Derrière l’univers de La Vie Rapide, une forte volonté d’allier pratiques artistiques et travail social ainsi que de transmettre à son échelle un message d’amour et d’espoir : l’envie d’être en vie. Portrait de Kevin, artiste tatoueur genevois dans son atelier et présentation de ses projets.
Parcours
« J’ai toujours voulu véhiculer des messages sincères et les partager autour de moi, mais je n’aurais jamais pensé en faire mon travail, surtout à travers le tatouage. Ça me paraissait tellement loin de ma réalité. » Il faut dire qu’à la base, celui qui est d’abord Kevin avant d’être La Vie Rapide se destinait à une carrière dans le social. Impliqué dès l’âge de 16 ans dans ce milieu d’abord en s’impliquant dans les maisons de quartier, notamment aux Eaux-Vives, son quartier d’origine, puis dans des institutions de grande précarité et pour personnes âgées, il entre à la Haute École de Travail social (HETS) dans le but de travailler comme éducateur spécialisé en foyer. « Après mes études, j’ai travaillé principalement avec des familles, des enfants et des adolescents. Le travail social me convenait vraiment, j’ai toujours été très stimulé par les échanges avec les gens et je trouvais un réel sens dans mon quotidien. »
Bachelor et CDI en poche, la suite semblait toute tracée. Oui mais voilà, c’était sans compter l’attrait de Kevin pour les pratiques artistiques : « Maintenant, avec du recul, je me rends compte que j’ai toujours essayé de trouver une alternative à la routine, au travail 8h-17h, et que j’ai toujours été impliqué dans des activités artistiques, notamment le rap, qui étaient souvent liées à l’écriture. J’ai toujours ressenti le besoin de m’exprimer et d’extérioriser ce que je vivais, surtout pendant les périodes où je n’étais pas très bien dans ma vie. L’écriture m’a beaucoup aidé dans ces moments-là. »
Le déclic s’opère quand Kevin se rend dans le salon de tatouage InkGallery afin d’y acheter sa première machine à tatouer. « Je suis tombé sur des gens super bienveillants qui ont pris le temps de m’expliquer le fonctionnement, et le soir-même je tatouais déjà un de mes potes. J’ai commencé à tatouer chez moi dans mon petit studio, sur mon lit, mon canapé et où il y avait de la place. Au début, j’ai surtout tatoué des potes d’enfances qui étaient d’accord de me prêter leur peau. Au fil des tatouages ça a pris tout seul, alors je me suis directement investi à fond : je travaillais à 100% avec des enfants puis j’allais en courant tatouer le soir, c’était incroyable. Dès le début, je savais que j’aimais ça et que c’était vraiment ce que je voulais faire, je n’avais aucun doute là-dessus. J’avais parfois impression de ne pas être légitime, parce que je ne venais pas de ce milieu, je ne sortais pas d’école d’art, mais au fond de moi je sentais que j’étais totalement à ma place. »
De dessins naïfs, ses tatouages sont très vite devenus les phrases qui ont fait le succès de La Vie Rapide. Quelques mois après avoir commencé à tatouer chez lui, La Vie Rapide rejoint le salon InkGallery pendant un an et demi, puis NeoPurple pendant six mois. Actuellement, il tatoue dans son atelier privé à l’espace de création Le Grain. « J’ai rapidement compris que si je voulais en faire ma vie, il fallait que je donne tout. Pendant la première année j’ai vraiment tout mis de côté : c’était hyper intense, je ne m’arrêtais jamais. Bosser en salon m’a permis de réellement me former et de me professionnaliser. »
Entre pratique artistique et lien avec le travail social
Mais se consacrer au tatouage n’a pas pour autant éloigné La Vie Rapide du travail social : « Dès que j’ai commencé à tatouer, je me suis très vite rendu compte de l’importance de cet échange et du moment que je partageais avec les gens. C’est vraiment essentiel pour moi de prendre le temps de discuter, d’accueillir et d’être sincère avec les personnes qui me font confiance. » Cette volonté s’est concrétisée par un premier projet avec Stop Suicide. Un concept simple et efficace : une phrase Prends soin de toi tatouée à prix libre, pour laquelle La Vie Rapide reverse l’argent à l’association. Une injonction à prendre soin de sa santé mentale, et rendre davantage visibles les campagnes de prévention de Stop Suicide. Cette démarche a plu, puisque les Prends soin de toi se sont multipliés sur la peau de bientôt cent personnes.
