Manito, ou quand le reggaeton fait bouger la Romandie

Le Genevois Manito, chanteur de reggaeton, détonne dans le paysage musical suisse romand.

Un chanteur de reggaeton suisse romand, cela vous semble impossible ? Pourtant, le Genevois Manito vient de sortir le 6 août dernier Con el Corazón, un premier EP totalement imbibé de sonorités tout droit venues d’Amérique latine. Rencontre avec un petit phénomène plein de fougue, de rêves et de projets, qui détonne assurément dans notre paysage musical.

Pourrais-tu te présenter ?

Je m’appelle Manito, qui est tiré de Romanito, surnom que me donnent mes amis. Je suis actuellement étudiant en première année à l’École Hôtelière de Lausanne. J’ai obtenu ma maturité gymnasiale au Collège Sismondi à Genève en 2019, puis j’ai pris une année sabbatique car je devais effectuer mon service militaire. J’ai également profité de cette période de ma vie pour partir en Amérique latine, ce qui a été déterminant pour la suite de mon parcours.

Comment ton projet musical a-t-il démarré ?

J’ai toujours aimé la musique latine. Durant mon enfance, je me rendais chaque été en Espagne pour voir ma grand-mère ; je baigne ainsi depuis longtemps dans cette culture-là. Ma passion pour le reggaeton en particulier a débuté lors de mon premier voyage en Amérique latine, dans le cadre de mon extra-muros en troisième année du Collège. Je connaissais bien sûr déjà ce style de musique, mais sans m’y intéresser plus que cela. Ce voyage m’a véritablement ouvert les yeux, et c’est à partir de là qu’écouter du reggaeton est devenu l’un de mes passe-temps préférés. Ce genre musical évoque pour moi le voyage, la liberté, la joie de vivre, la fête. Je trouve que l’ambiance qui se dégage de cet univers est hyper positive.

C’est seulement deux ans après cette première expérience, durant mon année sabbatique, que j’ai eu le déclic de vouloir faire un son. J’ai toujours aimé chanter et je pense que l’envie de produire une chanson faisait partie des pensées enfouies en moi depuis longtemps. Mais il faut bien comprendre qu’à l’origine je voulais seulement sortir de la musique pour le fun, sans imaginer un projet plus sérieux par la suite !

Cela aurait donc dû être un one shot ?

Exactement. Au printemps 2020, à l’approche de ma rentrée en classe préparatoire de l’EHL, je réalise qu’il me reste alors cinq mois de vacances. Je me dis à ce moment-là que si je ne fais pas un son à 20 ans alors que j’ai plein de temps devant moi, je ne le ferai jamais. Je me suis ainsi lancé dans cette aventure sans aucun repère, et c’est comme ça que j’ai sorti mon premier morceau Ganas, accompagné d’un clip dans lequel ont figuré beaucoup de mes potes.

Le goût de Manito pour la musique latine lui vient tant de son enfance que de ses voyages sur les terres d’origine du reggaeton.

Qu’est-ce qui t’a motivé, après Ganas, à faire perdurer cette expérience ?

Il faut savoir que je ne m’attendais pas du tout à autant de retours positifs à la sortie du clip, que ce soit de la part de mon entourage mais aussi sur les réseaux sociaux. Beaucoup de gens d’Amérique latine m’ont contacté pour me dire qu’ils avaient apprécié ce premier travail, tant au niveau de la qualité de la musique que de l’image que je pouvais dégager. Il me restait alors deux mois de vacances, et j’ai été tellement surpris et fier de cette réception que cela m’a convaincu de réaliser une deuxième chanson. À ce stade-là, je voyais encore cette expérience musicale comme un simple délire, une sorte de kiff de l’été que je conclurais à la fin de mon année sabbatique.

J’ai donc dévoilé ce deuxième son, Ángel o Demonia, assorti d’un clip, et là les choses ont pris encore plus d’ampleur. Je me suis ainsi retrouvé diffusé par One FM, ce qui m’a donné un élan déterminant. Je l’ai en effet interprété comme une sorte de validation externe, et cela m’a poussé à vouloir donner encore davantage de moi-même. À la rentrée, les gens de mon école ont également croché avec mes sons, ce qui a constitué un surplus de motivation pour continuer dans cette voie. 

Quel est ton processus d’écriture ? De quoi t’inspires-tu ?

Je m’inspire énormément de mes différents voyages en Amérique latine, de ce que j’ai pu y vivre. Quand je suis là-bas, je n’évolue pas dans la même réalité qu’en Suisse. Pour être honnête, j’écris très lentement, car je prends du temps à réaliser des projets de manière générale. La difficulté supplémentaire est que l’espagnol n’est pas ma langue maternelle. Je me sens néanmoins plus libre quand je m’exprime dans cette langue, car je peux mieux expliciter ce que j’ai vécu durant mes séjours. De plus, j’ai eu l’occasion d’avoir des expériences assez folles en voyage et de faire un certain nombre de rencontres affectives. Je m’en inspire beaucoup : ainsi, chaque chanson décrit un événement ou une relation véridique. 

Les clips ont l’air d’avoir une importance primordiale pour toi. Comment cela se passe à ce niveau ? Comment les imagines-tu et de qui t’entoures-tu pour les réaliser ?

Il faut savoir que je suis quelqu’un de très perfectionniste, je suis très exigeant envers moi-même et envers les personnes avec qui je travaille. Les clips sont fondamentaux pour moi, car c’est le moment où je peux gérer l’image que j’ai envie de renvoyer, où je m’approprie moi-même. Après, chaque clip a une histoire différente. J’ai confié la réalisation de mes deux premiers à YES WE DID, un jeune réalisateur genevois talentueux, qui a également monté un clip que je vais bientôt sortir, Sueño Lúcido, car je n’étais pas satisfait du résultat proposé par les personnes avec qui j’ai collaboré lors de mon séjour au Mexique.

