Alexandre Schild, pour un cinéma authentique

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Cet adage prend tout son sens lorsque l’on évoque Alexandre Schild, le jeune réalisateur genevois qui monte, qui monte… Virtuose de la caméra, le vingtenaire s’apprête à sortir l’an prochain son troisième court-métrage, Lettres en ton nom, qu’il a réalisé cet été. Il nous fait l’honneur de nous accorder une interview où sont évoqués tour à tour ses débuts, ses inspirations, sa patte personnelle et ses réalisations passées, en cours et à venir.

Puissante et chatoyante, la touche d’Alexandre Schild est reconnaissable entre mille. Au confluent d’inspirations telles que Wim Wenders, Alice Rohrwacher et Xavier Dolan, le cinéma du Genevois est également irrigué par des références poétiques et un travail éclatant sur la lumière naturelle. Par sa sincérité, son oeuvre encore naissante attire déjà tous les regards, tant la démarche artistique du jeune homme détonne dans le paysage cinématographique romand. Son talent prend sa source dans le besoin viscéral qui l’habite de filmer les hommes, les femmes, les corps et les visages, pour en déceler les émotions, les joies, les peurs et les failles. Cinéaste du rapport humain, Alexandre Schild nous livre un peu de lui-même pour donner à comprendre la complexité de son travail. Rencontre.

Pourrais-tu te présenter ?

Alors je m’appelle Alexandre Schild et j’ai 21 ans. J’ai grandi et vécu toute ma vie à Genève, plus précisément dans la campagne du côté de Jussy. J’ai obtenu ma maturité il y a deux ans au collège de Candolle, et depuis je fais du cinéma en autodidacte. J’ai commencé à expérimenter ce médium plus ou moins en parallèle de la fin de mon collège, notamment grâce à un petit court-métrage réalisé chez moi dans le cadre de mon travail de maturité. Ensuite sont arrivés des premiers financements pour des projets plus importants, puis des campagnes de crowdfunding, et finalement j’ai récemment commencé à être produit. Cela fait donc trois ans que je me suis orienté vers le cinéma.

Comment es-tu arrivé dans le monde du cinéma et, plus marginalement, de la photographie ?

Je dirais que cette passion s’est révélée quand j’étais au cycle. J’étais un grand fan de grosses productions vers mes 11-12 ans, je pouvais aller jusqu’à trois fois par semaine au cinéma. Un moment important dans ma vie a été la découverte du film Drive de Nicolas Winding Refn en 2011, dont le côté artistique m’a immédiatement fasciné. J’ai compris de fil en aiguille que ce qui m’intéressait c’était ce qui se passait derrière la caméra. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à davantage m’intéresser à d’autres types de cinéma, jusqu’à ce que je découvre Mommy de Xavier Dolan en 2014, qui a été le déclic final. Concernant la photo, ma soeur m’avait montré durant mon adolescence une série de clichés de Nan Goldin appelée The Ballad of Sexual Dependency, qui m’a beaucoup bouleversé.

Pourquoi cet intérêt particulier pour le cinéma par rapport à la photographie ?

Je crois que si j’aime autant le cinéma, s’il est si vital pour moi, c’est parce que, grâce à la caméra, j’arrive parfaitement à faire ressortir et exprimer ce que je ressens. Je fais toujours un peu de photo à côté, mais en réalité le cinéma m’apporte tellement plus. J’aime ce travail global de la lumière, du son, de la musique, du décor, des costumes… C’est vraiment un art total. La relation avec les acteurs me passionne également, d’autant qu’il est incroyable de pouvoir construire des protagonistes en collaborant avec des personnes passionnées. J’aime vraiment ce rapport humain, tout comme j’aime aussi raconter et disséquer les relations humaines à travers une oeuvre de fiction, en construisant totalement un univers un peu hors du temps.

Alexandre Schild aime travailler la lumière et les ambiances du jour et de la nuit.

Tu sembles particulièrement aimer filmer en extérieur. Quelle en est la raison ?

