Laureat Bakolli, le portrait comme miroir de l’âme

© Laureat Bakolli

Quand d’aucuns s’expriment avec des mots, Laureat Bakolli parle avec son objectif : à travers ses photographies, le Genevois donne à voir la beauté des êtres et l’incandescence de chaque visage. Rencontre avec un photographe-réalisateur autodidacte très demandé, à la passion bouillonnante.

« Je n’ai jamais été très à l’aise avec l’écriture ou pour exprimer verbalement ce que je ressens. En fait, j’ai toujours aimé apporter mon regard à travers l’image. » C’est par ces mots que Laureat Bakolli estime pouvoir le mieux décrire son attrait irrépressible pour la photographie. Le Genevois de 31 ans cultive un sens esthétique rare, d’une beauté déconcertante, aux tons simples, bruts mais follement enchanteurs. Organique, le travail de l’artiste se démarque par sa sincérité et son acuité à capturer la profondeur que chacun·e·x de nous recèle. D’un naturel pudique, Laureat n’éprouve aucune difficulté à endosser le rôle d’homme de l’ombre, de maître sensible de la caméra qui sublime son modèle de façon quasiment instinctive.

Un apprentissage autodidacte de la photographie

C’est que cet artiste est presque né avec un appareil photo dans les mains : « Gamin, je prenais toujours l’objectif de mes parents. J’ai par ailleurs acheté mon premier argentique à l’âge de quatorze ans seulement. » Laureat a commencé à pratiquer la photographie avec ses ami·e·x·s, de façon informelle, en immortalisant des moments de vie ou ses expériences nocturnes. Pourtant, ce n’est pas vers cette voie qu’il s’est orienté quand il a décidé d’entreprendre des études tertiaires, puisqu’il a réalisé un Bachelor en communication visuelle. Après ce cursus, Laureat a été engagé dans une agence de publicité, dont il a supervisé la direction artistique pendant près de trois ans. Mais le jeune homme y rongeait son frein : « Cela me manquait beaucoup de ne pas pratiquer ma passion. En fait, je mandatais des photographes et réalisateur·rice·x·s que j’enviais, car iels avaient la liberté de produire de l’image. »

© Laureat Bakolli

Puis le déclic est arrivé. À 25 ans, Laureat a quitté son emploi pour se lancer en tant que photographe indépendant, après avoir « bouffé » des heures de tutos sur Internet. « J’ai été poussé par ma curiosité et par une grande envie. Toutefois, cela n’a pas toujours été facile : je ressentais au début une forme de syndrome de l’imposteur face à des professionnel·le·x·s qui avaient une technique leur permettant de photographier à la perfection. » Néanmoins, Laureat a rapidement comblé ce déficit initial, à force d’étudier en profondeur un domaine dont il a souhaité maîtriser « l’ensemble du champ lexical ». « Au début, j’acceptais tous les mandats ; je n’étais d’ailleurs pas souvent payé. Je crois que la reconnaissance de mon travail est d’abord venue par les réseaux sociaux, par les retours que j’ai reçu via ces canaux-là. » Puis, les mandats ont commencé à se succéder à un rythme toujours plus soutenu.

Désormais, Laureat a un agenda bien fourni ; le Genevois se trouve souvent sollicité, et pas seulement pour des projets liés à la photographie. En effet, l’artiste arbore plusieurs casquettes puisque, à côté de sa pratique du troisième art, il poursuit une activité intense de chef opérateur et de réalisateur sur des tournages de clips et de courts-métrages. Par exemple, c’est lui qui se cache derrière les images de lancement de Variété, le dernier single d’Aslo, ou qui endosse le rôle de responsable créatif et technique des prises de vue sur la plupart des œuvres du cinéaste Alexandre Schild.

La lumière naturelle au service de l’art du portrait

Quand il s’agit d’évoquer son mode de travail, Laureat révèle n’employer que l’argentique. « C’est un médium qui me plait énormément, car il retranscrit la photo pure. Il y a quelque chose de magique dans la couleur et le grain qu’il fait ressortir. À l’inverse de tout ce qu’il se passe aujourd’hui avec la photo digitale, cette manière de faire demande de la patience et du temps ; par conséquent, elle nous permet d’apprécier d’autant plus ce que l’on a photographié. Il y a même un petit côté artisanal à tout cela. » Le Genevois juge que sa créativité se trouve encouragée par le fait que cette technique lui donne relativement peu le droit à l’erreur : un travail d’observation intense lors du shooting voire, souvent, une inspection du terrain en amont sont nécessaires pour éviter tout gâchis. En effet, ses appareils de travail argentiques ne contiennent en moyenne que cinq pellicules et donc une cinquante de photos possibles. « Je crois que les modèles se rendent également compte que chaque photographie est précieuse, puisque le bruit de l’appareil, si particulier, est assez déstabilisant. »

