[EPIC ESKIS N°20] Auriel

Tatouage, dessin, peinture… Auriel est inclassable, autant dans ses pratiques que dans la diversité de ses styles. Pour ce vingtième EPIC ESKIS, iel nous présente son univers et son rapport à la création, entre grande liberté et travail de précision.

Hello Auriel, peux-tu te présenter ?  

Moi c’est Auriel, je travaille comme artiste et tatoueur·euse·x à Blackend, un studio privé du centre-ville de Genève. Je tatoue là-bas et j’y peins aussi beaucoup. Avant de me lancer dans le tattoo, j’ai fait un Bachelor en histoire et en japonais. Je suis d’ailleurs arrivé·e·x à Genève pour mes études. Je suis de Lausanne à la base, et j’ai également vécu à Tokyo.

Comment es-tu arrivé·e·x à tes pratiques artistiques actuelles ?  

Ma période universitaire était très cool mais en arrivant au bout j’ai compris que je ne serais pas heureux·se·x·s si je devenais prof de japonais ou si je faisais de la traduction. Il me manquait vraiment quelque chose d’artistique donc j’ai décidé de prendre un virage à cent-quatre-vingt degrés et de me lancer.

Tu dessinais déjà à cette période ?

J’ai toujours dessiné mais je m’y suis vraiment mis·e·x sérieusement après l’université en ayant des emplois alimentaires à côté. Petit à petit j’ai pu me détacher de ça pour arriver à vivre du tatouage.

Dans l’idée tu t’orientais vers le tatouage dès le début ?

Le tatouage m’a toujours fasciné·e·x, j’ai commencé à me faire tatouer très tôt. Au début, je me disais que le milieu du tatouage n’était pas accessible, que c’était hors d’atteinte. Il y a vraiment cette dimension un peu magique du monde du tattoo, un peu secrète, où tu as l’impression que tu ne maitriseras jamais les techniques. Et quand j’ai commencé à me faire tatouer le monde du tatouage était beaucoup plus fermé qu’il ne l’est actuellement ; c’était plus un milieu de biker, c’était super difficile d’y être à l’aise. Actuellement c’est beaucoup plus accessible, c’est plus facile maintenant d’entrer dans un studio en tant que femme ou en tant que personne trans ou non binaire. À mon avis tu ne seras pas maltraitée, il y a quelque chose de plus ouvert d’esprit, plus dans la communication.

Est-ce que tes pratiques du tatouage et de l’illustration se rejoignent ?

J’ai deux manières de dessiner selon si je dessine pour les tatouages de mes client·e·x·s ou si je dessine pour moi. Si je dessine pour mes client·e·x·s, je réponds à des attentes, qui ne sont pas les miennes. Le tatouage reste un service donc je dois faire correspondre ce que je fais aux envies de la personne. Quand je dessine pour le tatouage je sais qu’on peut me demander des modifications, que ce sera un dessin qui devra s’adapter à une peau, à un corps, il y a toute cette dimension là à prendre en compte. Dans la pratique c’est très différent également, tu traduis le rendu des aiguilles par le choix de certains feutres, c’est une manière de dessiner très technique, très protocolaire, avec toujours les mêmes procédés, couplée à une contrainte de temps. Quand je dessine pour moi, j’ai tout le temps du monde, je peux expérimenter des médiums différents, je peux essayer des méthodes, du matériel. Il y a quelque chose qui tient vraiment de l’expérimentation, quelque chose de très libre.

Peux-tu nous en dire plus sur tes pratiques autres que le tatouage ?

J’ai commencé l’acrylique quand je suis arrivé·e·x à BlackEnd, avant je ne peignais pas du tout, je m’y suis mis·e·x parce que mes collègues en faisaient beaucoup et ça m’a donné envie de me lancer. Le truc que j’ai trouvé pour me lâcher, c’est de peindre toute une toile avec un fond ; ça démystifie le côté page blanche un peu angoissant qu’il peut y avoir dans la peinture. Ainsi, je peins un fond assez fluide, dans une couleur légère et je viens dessiner après dessus. Ça m’aide beaucoup surtout parce qu’en peinture il y a ce truc un peu impressionnant : quand tu mets de la peinture sur la toile tu ne peux plus l’effacer, et c’est ça qui stresse certain·e·x·s artistes.

Entre le dessin érotique, ce que tu proposes pour le tatouage ou ce que tu présentes pour cet EPIC ESKIS, tu as beaucoup de styles différents, comment tu l’expliques ?

Je pense que j’ai des univers très séparés les uns des autres par inquiétude qu’on me mette dans une case, qu’on me catégorise dans un seul style. J’ai envie de garder une souplesse dans ce que je peux faire, de ne pas être coincé·e·x dans un seul stéréotype. Je crois aussi que c’est trop tôt pour moi, peut-être que plus tard je vais devenir très à l’aise dans un domaine, et que je ne voudrais plus me consacrer qu’à ça. Je travaille beaucoup par séries, par phases. Quand je fais une série, typiquement la Red Serie (série érotique), j’expérimente sur une dizaine de dessins afin de fixer un mode opératoire qui sera par la suite tout le temps le même. Mes séries dépendent aussi de ce que j’ai envie d’utiliser comme matériel, comme médium. La Red Serie par exemple c’est du papier 250 mg, crayon, encre de chine et stylo rouge et c’est tout. Ça doit être cohérent et identifiable. Pour le tattoo c’est pareil, ça doit être procédural. Pour la peinture, en revanche je n’ai pas encore de protocole.

