Première expo institutionnelle pour Sarah Benslimane

Sarah Benslimane, "dreamstime", 2022 ©MarieBrocher

Jusqu’au 8 janvier 2023, le Centre d’art contemporain accueille « dreamstime », une exposition personnelle de Sarah Benslimane. Une première exposition institutionnelle pour une jeune artiste qui se démarque. Présentation de l’expo et entretien avec Sarah.

« Dreamstime »

Le titre de l’exposition reprend le nom d’une célèbre plateforme d’images stock. Reconnues pour leur aspect kitsch et décalées, les photographies de ces banques d’images entretiennent un rapport étrange et parfois distant avec la réalité. C’est aussi le cas du travail de Sarah Benslimane.

De gauche à droite : « Untitled », « Cumfy » et « Tic Tac Toe » © Marie Brocher

L’illusion parcourt les œuvres présentées au Centre d’art contemporain. Le faux marbre se fissure, laissant s’écouler sa lymphe, mélange de peinture et de fragments de plastique coloré. La lune phosphorescente s’accroche à un ciel rose pale en polaire où s’écrivent en perles plastiques les mots « trash », « idiot », « wine » ou encore « smile ». Faux lierre, gazon synthétique, papier holographique et strass.

« dreamstime » et « 20-13-28-131-1 » © Marie Brocher

Si 20-13-28-131-1 semble dépourvue de faux-semblants, se présentant comme une œuvre plus classique, ancrée dans un style reconnaissable, on y retrouve un autre intérêt de l’artiste : la répétition comme règle. Ce motif, ces chiffres qui se comptent eux-mêmes, donnent à cette peinture un aspect quasi ornemental que Sarah Benslimane se plaît à exploiter.

Entretien avec Sarah Benslimane

Dans le texte de l’exposition écrit par Mitchell Anderson, il est précisé que tu viens d’un milieu ne te prédisposant pas à l’art. D’où viens-tu alors ?
Je suis née à Beaune en 1997. Mon père est algérien et musulman pratiquant et ma mère est franco-suisse, j’ai donc les trois nationalités. Les deux sont médecins, j’ai grandi dans un certain confort matériel, sans grande privation. Mais l’art n’intéressait pas mes parents. La première fois que je suis entrée dans un musée, c’est au moment où je voulais entrer dans une classe préparatoire en art.

Si tu n’y as pas été sensibilisé par ta famille, d’où est venu cet intérêt ?
C’est une sorte de déclic. J’ai toujours aimé créer et analyser les formes, et j’avais l’impression d’être faite pour ça.

Détail de « Untitled » © Marie Brocher

Comment se sont passées tes études d’art ?
J’ai commencé par une classe préparatoire, à Beaune. Des petits groupes de 20 à 25 élèves, une bonne ambiance et un endroit où j’avais mes marques. Ensuite, je suis allée poursuivre mes études à Besançon, parce que mon chéri étudiait là-bas. Ça a été une des pires erreurs de ma vie, je n’ai apprécié ni l’enseignement, ni l’ambiance. Ce fût une longue année de déprime.

C’est donc après cette expérience difficile que tu intègres la HEAD ?
Oui, en 2018 j’ai décidé d’y entrer en première année, sans essayer de faire valoir des équivalences pour commencer en deuxième. J’avais l’impression de devoir rattraper une année.

Détail de « Cumfy » © Marie Brocher

Pourquoi as-tu choisi la HEAD ?
J’avais visité les portes ouvertes pendant ma prépa. Sur le moment je n’ai pas accroché, il y avait quelque chose de trop professionnalisant, tourné vers l’argent et la réussite individuelle ; c’est pour ça que j’avais à ce moment décidé de m’orienter vers Besançon, une école plus roots. Finalement, je me suis rendu compte que je voulais avoir des opportunités pour mon travail. La HEAD a le réseau et les moyens nécessaires. Je veux être artiste, et en vivre, alors c’est important d’être dans une école reconnue.

Dès le début, tu envisageais de vivre de ta pratique ? C’est super ambitieux, non ?
Oui, oui. Dès le début c’était clair pour moi. Si je fais de l’art c’est pour marquer l’histoire de l’art, pas faire les choses à moitié. Je veux changer l’art, apporter ma pierre à l’édifice. Pour moi, l’art c’est une science qui se travaille et se maîtrise.

Et comment tes parents ont reçu cette ambition ?
C’était très dur. Mais je pense que lorsque ma mère a vu que mes notes et les appréciations de mes professeur·e·s étaient bonnes, elle a compris et a été rassurée. Je dois cependant toujours continuer à les convaincre et à leur montrer que ce que je fais à du sens.

« 20-13-28-131-1 » © Marie Brocher

Tu dis vouloir « marquer l’histoire de l’art ». Quel rapport entretiens-tu avec elle ?
L’histoire et la théorie de l’art sont hyper importantes pour moi. Je lis beaucoup de textes sur l’art, comme ceux de Donald Judd. Ce qui m’intéresse dans l’histoire de l’art c’est aussi sa dynamique, les processus qui font bouger l’art. Évidemment, je me concentre sur l’art du XXe siècle, mais j’ai aussi passé une année en histoire de l’art avant la prépa, ce qui m’a donné des bases en art « classique ».

Quelle place a cette histoire dans ta pratique ?
J’ai l’impression d’avoir compris pas mal de choses sur l’art. Ces lectures et cette histoire m’ont nourrie, mais je n’ai plus besoin de m’y référer ; j’ai pu digérer cette histoire. Je continue par contre beaucoup à suivre ce qu’il se passe dans ma génération et dans des pratiques proches de la mienne.

Mitchell Anderson évoque les courants neo-géo et simulationnistes. Qu’en penses-tu ? Est-ce que tu te reconnais dans ces classifications, ou est-ce juste une étiquette imposée par un regard externe ?
C’est clair que les formes minimales, conceptuelles, très procédurales, qui questionnent l’art sont celles qui m’intéressent et me touchent. Je trouve que cela crée un art cérébral qui résonne avec ce que je veux faire. Mais je ne veux plus citer d’autres œuvres ou d’autres artistes. Pour faire bouger l’histoire de l’art, il faut se sortir les doigts et faire du neuf.

La jeune création au Centre d’art contemporain

Le Project Space, une salle au dernier étage est quasiment dédiée aux jeunes artistes. Pour Andrea Bellini, directeur du Centre d’art contemporain depuis 2012, cet espace d’exposition est parfait pour accueillir de jeunes artistes. « Nous avons deux étages de 500m², alors c’est bien d’avoir un espace plus contenu pour les plus jeunes, c’est moins risqué », explique-t-il. 

À l’été 2021, c’est en participant à un jury de fin de bachelor de la HEAD qu’Andrea Bellini découvre Sarah Benslimane. En échangeant avec Fabrice Stroun, commissaire d’exposition et professeur dans cette école, l’idée de lui consacrer une exposition personnelle apparaît. 

« À l’époque, le travail de Sarah était déjà très bon. Lorsqu’on lui a proposé l’exposition, elle nous a demandé un budget de production et nous le lui avons accordé. Les cinq pièces qu’elle nous a présentées sont excellentes. C’est une artiste qui prend des risques et qui fait constamment évoluer sa pratique ; elle a tout pour avoir une belle carrière. » À ce propos, on notera que le MAMCO a fait l’acquisition d’une des œuvres exposées qui devrait donc rejoindre ses collections. 

On peut suivre Sarah sur Instagram, @sarah.bsline, et l’excellente programmation du Centre d’art contemporain sur son site.

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