© Laureat Bakolli

Au-delà d’une technique travaillée, Laureat a une marque de fabrique précise : un intérêt marqué pour la lumière naturelle et la photographie en extérieur. « J’aime jouer avec la lumière, la modeler. Je ne travaille jamais en studio, mais toujours dans des espaces urbains ou naturels, voire parfois même chez moi. J’aime d’ailleurs beaucoup les jours gris, car la lumière est bien diffuse dans ces circonstances-là. Globalement, je ne dirais pas que j’ai un lieu préféré pour shooter : ce qui m’intéresse surtout, ce sont des situations de lumière. » Par ailleurs, Laureat explique avoir une affection particulière pour la pratique du portrait : « J’aime mettre en valeur les gens. Je partage toujours le plaisir de personnes qui n’ont pas forcément l’habitude d’être prises en photo mais qui sont super heureuses lorsqu’elles découvrent le travail que j’ai réalisé sur elles. » Surtout, Laureat est quelqu’un de très sociable, qui aime sortir sur Genève ; pour lui, la photo est une manière de créer ou d’approfondir un lien : « Si je croise quelqu’un avec qui j’ai un bon contact, avec qui j’ai établi une relation, prendre en photo cet individu est une manière de se rencontre dans un autre cadre. C’est aussi une façon pour moi de lui offrir quelque chose. »

Des projets et des rêves plein la tête

À l’heure de porter un regard critique sur sa pratique actuelle, Laureat hésite un peu : « Je n’ai pas peur de dire que je suis assez fier de moi, de l’esprit conquérant dans lequel je suis. Néanmoins, j’aimerais à l’avenir construire un projet fil rouge qui s’inscrive dans la durée, et qui change du rythme dicté par les différents mandats ponctuels que j’ai par ailleurs. » L’artiste révèle avoir débuté un projet sur le Kosovo, son pays d’origine : « Il s’agit d’un travail très personnel, sur mes racines, pour lequel je rencontre sur place pas mal de personnes de façon assez spontanée. Le Kosovo reste un endroit auquel je suis très lié ; je m’y rends environ tous les trois mois. J’aimerais bien en tirer quelque chose de sensible, pourquoi pas un livre ou une exposition. » C’est la première fois que Laureat se lance dans un travail de cette ampleur affective et temporelle ; le photographe explique ainsi vouloir attendre un peu avant d’en partager davantage.

© Laureat Bakolli

Laureat ne manque globalement pas d’ambitions. Parmi ses envies, celle de créer une sorte de structure ou de collectif qui fédère les différent·e·x·s photographes genevois·e·x·s tient une place de choix : « Je trouve que la photo n’est pas assez poussée dans notre ville, alors qu’il y aurait un vrai partage de connaissances à organiser. Cela se passe déjà de façon informelle, puisque que l’on se recommande entre nous, mais ce serait intéressant de monter quelque chose de plus concret. » C’est que Laureat aime construire une équipe ; le photographe révèle apprécier être très entouré sur ses tournages et ses shootings : « J’ai déjà embarqué avec moi pas mal de jeunes, que j’aime suivre en parallèle dans leurs différents projets artistiques. Je souhaite être dans le partage et la transmission. »

Laureat sait fort bien lui-même à quel point le rôle d’accompagnateur auquel il aspire peut s’avérer clé dans une carrière : « Il y a quatre ou cinq ans, j’ai vécu une période lors de laquelle j’avais quasiment arrêté la photographie, car j’étais très insatisfait, surtout parce que je ne travaillais pas assez à mon avis. J’ai eu la chance, à ce moment-là, de pouvoir compter sur le soutien de mon ami Loïc Herin, qui est un photographe très talentueux. Il a su me re-motiver et me montrer de nouvelles techniques toute en me prêtant du matériel : il m’a bien boosté et j’ai énormément appris à ses côtés. » Dans cette même veine, Laureat révèle avoir comme rêve de devenir un jour enseignant, ou du moins d’organiser des workshops de photographie dans des écoles primaires : « Ce serait l’occasion d’amener les enfants différemment à la photo, en parcourant le processus artistique de A à Z. »

© Laureat Bakolli

Un talent aussi rare que précieux

Bien que fourmillant de projets toujours plus audacieux et éloignés géographiquement, le photographe ne perd pas de vue d’où il vient, puisqu’il continue de soutenir un grand nombre d’artistes genevois·e·x·s dans leurs expérimentations. « Je demeure fortement attaché à Genève ; je me sens bien dans cet espace. Si beaucoup de personnes désirent immédiatement s’en aller d’ici, pour Paris par exemple, ce n’est pas mon envie. » Il s’agit, à n’en pas douter, d’une grande chance pour le microcosme culturel du bout du lac, tant le talent de Laureat magnétise celles et ceux qui ont l’occasion de découvrir son formidable travail.

Les photographies de Laureat Bakolli sont à retrouver sur son compte Instagram.

Tags sur cette publication
, , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.