En ce début d’automne et pour le seizième volet d’EPIC ESKIS, nous rencontrons Constance Flahaut, illustrateur·rice et tatoueur·euse qui nous parle de la place qu’ont les émotions dans sa pratique, leur aspect politique et l’importance du texte dans ses créations. Iel nous partage également le lien qu’iel établit entre l’illustration et le tatouage.
Salut Constance, déjà merci pour ton illustration ! Est-ce que tu peux te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Constance, j’utilise le pronom iel, j’ai 23 ans, j’habite à Genève et je fais de l’illustration et du tatouage comme activité principale depuis une année environ.
Pourquoi ce nom Vizzzualbandit ?
J’ai créé ce compte quand j’ai commencé à faire du handpoke, il y a environ deux ans. J’avais créé cette page parce que je voulais que mes potes puissent voir ce que je fais et je ne voulais pas le partager sur mon compte principal. Vizzzualbandit vient d’un générateur de noms pour films de cowboys, au départ j’en générais pour tous mes potes et quand je l’ai fait pour moi, je suis tombé·e là-dessus. Je trouvais ça trop bien et c’est comme ça que c’est devenu mon blaze. Je l’aime bien, je trouve qu’il me va bien et me fait rire.
Tu peux nous expliquer ton parcours ?
J’ai toujours dessiné. À la base, j’étais vraiment focalisé·e sur le tatouage et petit à petit, je me suis rendu·e compte que je me concentrais plutôt sur l’assemblage de différents motifs illustratifs qui n’étaient pas forcément destinés à être tatoués. Je suis passé·e de dessins purement esthétiques et visuels à des messages plus précis, à des histoires que je souhaitais raconter.
Au départ, je faisais des dessins assez simples, avec une seule ligne. Depuis quelques temps, je me tourne vers des formes plus abstraites, avec beaucoup de texte. Petit à petit j’ai incorporé de plus en plus de texte dans mes dessins, lui donnant ainsi une place centrale. Mes illustrations sont également plus colorées qu’à mes débuts, je me suis de plus en plus détaché·e du tatouage qui était initialement très lié à mes idées de dessins. Ces derniers mois, mes illustrations portent sur les thèmes de la vulnérabilité et de la fluidité, le tout avec des motifs plus organiques.
Qu’est-ce qui fait que tu te diriges davantage vers des formes abstraites ?
Dès le départ, j’ai été longtemps complexé·e parce que je n’ai jamais pris de cours de dessin. Dans les faits, je n’ai pas vraiment les skills de dessin, je n’ai pas de formation de graphiste ou de dessinateur·rice. Ne possédant pas ces compétences techniques, j’avais l’impression que je ne pouvais pas explorer autant que je le voulais avec mes illustrations. À partir de là, deux options s’offraient à moi : soit prendre des cours et m’entrainer à la technique ou alors partir dans tout autre chose. C’est là que l’abstraction a pris du sens… Je trouve que les formes abstraites permettent beaucoup plus que des formes concrètes. Un dessin figuratif avec du texte peut parfois être trop lourd et j’aime laisser la possibilité aux gens d’interpréter le message comme iels le souhaitent.
Dans mon travail, j’ai un rapport intime à l’écriture. J’ai toujours écrit depuis que je suis petit·e, ça a toujours été cathartique pour moi, c’est comme ça que je me vidais de mes émotions ; il était donc pour moi très important de garder du texte dans mes illustrations. Les illustrations que je publie et partage sont des bouts de moi-même, de l’intime. C’est beaucoup d’introspection et celle-ci ne pourrait pas se faire sans texte. Pour les couleurs, c’est pareil : au départ je faisais principalement des dessins en noir et blanc, notamment parce que j’étais concentrée sur le tatouage. Depuis que j’ai décidé de faire de l’illustration à part entière, ça m’a ouvert le champ des possibles au niveau des textures, des couleurs, du remplissage.
Pourquoi les émotions ont-elles cette place dans ta pratique, qu’est-ce qui te tient à cœur de transmettre à travers tes illustrations ?
