Qui dit dernier lundi du mois dit EPIC ESKIS, ton rendez-vous dédié au monde de l’illustration. En ce mois d’août, la rédaction a rencontré Laura Thiong-Toye et son univers aux influences plurielles.
Hello Laura, merci déjà pour ton illustration ! Peux-tu te présenter ?
Salut, merci à vous pour l’invitation ! Je m’appelle Laura Thiong-Toye, j’ai 36 ans, je suis née à Genève et j’y travaille comme artiste plasticienne. J’enseigne également en parallèle les arts visuels au cycle d’orientation depuis dix ans déjà.
Tu peux nous expliquer ton parcours ?
Après avoir fini mon collège en option artistique, j’étais dans un flou total. J’étais tiraillée quant à la direction que je devais prendre, dans quelles études je devais m’inscrire : les lettres à l’uni, la biologie, la médecine, le social, les arts visuels… J’étais complètement perdue. J’ai longuement hésité, puis j’ai décidé de prendre une année sabbatique afin de me laisser un peu de temps pour faire mon choix. Je suis donc partie quelques mois à New York pour apprendre l’anglais, j’ai travaillé pour me faire de l’argent, suivi des cours en auditeur libre à l’uni et un peu voyagé. Lorsque mon année off a touché à sa fin, j’ai finalement suivi une partie des mes proches amis du collège qui allaient faire les examens pour entrer à la HEAD (eux aussi avaient pris une année sabbatique ou décidé de changer de cursus). Je me suis dit qu’étant peu décidée, autant faire des études entourée de gens que j’aime, ce que je n’ai pas du tout regretté.
J’ai donc été prise à la HEAD-Genève, où j’ai fait mon bachelor en option peinture/dessin. J’ai tout de même réalisé, en parallèle de ma première année, des études de médecine chinoise à Lausanne. Car lors de mon séjour à New York j’avais été accueillie par une famille d’acupuncteurs et cela m’avait beaucoup intéressée, en particulier la pharmacopée. Malheureusement, après avoir fini ma première année, je n’ai pas réussi à continuer ces deux formations simultanément. Car cumuler différentes études et un travail alimentaire était trop lourd. J’ai donc choisi de rester à la HEAD et de mettre de côté la médecine chinoise, quitte à reprendre ces études plus tard. J’ai ensuite fait mon Master en TRANS-médiation enseignement, également à la HEAD. Un master où nous devions continuer notre pratique artistique, tout en pensant des projets de médiation et en ayant des cours à l’université pour pouvoir enseigner par la suite au secondaire. Pendant ces années d’études, j’ai travaillé en duo avec Isabelle Racine et au sein du collectif de médiation NotOnlyKidsPlay que l’on avait créé avec Alexandra Haeberli, Nina Haab, Isabelle Racine et Antonin Demé.
Tu as collaboré au sein du duo ThiongToye/Racine pendant huit ans où tu as notamment reçu le Prix Berthoud. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?
J’en garde de très bons souvenirs, j’ai énormément aimé travailler en duo. Je pense que cela m’a aidée à traverser mon bachelor de manière plus joyeuse et légère, ce qui n’était pas forcément bien vu en école d’art. Nous avions commencé à collaborer avec Isabelle en deuxième année jusqu’en 2018 environ. Il y avait dans cette collaboration une place très importante donnée au jeu. Nous n’avions pas de logique fixe de travail, il y avait des moments de discussion où nous faisions ensemble des choix (parlions du fond, de quelles directions nous voulions faire prendre au travail…). Et des moments plus libres où chacune pouvait intervenir sur le tableau sans avoir demandé l’aval de l’autre, sans suivre de croquis préalables et où tout était permis. Une peinture pouvait être réalisée entièrement par l’une de nous ou faite en alternance en étant l’objet de nombreux passages. La règle était qu’il n’y avait pas de règles… J’aimais beaucoup cette liberté, et aussi que le travail avance sans moi de manière autonome, même les jours où je n’étais pas à l’atelier. Qu’il puisse prendre des directions que je n’aurais pas imaginées par moi-même, qu’il se soit détourné de mon intention de départ. Cela nous permettait d’éviter l’ennui et de ressentir un certain lâcher prise avec le travail.
C’est cette idée de partage de savoir-faire, de connaissances, d’idées, de fonctionnement par addition et par différence que je garde.
Tu fais essentiellement de la peinture, qu’est-ce que cette technique te permet dans ton travail ?
Je travaille principalement à l’acrylique et à l’encre. Ce que j’apprécie beaucoup dans la peinture c’est le travail de la couleur. Faire des mélanges, rechercher des harmonies, des belles combinaisons ou au contraire une rupture, quelque chose qui grince… Il y a quelque chose comme dans le travail en duo de l’ordre du jeu et de l’enfance. On se retrouve comme un petit chimiste à faire des sortes de potions. Le geste du mélange comme celui de peindre est très satisfaisant. J’aime aussi que la couleur se redéfinisse suivant le médium, chaque technique apportant quelque chose de différent et la faisant vibrer d’une autre manière.