C’est vrai, d’ailleurs mon dernier court-métrage a presque été tourné en totalité en extérieur. Je suis très sensible à la campagne dans laquelle j’ai grandi et où j’ai vécu de nombreuses expériences. J’aime explorer ces paysages visuellement, parcourir leur potentiel sonore. C’est un cadre qui va bien avec la poésie et l’atmosphère de rêverie que je veux insérer dans mes films ainsi qu’avec la solitude qui caractérise mes personnages. J’adore aussi le travail avec le soleil. Sur le tournage de mon dernier court-métrage on avait beaucoup en tête Virgin Suicides de Sofia Coppola : on s’est inspiré de sa manière de travailler tant la lumière chaude du jour que l’ambiance froide de la nuit. Jouer, d’une certaine manière, sur une forme d’ambivalence, pour suivre la nature et son cycle.

Tu cultives un côté rétro notamment dans la manière dont tu habilles tes personnages, mais aussi dans l’esthétique globale et l’ambiance de tes réalisations. Pourquoi ?

Il faut savoir que je suis un grand fan d’habits, ça me plait vraiment. Après, en termes d’accessoires, j’ai toujours voulu, sans vouloir inscrire mes récits dans une époque particulière, revenir à l’essentiel. Ce que je vais dire fait peut-être un peu “cliché de l’âge d’or”, mais j’ai peur de filmer des choses trop contemporaines, comme des voitures rondes ou des téléphones. J’ai l’impression que cela peut nous couper de l’émotion. J’essaye d’épurer le plus possible ce que je montre, j’aime explorer les rapports humains sans qu’ils soient obstrués.

Tu as un vrai penchant pour les portraits et les gros plans. Qu’est-ce que tu aimes raconter à travers ces visages ?

J’aime beaucoup être très proche des gens quand je filme. Il en ressort, à mon goût, quelque chose d’unique. Il y a une forme d’authenticité, de retour à l’essentiel comme je le disais avant. Grâce à une caméra ou à un appareil photo on peut vraiment magnifier une personne et se focaliser sur un aspect atypique, spécifique. Je pense que je me dirige naturellement vers un cinéma axé sur l’humain. En général, j’adore dépeindre les interactions humaines, j’aime mettre les gens en avant.

À ce jour, tu as réalisé plusieurs clips musicaux. Comment t’es-tu lancé là-dedans ?

Il faut savoir que pour mon premier court-métrage j’avais demandé au Roi Angus de composer la musique. Ensuite, je suis allé voir The Rebels of Tijuana à la Gravière, ce qui m’a donné terriblement envie de faire une vidéo avec leur musique. Je les ai contactés, ils ont été partants et j’ai eu carte blanche pour réaliser cela. Puis, de fil en aiguille, j’ai eu d’autres propositions et d’autres envies de collaboration, notamment avec Alex Kacimi, puis avec Lukas Ionesco que j’ai rencontré au GIFF et avec qui nous sommes allés à la montagne réaliser le clip de sa musique Idiot Fish.

Alexandre Schild a réalisé plusieurs clips musicaux, dont celui du morceau Gyrophare du chanteur Alex Kacimi.

Qu’est-ce que tu aimes dans cet exercice-là ?

C’est un médium répandu maintenant, mais je trouve qu’il reste d’une spontanéité extraordinaire. On peut faire quelque chose d’excellent à partir d’une idée simple, sans trop d’argent, car il y a toujours une forme de frénésie qui se crée sur le tournage. J’aime aussi travailler sur le lien entre la musique et l’image, d’autant plus quand j’ai une certaine liberté artistique. C’est très enrichissant pour ma démarche cinématographique : j’ai toujours appris de nouvelles choses à chaque réalisation de clip, c’est une expérience extraordinaire à chaque fois. Je trouve fascinant de pouvoir réinterpréter le morceau à sa propre sauce, de donner une dimension nouvelle à la musique, tout en travaillant conjointement avec l’artiste.