S’ensuit un autre projet avec l’association PAC(O), un organisme qui vise à la revalorisation des jeunes en rupture scolaire à travers les pratiques artistiques, notamment en organisant des workshops avec des artistes et institutions culturelles. « PAC(O) m’a invité à organiser un atelier d’écriture sur l’envie d’être en vie, atelier où j’ai pu également faire tester le tatouage aux jeunes présents. Ce workshop a vraiment été l’un des moments où j’ai trouvé le plus de sens dans mon art. En effet, étant moi-même passé par des phases de rupture et de phobie scolaire, c’était important pour moi de le partager avec eux. Associer tatouage et travail social pour aider des personnes qui traversent des choses semblables à ce que j’ai pu traverser m’a vraiment marqué et donné encore plus envie de continuer dans ce genre de projet. »
L’univers
Car La Vie Rapide va au-delà du tatouage, et n’implique pas que Kevin : « Je vois La Vie Rapide comme un univers centré sur le tatouage autour duquel gravite le travail social mais aussi le visuel que je donne à ma communication, des liens avec la photographie, la vidéo, la musique, la mode, etc. » Et pour ça, La Vie Rapide a su s’entourer, à commencer par Léo, plus connu sous le pseudo Le Jeune Requin, ami d’enfance devenu son manager, également communication manager de la marque de vêtement Walk In Paris. « Avec Léo, on a énormément bossé sur l’image, sur une direction artistique qui nous plaisait tout en restant le plus fidèle à la personne que je suis. Dès le début, on était persuadé qu’il fallait réfléchir à chaque détail afin de réussir à véhiculer nos valeurs et ce qu’on aimait. Entre Requin et moi, il y a toujours eu une réelle connexion et stimulation artistique que ce soit à travers le tatouage, la mode ou le visuel : on se retrouve dans la créativité et l’amitié. »
Par ailleurs, Kevin nous l’affirme : « À travers La Vie Rapide, j’ai une réelle volonté de mettre Genève en avant. » Et dans cette optique, les collabs avec les artistes locaux s’enchaînent puisqu’on retrouve notamment derrière ses photos et vidéos les talentueux Laureat Bakolli, Alexandre Schild ou encore Dushan Zofka, ainsi qu’une forte fraternité artistique avec Aslo. « Je veux véhiculer de l’amour et de l’espoir, je veux montrer qu’on peut parler de ses sentiments, même et surtout quand ça ne va pas. J’ai toujours été dans un milieu très dur, où tu ne parles pas forcément de tes émotions, et c’est vraiment grâce à l’écriture et le tatouage que j’ai pu m’exprimer là-dessus. Donc à travers mon image, à travers ma DA j’ai envie de casser les codes, de pouvoir montrer des choses plus sensibles, plus sentimentales tout en restant moi-même et de dire que c’est une force, peu importe qui l’on est et d’où l’on vient. »
Reste une chose à éclaircir : pourquoi La Vie Rapide ? « La vie rapide ou l’envie d’être en vie sans limite. Je pense que c’est vraiment le nom d’artiste qui me correspond le mieux, mais ma définition évolue constamment selon ce que je vis. J’ai toujours vécu ma vie à mille à l’heure et fait énormément de choses en même temps, donc il y avait ce côté fast life que j’aimais bien. Toutefois, j’ai toujours été sensible au fait que tout va trop vite et que j’ai envie d’en profiter avec les gens que j’aime. Je dirais aussi que je ne veux plus perdre de temps et que je veux faire des choses qui me tiennent vraiment à cœur ; j’ai un peu cette obsession de me dire que je ne ferai plus jamais quelque chose dont je n’ai pas envie. Le plus important pour moi c’est de me sentir bien dans ce que je fais et de prendre soin de moi et de ceux qui m’entourent. »
La Vie Rapide tatoue au Grain, dans son atelier à Genève, mais se déplace régulièrement en guest. Ces prochaines semaines vous pourrez le retrouver entre autres à Lyon, Paris et Amsterdam. Plus d’infos en suivant son compte Instagram.