Ángel o Demonia, réalisé par WE DID IT, est le deuxième clip de Manito.

À ce propos, pourquoi es-tu récemment parti en Amérique latine ?

Je devais à l’origine effectuer un stage de préparation pour l’EHL à Hong Kong, mais j’ai vite senti que cet endroit n’allait pas être ma place. Le Mexique me faisait un réel appel du pied : j’y étais allé deux fois, et l’idée avait déjà mûri dans ma tête d’y tourner un clip. En l’espace d’une semaine mes plans ont totalement changé : j’ai sauté le pas et ai pris mon billet d’avion direction l’Amérique latine, sans faire d’autres réservations. En réalité, j’ai vécu ce voyage comme des montagnes russes totales et permanentes, un vrai ascenseur émotionnel. J’ai connu une période noire, où tous les malheurs du monde se sont abattus sur moi. Entre autres mésaventures, j’ai passé quinze heures en prison dans des conditions déplorables après m’être fait arrêter de façon arbitraire par la police à la sortie d’une boîte de nuit. C’est une histoire qui m’a passablement marqué. 

Comment te sentais-tu à ce moment-là ?

Ma famille – qui me soutient depuis le début de mon aventure dans la musique – voulait évidemment que je rentre. Mais, comme je l’ai déjà expliqué avant, je n’étais pas satisfait du montage de mon clip, je voulais par conséquent absolument en faire un autre. J’ai finalement organisé un tournage avec des réalisateurs américain et canadien, mais ils se sont fait cambrioler et voler l’entièreté de leur matériel deux jours avant le tournage. À ce moment-là, après tout ce qui m’est arrivé, je me suis retrouvé au fond du gouffre moralement. Je n’ai toutefois pas voulu en rester là : alors qu’il ne me restait qu’une semaine au Mexique, je suis tombé sur un caméraman argentin et j’ai fini par trouver un hôtel avec qui j’ai passé un accord pour y tourner. Dans le rush, j’ai mobilisé tous mes contacts mexicains pour trouver des figurants. Le clip, Tulum, a pu finalement se faire et s’est très bien déroulé.

Qu’est-ce que tu as tiré personnellement et artistiquement de cette expérience peu commune ?

Personnellement, cela a été une leçon de vie qui m’a montré qu’il ne fallait jamais baisser les bras. Il faut parfois serrer les dents, mais il faut toujours foncer et croire coûte que coûte en ses rêves. Professionnellement, cela m’a fait plaisir de voir que des locaux puissent apprécier ce que je propose en tant que Suisse, alors que ce style de musique vient de chez eux. J’ai été agréablement surpris de voir que mon accent étranger était vu comme une touche originale plutôt que comme quelque chose de dérangeant. Cela a également été l’occasion de collaborer avec plusieurs profils différents, ce qui m’a permis de me frotter à l’organisation de projets et à la gestion d’équipe, ce qui n’est pas toujours simple. C’est aussi au Mexique que j’ai décidé de réaliser mon premier EP.

Manito a sorti son premier EP le 6 août 2021. Il cherche désormais à développer de nouveaux projets, et désire notamment commencer à se produire sur scène.

Justement, comment gères-tu cette image atypique de chanteur de reggaeton en Suisse ? Comment expliques-tu le fait que tu sois aussi seul ?

Je trouve qu’il y a peu de scènes pour le reggaeton et la musique latino-américaine en Suisse, alors qu’il s’agit du style musical le plus écouté sur YouTube dans notre pays. Personnellement, j’ai soif d’expériences live, de faire de la scène. Je pense que c’est devenu mon but principal actuellement. Sinon, j’essaye d’être au maximum moi-même sur les réseaux sociaux, ce qui va avec l’idée que je me fais du reggaeton comme un type de musique spontané et chaleureux. Toutefois, je ne sais pas vraiment quelle audience je vise le plus à l’heure actuelle : est-ce que je dois m’adresser au local en français, au public très présent de l’EHL en anglais ou au monde latino en espagnol ? J’ai pour l’instant opté pour l’anglais, mais typiquement l’un des enjeux concernant ce statut de « mec qui fait du reggaeton en Suisse » est de savoir en quelle langue il est préférable que je m’exprime sur les réseaux sociaux. 

Quel regard portes-tu sur le processus qui t’a amené à sortir ce premier EP ? Quels sont les aspects sur lesquels tu aimerais encore travailler ?

Je pense que c’est la consécration de toute cette année un peu folle pour moi. C’est un projet qui regroupe tout ce que j’ai fait dans la musique jusqu’à maintenant, c’est un peu ma carte de visite. Par le biais de cette compilation de sons, je voulais montrer ce que je suis, quel est mon contenu. Concernant les points qui restent à améliorer, je pense que je peux travailler tout ce qui est back dans mes chansons, soit ce qui a trait au bruitage et aux sons dans le fond, même si je suis très content de mes mélodies. 

Quels sont tes projets futurs, et comment vois-tu l’avenir ?

Je sors conjointement avec mon EP mon premier merchandising : j’ai imaginé des t-shirts oversize de quatre couleurs différentes avec les initiales MBB, en référence à mon nom d’artiste. Concernant mon avenir, les idées et les projets fourmillent, beaucoup de choses sont en train de se passer. Il y a par exemple de fortes chances que je parte en septembre me produire en Colombie. Je suis malgré tout encore assez indécis par rapport à ce qui va suivre l’été, notamment en ce qui concerne la poursuite de mes études. Je vais donc me laisser du temps pour réfléchir, et je verrai bien où tout cela me mènera.

Retrouve Manito et sa musique sur Instagram, YouTube et les services de streaming musical !



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