Combien de courts-métrages as-tu réalisé jusqu’à maintenant ?

J’en ai fait trois. Le premier, Granuleuse Rêverie, a été réalisé grâce au soutien du Fonds Jeunesse, c’était la première fois que je pouvais compter sur une équipe et me baser sur un scénario écrit et narré. J’en ai ensuite réalisé un deuxième, Idylle Martyre, en été 2018 qui a, une fois sorti, tourné dans des festivals à Zurich et à Schaffhouse notamment. Puis j’ai rencontré ma première productrice, Hélène Faget, ce qui m’a donné l’occasion de pouvoir réaliser mon premier court-métrage professionnel et totalement produit. J’ai pu compter sur le soutien inconditionnel d’une belle équipe ainsi que sur l’appui financier de la RTS ou de l’Office Fédéral de la Culture par exemple. On a donc tourné Lettres en ton nom cet été, et il sera disponible à travers les festivals l’année prochaine. On peut donc parler d’une sortie dans le courant 2021.

Justement, quelle est la genèse de ton dernier court-métrage ?

Ma productrice m’a contacté après une interview que j’ai faite sur Léman Bleu. C’était au moment où elle fondait sa boite de production pour les jeunes auteurs et les nouveaux formats de l’audiovisuel. Je finissais à ce moment-là mon deuxième court que je lui ai montré et qu’elle a beaucoup apprécié. C’est dans la continuité que j’ai commencé à écrire Lettres en ton nom, qui est l’histoire d’un trio d’amis en parallèle d’une histoire d’amour épistolaire entre une fille et le garçon principal du récit.

À la base de ce court-métrage il y a un poème de Jim Morrisson issu du recueil La Nuit américaine, qu’il a écrit juste avant de mourir à Paris. Ce poème retraçait le sentiment de l’amour passé, que l’on a pu avoir. Particulièrement touché par ce texte, j’ai donc voulu aborder le thème de l’histoire d’amour qui a eu lieu jadis. Pour imaginer le scénario et l’ambiance du film j’ai aussi été influencé par ma propre vie, notamment par le thème du trio amical qui m’est très cher. J’avais envie de raconter et de me focaliser sur cette forme d’amour fraternel à ma façon, ce que je n’avais jamais fait auparavant.

De gauche à droite : Maxime Huriguen, Cyril Metzger et William Frey, trois des quatre protagonistes de Lettres en ton nom (crédit : Laureat Bakolli).

Arriverais-tu à nous pitcher Lettres en ton nom ?

Robert, Antoine et Louis vivent dans une société et une époque indéfinies. Ils se retrouvent toujours les trois depuis l’enfance et ont construit une forte amitié. Dans le passé Robert a entretenu une relation épistolaire avec une fille, Hélène. Au début du film, il reçoit une lettre qui lui annonce qu’elle reviendra bientôt là où ils ont grandi et sont tombés amoureux…

Comment procèdes-tu généralement avec ton équipe ? De quoi t’occupes-tu dans la réalisation d’un court-métrage ?

D’abord, je m’occupe de l’écriture et des dialogues. Ensuite, d’une fois que l’on est sur le tournage on est autour de 25, chacun·e a donc sa tâche précise. J’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe vraiment formidable ! J’ai notamment mon chef opérateur Laureat Bakolli qui est responsable de la lumière et avec qui je partage vraiment la même vision des choses. On a ainsi une belle alchimie dans notre façon de collaborer, je pense que cela se ressent. Je fais ensuite un découpage des séquences pour qu’elles rendent l’effet que je désire. Il faut dire que la production de Lettres en ton nom a été spéciale, car c’est la première histoire aussi conséquente en termes de narration et de dialogue sur laquelle j’ai travaillé. Heureusement, j’ai eu la chance de collaborer avec des personnes très douées pour arriver au résultat final. À l’heure actuelle le court-métrage est pratiquement prêt et finalisé.

Comment as-tu géré la direction d’acteurs ? Comment les as-tu choisis ?

