Jusqu’au 28 mai prochain, la galerie d’art Papier Gras accueille l’exposition Tiny Tragedies. Une série d’illustrations qui raconte des histoires de violences sexuelles avec simplicité et toujours de façon juste, afin de sensibiliser. Pour EPIC, je suis allée à la rencontre de sa créatrice Julietta, qui se prête au jeu des questions-réponses. Interview.
Salut Julietta ! Est-ce que tu pourrais te présenter et nous dire en quelques mots qui tu es ?
Oui, bien sûr ! J’ai vécu toute ma vie aux États-Unis et j’ai emménagé en Suisse en 2016 pour poursuivre des études en graphisme. J’ai étudié une année à l’ECAL, puis j’ai poursuivi mon parcours à la HEAD en Illustration et Communication Visuelle. Actuellement, je travaille au sein du Paléo Festival, en tant qu’interactive media designer.
Depuis quand est-ce que tu dessines ? Comment t’es-tu orientée vers le graphisme ?
J’ai toujours adoré dessiner, depuis petite, mais quand j’étais aux États-Unis on m’a toujours dit que je ne pourrais pas en faire mon métier. Après mon gymnase terminé, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. C’est une fois arrivée en Suisse que mon oncle et ma tante m’ont fait découvrir la multitude de métiers qui existent en design et en arts. C’est suite à cela que j’ai commencé à préparer des portfolios pour rentrer dans des écoles de graphisme.
En ce moment tu exposes à Papier Gras une série d’illustrations tirée de ton projet Tiny Tragedies. Peux-tu nous raconter ce que c’est ? Pourquoi tu as choisi de le nommer ainsi ?
Tiny Tragedies, c’est un projet que j’ai commencé dans le cadre de mes études à la HEAD. Le projet devait se construire autour du thème de l’amour et plus précisément des peines d’amour. J’ai commencé à récolter autour de moi des vrais témoignages et petites histoires amoureuses qui finissent mal. Je les ai ensuite retranscrites sous forme de bandes dessinées minimalistes et délicates. Ça a bien marché, le retour des gens était assez positif parce que c’était rapide et facile à lire. De mon côté, je pouvais en produire beaucoup en peu de temps et c’était un projet qui pouvait vivre à long terme.
Plus tard, pour mon projet de Bachelor, j’ai décidé de reprendre ce sujet et de le politiser. Je me suis dit que c’était un format qui était vraiment accessible et que les gens aimaient bien lire, alors autant en profiter pour parler d’une cause plus pertinente et engagée. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de traiter le sujet des violences sexuelles.
Dans l’approche, ça été radicalement différent de parler de cette thématique par rapport aux peines d’amour, notamment au niveau des illustrations. De base, le projet s’intitulait Tiny Tragedies et il avait une connotation assez innocente, ça rendait le projet mignon. Après le changement de thème j’ai voulu garder le même titre, mais j’ai ajouté un trait sur Tiny pour démontrer que le sujet était plus sérieux.
Les illustrations sont plutôt minimalistes, pourtant le poids des histoires peut être assez lourd. Pourrais-tu nous expliquer ce choix ?
Les images et les textes minimalistes rendent le sujet facile à lire et le but est que les lecteur·ice·x·s puissent très vite comprendre ce qu’il s’est passé. Qu’iels puissent également ressentir l’émotion qui s’en dégage et que ce ne soit pas trop pesant, pour privilégier la sensibilisation au sujet. Dans d’autres projets, quand les histoires sont très lourdes, on se limite à regarder un seul témoignage et je me suis rendu compte que ça ne laissait pas la place aux autres voix qui ont besoin d’être entendues, parce que le format ne s’y prêtait pas.
À San Francisco, pendant les années 60 et 70 il y a eu un mouvement alternatif appelé Underground Comix, qui était très engagé contre la censure. Le support utilisé par les artistes était les BD et iels traitaient des sujets qui leur tenaient à cœur ou effectuaient des autobiographies. Du coup, je me suis inspirée de ce mouvement pour parler d’un sujet qui me passionne.
Sur la première partie du projet, quand j’évoquais les peines d’amour, je me suis permise d’être plus caricaturale avec des personnages humoristiques. Quand je suis passée aux violences sexuelles, j’ai cherché à faire des dessins plus fins et minimalistes. J’utilise souvent des métaphores. Je raconte les histoires avec des tasses ou des fleurs, avec des objets plus poétiques. Il y a quasiment aucune personne illustrée pour éviter de montrer des images explicites ou qui peuvent choquer. Ça me permet aussi de répondre à une question d’inclusivité et que chacun·e·x puisse s’identifier aux différents récits.
Par quel biais as-tu collecté toutes ces histoires et en combien de temps ?
La réalisation du projet m’a pris six mois en tout. Pour la collecte des histoires, les gens avaient la possibilité de venir se confier à moi directement. J’ai également créé un lien vers un formulaire anonyme où j’invitais les personnes à remplir quelques lignes pour partager leurs récits. C’est d’ailleurs par ce biais que j’ai récolté le plus de témoignages. Finalement, il y a certaines des illustrations qui reflètent mon vécu personnel.
Quels retours as-tu eu des personnes qui ont choisi de te faire confiance et qui ont partagé leur histoire avec toi ?
J’ai eu très peu de retours mais ils étaient tous super positifs et touchants. Ces personnes-là étaient vraiment reconnaissantes et avaient le sentiment que leurs histoires étaient validées, qu’elles avaient un poids. Quand on traite le sujet des violences sexuelles, on entend plutôt les récits des personnes qui ont vécu des épisodes vraiment graves. Paradoxalement, les personnes qui ont d’autres histoires un peu moins fortes se sentent alors moins légitime ou importante pour témoigner. Tiny Tragedies a une tonalité plus simple qui met toutes les histoires à la même échelle et tout le monde peut être entendu.
Selon toi, quelle musique devrait-on écouter pendant qu’on se balade au cœur de cette exposition ?
J’ai presque envie de dire qu’il ne faut rien écouter, afin de laisser la place aux voix que tu es en train de lire de s’exprimer sans interruption !
Cette exposition, sauf erreur, découle d’un prix que tu as remporté qui s’appelle « Prix Cryptogame de l’AGPI 2021 ». Est-ce que tu peux nous expliquer en quelques mots ce que c’est ?
J’ai remporté le prix Cryptogame organisé par l’Association Genevoise pour la Promotion de l’Illustration dans le cadre de mon travail de bachelor réalisé à la HEAD. Ce prix permet entre autres d’éditer son projet et d’en faire un vernissage. Dans mon cas le projet a été décliné sous forme d’un petit livre qui est disponible en vente à Papier Gras.
Jusqu’à quand peut-on voir cette exposition et, surtout, comment est-ce qu’on peut soutenir ton travail ?
L’exposition est ouverte jusqu’au 28 mai et vous pouvez suivre mon travail sur le compte Instagram Tiny Tragedies, où je compte continuer de faire vivre le projet.
L’idée à long terme est que je continue sur cette lancée pour que d’autres témoignages puissent être entendus. J’aimerais aussi faire des partenariats avec des associations pour continuer ce volet de sensibilisation !