Je pense également que je peins un peu par confort et par manque de temps, parce que c’est la technique que j’ai le plus utilisée et que je maîtrise le mieux. Mais j’aimerais beaucoup par la suite m’essayer à la céramique, au vitrail, à la peinture à l’huile, à la couture… et sortir de mes habitudes petit à petit.
Dans tes œuvres, on peut voir régulièrement des vases et des fleurs. Tu peux nous expliquer d’où te vient cette envie ?
J’ai commencé à peindre des vases et des fleurs quand nous avons arrêté de collaborer avec Isabelle. J’avais besoin d’une scission avec notre travail en duo. Ces nouveaux motifs sont venus comme prétexte pour jouer avec des formes et des couleurs afin de me rapproprier mon travail de peinture seule. J’avais envie de partir d’une thématique déjà maintes fois traitée comme la « nature morte », qui fait partie intégrante de l’histoire de l’art. Je trouvais drôle de mettre en avant ces objets de tous les jours, auxquels on ne fait pas attention (un citron, un escargot, une fleur, un vase) et de leur redonner une attention toute particulière dans les peintures. En opposition au « still life » hollandaises, je voulais les rendre plus vivantes et surenchérir avec de nombreuses autres références qui n’ont aucun rapport avec la nature morte. De plus, c’est un sujet qui touchait à plein d’aspects que nous abordions dans notre travail en duo : la notion de décor et de décoration, de goût, d’intérieur, de cabinet de curiosités…
Plus généralement, quelles sont tes inspirations ?
Il y en a tellement… Elles changent au fil des mois et des nouveaux artistes que je découvre ou que je redécouvre. Si je devais citer quelques artistes de manière instinctive je dirais Betty Woodman, Thomas Huber, Matthew Palladino, Jérome Bosch, Vallotton, les Nabis (spécialement Bonnard et Vuillard), les estampes japonaises, Nathalie Dupasquier…
En général ma peinture prend sa source dans des références très diverses qui viennent de lieux, temps et catégories socio-culturelles les plus éloignées possibles : des croquis fait lors de balades, l’histoire de l’art classique, le tissus d’une nappe de restaurant ou d’un pull, de la vaisselle, les codes couleurs d’un films, une publicité… L’idée étant de créer un dialogue entre ces éléments qui n’auraient pu se rencontrer ailleurs.
Jeremy Gafas décrit ton travail comme un terrain de jeu, ça te semble juste ?
Oui je pense que j’ai besoin de m’amuser en travaillant. D’essayer, de tâtonner, soit en mélangeant différentes choses soit en travaillant avec d’autres personnes et en apprenant grâce à des collaborations. C’est un jeu qui peut se faire seule ou en équipe.
Tu travail au sein de Double Rayon à Genève. Est-ce que des collaborations sont à l’ordre du jour ?
Double Rayon m’a ouvert ses portes quand je n’avais plus d’espace de travail. Je n’y réside plus actuellement car j’ai obtenu un atelier grâce à la ville de Genève, en avril dernier. C’était très enrichissant pour moi d’être dans ce lieu hybride, de travailler aux côtés non plus seulement d’artistes plasticiens mais de graphistes, designers et tatoueurs. Ce lieu commun rempli de gens très différents nous a permis à chacun d’apprendre les uns des autres, d’avoir une dynamique d’échange sur des projets d’expo, de création d’habits ou d’édition, et de pouvoir demander de l’aide afin d’utiliser les savoir-faire de chacun.
Je n’ai pas de collaboration prévue en ce moment, mais j’aimerais beaucoup travailler avec Ella Asderban (qui fait partie de Double Rayon) sur un projet textile et créer des sortes de tapisseries, mais ce n’est pas encore d’actualité.
Tu as ces derniers mois réalisé quelques vitrines : quelle est la particularité de cet exercice ?
En temps de Covid, où beaucoup de lieux étaient fermés, la vitrine donnait la possibilité de voir des pièces sans entrer dans un musée ou une galerie. De plus, se trouvant la plupart du temps dans la rue, son accès est gratuit et nous confronte en tant qu’artiste à un autre public. J’ai aussi trouvé intéressant de jouer avec les codes des vitrines de magasins, de mettre en display des pièces et créer une confusion entre une vraie vitrine de décoration et un espace d’expo. Cela m’a permis de faire des objets (vases, socles, bougeoirs…), projets que j’avais déjà entamé dans mes expositions « Salle d’attente » à Halle Nord et Herbier 4 à L’Espace Cery.
Tu peux nous en dire plus sur ton EPIC ESKIS ?
J’ai dû faire il n’y a pas longtemps une affiche pour les éditions Clinamen qui avaient un projet se nommant « Amour Tsunami » qui a été exposé au Swiss Art Award. J’ai pensé la peinture pour EPIC ESKIS comme la suite de cette affiche, un peu comme un diptyque.
Quels sont tes futurs projets ?
Je reprends l’enseignement fin août après deux année off, cela va passablement changer mon emploi du temps artistique mais j’ai tout de même plusieurs projets prochainement. J’ai une exposition solo à la salle Crosnier (au palais de l’Athénée à Genève) en mai prochain, je réalise une scénographie dans une vitrine pour une exposition de céramique se nommant bling bling en septembre à Carouge et je suis entrain de préparer une édition avec Sonar (art et fiction) pour la rentrée prochaine.
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