J’adore gérer cet aspect relationnel. J’ai écrit le rôle principal de Robert en pensant à une personne précise, Maxime Huriguen, qui a participé à The Voice 2018 où il a accédé à la finale. Je lui ai envoyé le scénario quand je l’ai fini, on s’est directement rencontré et il a immédiatement été partant. J’ai également écrit le rôle de Louis pour un autre acteur précis, William Frey, avec qui je suis ami. Il n’est pas comédien mais il a quelque chose de très touchant et naturel que j’apprécie particulièrement. Je n’avais pas d’idée précise pour l’incarnation du troisième personnage masculin, une directrice de casting m’a donc choisi quelques personnes, dont Cyril Metzger. On est allé boire un verre et le courant est directement bien passé, ça a été un coup de coeur et une révélation immédiate. Ella Pellegrini, qui joue la fille et que je connais depuis longtemps, est quant à elle à la classe libre des cours Florent.

On a eu de nombreux jours de répétitions tous·tes ensemble, il y a eu un vrai travail en amont pour créer du lien entre les comédien·ne·s. Je voulais par exemple que le trio de garçons dorme ensemble, afin de créer cette amitié-là. Au final, je trouve que le mélange a très bien pris entre Cyril qui vient du texte, Maxime de la musique et William ni de l’un ni de l’autre. Aucun n’a donc le même passif, ce qui donne une sensibilité différente mais tout aussi spontanée à chacun. Lors du tournage un dialogue enrichissant s’est établi entre nous, ils étaient très à l’écoute, très bienveillants et avaient toujours de nombreuses idées.

Alexandre Schild (à gauche) avec David Benito sur le tournage de Granuleuse Rêverie, le premier projet du jeune cinéaste (crédit : Jeremy Grumener).

Maintenant qu’il est quasiment bouclé, quelle est ton opinion sur ton dernier court ?

J’en suis très fier et satisfait, car ça fait un an et demi qu’on est dessus, alors certes pas à plein temps, mais cela faisait tout de même longtemps que l’on travaillait sur ce projet. J’ai été particulièrement heureux de pouvoir enfin arriver à un résultat final, que tout cela se concrétise après tant d’heures de labeur. Je trouve par ailleurs intéressant de mettre les petites frustrations, qui existent bien sûr toujours, sur les projets futurs. Et, comme je l’ai déjà dit, je suis très heureux des acteur·trice·s qui sont parfait·e·s dans le film. J’appréhendais cela, le côté plus scénarisé, car jusqu’à ce dernier projet j’étais dans une démarche surtout esthétique. Mais finalement tout s’est extrêmement bien passé, ce qui renforce ma volonté de creuser la thématique des relations humaines par la suite.

En bref, je suis tellement heureux d’avoir mené ce tournage, qui a été une aventure humaine incroyable ! Ça été un vrai de plaisir d’avoir le privilège de travailler avec des gens que j’aime, qui m’inspirent, créer un plateau de tournage avec une équipe composée de professionnels, mais aussi de proches, comme mes parents, ma soeur, ma copine ou mes meilleurs amis.

Si tu devais donner l’eau à la bouche aux intéressé·e·s, quel aspect spécifique de ton court-métrage vaudrait spécialement le détour selon toi ?

Dans la crise que nous vivons actuellement je pense que l’on réalise toutes et tous qu’il est particulièrement important de revenir à l’essentiel, aux choses simples, à l’amitié et à l’amour. C’est fondamentalement le message que j’ai envie de transmettre aux gens : le rapport humain avant tout !

Quels sont tes futurs projets ?

J’ai un clip pour le duo Baron.e qui va être tourné en février ou en mars, avec également une vidéo pour the Animen durant la même période. Je suis aussi en écriture d’un long-métrage et je planche en parallèle sur un nouveau court.

D’ici la sortie de son prochain court-métrage courant 2021, tu peux découvrir une partie du travail d’Alexandre Schild sur son Instagram. Ses réalisations de clips musicaux sont également disponibles sur Vimeo.

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