Au départ, j’écrivais et dessinais dans mon journal intime de manière personnelle et puis j’ai remarqué que ça créait du lien avec les gens. À mes tout débuts, j’avais beaucoup de retours quand je publiais ces petits poèmes, ces phrases. Les gens me disaient : « Ça me parle trop, c’est exactement ce que je ressens ». Je me disais que je n’étais donc pas la seule à ressentir ces émotions intenses, ce raz-de-marée constant qui est en moi, je trouve ça beau de créer un lien autour de ça. Puis, plus je publiais, plus ce partage d’émotions devenait intense et intime et j’avais toujours envie d’aller au-delà des tabous lié aux émotions.
Il y a un aspect politique à mes dessins : je revendique aussi mon identité de genre, mon orientation sexuelle, je me revendique queer, c’est exprimé très clairement sur mon compte. Souvent on met en opposition militantisme / idées politiques et émotions alors qu’en fait, elles sont liées. C’est pour ca qu’elles sont au centre, j’essaie de méler ces deux questions ensemble, parler de féminisme, de queereness et d’identités.
Comment ton style s’est-il précisé ?
Ça s’est joué sur plusieurs aspects mais notamment le fait d’avoir sur les travers les réseaux sociaux des personnes qui me soutenaient. Ça m’a donné la confiance nécessaire pour évoluer dans mon style et assumer ce que je fais maintenant, j’ai l’impression d’aller beaucoup plus loin dans mes réflexions.
Je m’inspire également d’autres illustrateurs·rice·x·s tatoueurs·se·x·s qui m’ont aussi aidé·e à assumer ce côté poétique et émotionnel. Je pense notamment à ginginx, fifille, phaSe test et pleins de tattoo artists queer. Ça donne de la force de voir qu’il y a des personnes qui se font un nom en abordant ces thématiques-là.
Quel est le lien entre tatouage et illustration ?
Le tatouage m’a permis de commencer à faire de l’illustration. Maintenant, je tiens presque plus à l’illustration qu’au tatouage, c’est aussi accessible à un plus grand nombre de personnes. Je tiens à ce que tous les dessins que je propose en tatouage soient disponibles en format imprimé parce que certaines personnes ne veulent pas se faire tatouer. C’est ce que j’aime dans l’illustration : l’accessibilité.
C’est aussi en lien parce que c’est particulièrement touchant de voir que des personnes sont sensibles à des textes ou à dessins que je peux faire, qu’iels veulent les garder soit sur leur peau ou dans leur chambre. Et concernant le tatouage, c’est un moment très intime que tu partages avec les personnes que tu rencontres, tant le geste de tatouer que celui de se faire tatouer.
Pourquoi as-tu choisi cette illustration pour EPIC ?
Je l’ai choisie parce que je trouve qu’elle représente assez bien où j’en suis maintenant dans mes dessins. Les dessins réalisés auparavant étaient moins colorés ; là il y a ces formes abstraites que j’essaie d’explorer depuis peu, on dirait un peu des mitochondries pour le coup. Le point central ici est le texte, c’est plutôt rare qu’il soit en anglais d’ailleurs.
“Working on being my authentic self instead of desperately trying to be what i Think others want me to” est une phrase que j’avais d’abord écrite dans mon journal intime. C’est une réflexion que j’ai, qui est importante et qui touche pas mal de personnes, notamment les personnes qui ont été sociabilisées comme des filles ; on essaie de correspondre aux attentes qu’on pense que les autres ont de nous ou que les autres ont effectivement de nous et on peut s’y perdre. Pendant longtemps, j’ai essayé de me demander ce que les autres attendaient de moi, comment satisfaire leurs envies alors qu’à la base c’est aussi pour moi que je le fais. Cette illustration, c’est le symbole de ça.
Quels sont tes projets futurs ?
J’aimerais progresser dans le domaine du tatouage, trouver un équilibre entre mes différentes activités. J’ai aussi lancé un projet de « tarot-tattoo » : je rencontre une personne à qui je tire les cartes, je prends des notes pendant la séance, j’en fais un dessin, souvent à l’aquarelle, que je lui envoie. Cela peut s’arrêter là ou alors on peut l’adapter pour le tatouer. En ce moment, je réfléchis aussi à faire des vêtements avec certains de mes dessins.