Peux-tu nous en dire plus sur ta manière de travailler ?

J’essaie de dessiner tous les jours. Je réalise que ça paie, mon niveau est en train de monter. Même si c’est juste pour dessiner dix minutes, en fait il faut se détacher de l’idée qu’il faut créer un chef-d’œuvre. C’est vraiment de la pratique, on s’en fout du résultat, il faut arrêter de se mettre la pression. J’ai plein de trucs pas finis, soit parce que je comprends en cours de route que ce n’est pas ce qui me plaît soit parce que je n’ai pas assez de pratique. Je n’ai aucun souci avec ça.

L’art pour moi c’est vraiment de l’expérimentation. Se donner cette place de tester des choses et de se planter c’est hyper important

Auriel
© Auriel

Je pense aussi que c’est important d’aller vraiment dans les zones d’inconfort complet, dans les choses qu’il me manque, que je ne sais pas faire. Si je peux faire une critique de mon travail, je dirais que mes compositions sont très plates, j’aimerais bien qu’il y ait plus de volume et pour ça je sais que je dois faire du réalisme, pour progresser là-dessus, alors que c’est quelque chose que je n’aime pas faire. Et pour progresser il faut parfois se forcer à faire des choses qui nous parlent moins, pour comprendre comment ça marche. Pas des choses que l’on montrera, mais c’est de la pratique, du travail. Depuis que je fais ça je réalise que mes dessins sont plus ronds, plus vivants, qu’il y a plus de reliefs.

Peux-tu nous parler des illustrations que tu présentes pour cet EPIC ESKIS ?

Pour le premier dessin, le personnage avec une tête de loup, j’ai fait un fond et ensuite j’ai dessiné une silhouette au crayon très léger et de là j’ai mis des valeurs d’une palette de rouge. Cette peinture représente bien l’une de mes sources d’inspiration principale, le folklore japonais, un thème qui revient beaucoup dans ce que je fais. On retrouve souvent dans mon travail les esprits et les kamis du shintoïsme. Pour moi le folklore et les contes japonais constituent vraiment un univers à partir duquel je peux créer plein de choses, c’est très riche et fertile.

La deuxième illustration est en fait un détail d’un tableau A0, donc un très grand format qui est en cours de réalisation. J’avais commencé avec des aquarelles, mais ça ne fonctionnait pas, donc tout le travail de ce tableau a été de trouver des alternatives pour le finir. Là encore, ce tableau cristallise vraiment tout ce que j’aime, c’est-à-dire faire des animaux qui ont des valeurs anatomiques pas justes, qui sont distendus, déformés. Et les animaux et la nature sont des thématiques avec lesquelles j’aime composer. Pour moi ce dessin mérite encore beaucoup de travail, mais bon je ne suis jamais satisfait·e·x. Quand je l’ai commencé c’était fin 2020. Il est important dans la mesure où c’est la première fois que j’utilisais de la couleur autre que du rouge sur les Red Series. Ça m’a demandé un travail différent. Pour moi il est important même s’il est plein de défauts parce qu’il marque vraiment un shift, et qu’il ma permis·e·x de devenir plus à l’aise avec les couleurs.

Quelles sont tes autres sources d’inspiration ?

Je m’inspire beaucoup des autres tatoueur·euse·x·s, de mes collègues, de ce qu’ils font et comment ils le font. J’observe beaucoup. J’utilise aussi Instagram pour m’inspirer mais en me limitant parce que je trouve qu’il y a un effet pervers des réseaux sociaux, où tu peux vite te comparer et bloquer un peu.

Quels sont tes objectifs et tes projets ?

Dans le tattoo c’est de toujours progresser, de garder une dimension critique de mon travail, pour chercher à m’améliorer. D’autant plus que, parce que tu marques quelqu’un, tu as une responsabilité. Donc j’ai envie de continuer à me perfectionner, à évoluer et à devenir plus rapide aussi.

Au niveau artistique, j’ai envie de continuer avec l’acrylique. Et j’aimerais bien faire une Summer School à Barcelone, dans le réalisme, pour progresser à ce niveau. Et toujours continuer à tester d’autres choses, comme la peinture à l’huile. Toujours me diversifier. Là où je veux en venir en disant ça, c’est qu’en tant qu’artiste on a toujours cette tendance à vouloir être reconnu·e·x pour quelque chose, et pour moi je pense que c’est trop tôt pour ça. Surtout dans le foisonnement des tendances actuelles, j’essaie de ne pas coller à un trend. Le revers de médaille c’est de ne pas forcément être identifié·e·x pour ce que je fais.

© Auriel

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