Du 27 juin au 1er juillet, le Collectif des In-Visibles nous emmène dans une déambulation performative au coeur du cimetière des rois. L’occasion de faire renaître les passions des nombreuses femmes artistes enterrées et de faire découvrir au public des artistes actuelles tant dans le théâtre que dans la danse, le chant, le cirque… Cette performance entre mystique, ironie et tendresse est en préparation et nous avons pu en discuter avec Nathalie Mastail-Hirosawa, co-créatrice du projet et artiste, ainsi que Sarah Marie et Louise Bille, qui performeront toutes deux également.
Des nuages… à un collectif artistique
Créé pour l’occasion par Nathalie Mastail-Hirosawa et Rosangela Gramoni, le collectif des in-visibles réunit vingt-six artistes, vingt-six femmes qui dialogueront avec les invisibles, leurs homologues enterrées au cimetière des rois. À l’origine, Nathalie et Rosangela se promènent dans le cimetière des rois avec l’idée de réaliser un film sur les nuages. Raté, ce jour-là le ciel est clair ! Ce sont donc sur les tombes que les femmes penchent leurs regards, et en particulier sur celles dissimulées, cachées dans les buissons. Au fil de leurs discussions, toutes deux se fascinent pour l’idée d’un dialogue avec l’invisible, avec les mort·x·e·s et ce qu’iels laissent derrière elle·eux.
C’est l’idée de continuer à cheminer avec nos mort·x·e·s, de trouver des objets, des gestes ou des détails qui nous font penser à elle·eux.
Petit à petit, l’envie de parler de celles qui reposent là grandit, notamment avec celles que les deux artistes affectionnent particulièrement comme Alice Rivaz et Grisélidis Réal, mais aussi celles qu’elles n’avaient pas encore remarquées : « j’ai commencé à me demander qui était enterré là, j’ai pu obtenir la liste du cimetière et je me suis rendue compte qu’il y avait plus de femmes que d’hommes, avec 370 tombes et 230 noms de femmes, dont de nombreuses artistes ! ». Comme une nécessité face à cette découverte, Nathalie raconte qu’elles ont eu à coeur de monter une performance avec 100% de femmes, d’où naît le collectif des in-visibles, la liaison entre les vivantes et les enterrées choisies, une douzaine au total. C’est ainsi qu’a débuté l’aventure de « La Ballade des Reines », une préparation de longue haleine pour réunir ensuite ces vingt-six femmes talentueuses.
Donner un sens aux coïncidences
Au programme des six représentations, un large éventail créatif qui nous emmènera du côté du chant lyrique, du théâtre, de la danse et du cirque. Un spectacle qui s’articulera en tableaux rendant hommage à chacune, en solo, duo ou trio. L’enthousiasme de Nathalie est palpable lorsqu’elle revient sur les différentes rencontres qui ont formé le collectif.
Les rencontres ont à chaque fois été très organiques, les évènements et même des surprises ont fait que les choses se tissaient naturellement au fur et à mesure.
Les discussions font aussi apparaître des connexions ou des coïncidences qui réjouissent les organisatrices. Marcela San Pedro, danseuse et chorégraphe, raconte par exemple qu’après des années de travail avec Noémie Lapsezon à Genève, elle n’a pas pu lui dire au revoir, l’occasion lui est alors offerte de nouer un lien nouveau avec la célèbre chorégraphe enterrée là.
Des désirs, des histoires et des secrets
Pour Nathalie Mastail-Hirosawa, c’est une performance pleine d’ironie qui se dessine. Avant même le décès de l’iconique Grisélidis Réal, celles-ci partageaient le même désamour pour Calvin et Nathalie avait l’ambition de créer une performance provocante sur le réformateur. Cela ne s’est pas fait, mais quelques années plus tard voilà que la poétesse est enterrée en diagonale de Calvin ! « L’idée m’a été offerte sur un plateau de rendre hommage à Grisélidis, tout en me moquant un peu de Calvin, c’est même essentiel ! ». Et ces coïncidences tour à tour drôles ou touchantes s’enchaînent et se retrouvent pour toutes les artistes participantes.
Sarah Marie, danseuse mais aussi écrivaine de formation, performera un duo avec la circassienne Julia de Felice dédiée à Marie Panthès. Les deux artistes ont fondé ensemble la compagnie à corps battants. Leur performance s’articulera autour de cette tombe avec, comme l’évoque Sarah Marie, « la volonté de faire cohabiter deux identités fortes de Marie Panthès, la posture d’enseignante et d’interprète. L’enjeu est d’honorer ces deux parties-là ». Un travail qui se construit dans des propositions de poids et de contre-poids, le partage et le soutien d’une artiste à l’autre, dans la vie comme en performance.
Louise Bille, que l’ont connaît de sa carrière de danseuse interprète sur la scène genevoise, s’est quant à elle penchée sur une tombe un peu particulière. En effet, l’artiste Sophie Calle a créé une tombe dans laquelle sont enterrés les secrets d’inconnus. Touchée par l’artiste et ses jeux conceptuels avec le public, Louise nous partagera une performance sonore. Avec le désir de créer un lien entre toutes ces femmes, celle-ci a interrogé chaque participante sur son histoire de vie, à la frontière entre intime et universel. « J’ai fait le choix d’une performance sonore, donc j’ai choisi d’être invisible, en contrepoint des autres performances, puisque contrairement aux autres artistes Sophie Calle est encore ”visible”. C’est une performance qui invite dans l’intimité. Le secret est représenté aussi par l’anonymat dans le mix de ces voix. » Louise explique par ailleurs que Sophie Calle parle souvent d’absence dans son œuvre, d’où son choix de rester en retrait et de laisser ces voix parler d’elles-mêmes au sein de ce tissage sonore.
C’est donc dès le 27 juin et jusqu’au 1er juillet que la « Ballade des reines » aura lieu, dès 19 heures chaque jour et en prix libre, au cimetière des rois à Genève. Et s’il y a une seule chose que l’on peut souhaiter à cette belle équipe, c’est d’éviter les orages d’été, puis de venir nombreux·ses assister à une performance unique en son genre !