concentrée sur mon propre travail et ma collaboration avec Pauline Raineri, notamment avec une pièce qui s’appelle Femmosité, un duo que nous avons dansé au TU-Théâtre de l’Usine et au Festival Les Chorégraphiques à Vevey.
Aujourd’hui, ta carrière a pris un grand tournant sur le plan artistique, dis-nous en plus…
La danse m’a apporté énormément de choses, notamment une conscience de mon corps et du timing propre à la scène. Aujourd’hui, je m’oriente davantage vers quelque chose de plus proche de la danse-théâtre et j’aime y mettre beaucoup d’humour. Je garde donc un pied dans la danse, mais j’ai aussi commencé à performer en tant que clown.
Ça a commencé lorsque je dansais au Fringe festival. J’y ai rencontré un duo de clown, Zach et Viggo. En fait, c’est la première fois que j’ai vraiment découvert un spectacle de clown. J’avais des aprioris, j’imaginais quelque chose d’assez ringard et gênant, mais en voyant ces deux artistes performer, mes aprioris ont changé.
Et de là à pratiquer cet art, le chemin a-t-il été progressif ou immédiat ?
Plutôt progressif. En 2018, sous les conseils de Viggo Venn, j’ai fait mon premier stage de clown à Londres avec la compagnie Spymonkey. Paradoxalement à ce que je disais au sujet du corps et de l’espace, la danse ne m’y a pas servi du tout ! J’avais trop l’habitude d’être une bonne élève. Ce n’était pas ce qu’on attendait de nous dans ce stage. Dans le clown, tu as le droit de jouer avec les consignes, en fait, les consignes sont un prétexte à la connerie ! On attend de toi que tu transgresses les règles. J’étais choquée quand les gens ne respectaient pas leur temps impartis par exemple. Et quand on m’a dit « Impressionne-nous ! », j’ai même pensé à reprendre des pas de danse difficiles tout en y mettant du second degré. Ça été un gros flop. Je ne l’avais pas encore compris à ce premier stage, mais il faut assumer pleinement d’être bête, de prendre de la place et, encore une fois, de transgresser les règles.
Parallèlement à mon apprentissage de clown, mon travail de danseuse m’avait déjà conduite à la danse-théâtre. Dans notre pièce Femmosité, avec Pauline Raineri, nous avons souhaité mettre une touche d’humour dans le spectacle. Je suis convaincue que le rire ouvre le dialogue. Si tu fais rire, c’est qu’il y a de l’empathie, c’est même la condition du rire. Je trouve ça beau de penser que rire, c’est laisser l’expérience de quelqu’un·e·x d’autre résonner en soi.
Comment a été le regard de ton entourage, et surtout celui du milieu de la danse à l’ajout de l’humour à ta pratique ?
J’ai eu des retours très positifs ! Je n’avais plus cette frustration que la danse m’a parfois amenée et je me suis plus épanouie, je pense que ça se ressent de l’extérieure. À partir de là, mon entourage voyait que je prenais des risques et tous·x·tes ont été hyper encourageant·e·x·s. Il y en a aussi qui m’ont fait suffisamment confiance pour me donner des chances.
Avant le confinement je voulais faire du burlesque et de l’effeuillage. J’ai commencé à faire du fouet, j’ai pris des cours privés, et simultanément j’ai commencé le clown. Tout ça pendant la pandémie. Tout ce qui est considéré comme “pas bien” par la société, le clown aime le forcer. Et parfois t’es drôle malgré toi. On a tous·x·tes des défauts, et on aime se reconnaître dans ceux des autres sur scène. À la fin du confinement, une première opportunité de créer une pièce avec le fouet m’a été offerte par Gabor Varga d’Antigel, une pièce de dix minutes à l’ouverture de quartier de Belle-Terre à Thônex. J’étais pleine d’enthousiasme mais il a fallu que je crée rapidement une pièce drôle pour un public de tout âges. Cette pièce est depuis devenue Bombe Divine Super Merveilleuse, un pièce pleine d’espoir, un stand-up croisé danse, cirque et super héroïne de l’espoir.
Quels sont tes projets actuels et futurs ?
En été, j’ai rejoint Le Cabaret des Amis Savoureux avec Leo Mohr, Nathaly Leduc, Camille Tavelli et Raphaël Archinard. J’y avais déjà performé auparavant mais je fais désormais partie de l’équipe fixe. On a une représentation chaque mois à la Gravière et l’été à l’Orangerie. C’est très chouette de monter sur scène régulièrement, c’est aussi un challenge de proposer de nouvelles choses à chaque fois, mais ça me pousse à me faire confiance.
J’ai aussi un nouveau duo avec Pauline Raineri, qui s’appelle JO & ALEX, une sorte de transformation de notre duo Femmosité, cette fois c’est plutôt une pièce de rue, toujours très danse-théâtre, pleine d’humour et très physique. On l’a dansée cet été aux Bains des Pâquis.
Et de mon côté, je suis en train de créer un seul en scène qui s’appèle Crâmée, une pièce danse-théâtre, axée clown, qui parle de chagrins d’amour, de solitude, de ce vœux d’être aimé.e.x… mais sur un ton comique. La première aura lieu en novembre 2024 au Théâtre de l’Étincelle à Genève.
Quel est l’apport du rire ou de l’humour dans ton travail ?
L’humour est parfois vu comme quelque chose de moins élitiste que d’autres arts, et j’aime son côté populaire. Et comme je le disais, la connexion avec le public est tellement importante, il faut qu’elle existe. Il y a un échange d’énergies très fort et beaucoup d’émotions quand je sors de scène, une sorte de high que je n’ai, personnellement, pas connu dans la danse. C’est pour ça que même dans mon travail chorégraphique, l’humour est aujourd’hui un élément essentiel. Et puis je suis bavarde ! C’est parfait pour moi de mélanger la scène, la présence du corps et le parler du clown !
Quand pourra-t-on découvrir ton travail prochainement ?
Le 8 et le 9 décembre je participerai à une soirée crash têtes au Théâtricule. Le 17 décembre à la soirée clownesque à la yourte du Bains de Pâquis. Et enfin le 21 décembre à la Gravière avec le Cabaret des Amis Savoureux, puis tous mois avec elleux aussi.