Jardin d’Hiver, un spectacle de cimetière : rencontre avec le collectif DCD

Jardin d'Hiver au Cimetière de Nyon, ©Vincent Heiniger

Le collectif Delta Charlie Delta investit les cimetières de Suisse romande pour un spectacle à la croisée des mondes, entre corps et mots, entre mort·e·x·s et vivant·e·x·s. EPIC est allé à sa rencontre à l’occasion de sa première tournée et de son passage dans la région avec une première date à Nyon ce jeudi 26 août, puis au Cimetière des Rois mardi 31 août et mercredi 1er septembre prochain.

Fondé par trois artistes, le collectif DCD se définit dans la rencontre du cirque, du théâtre et de la danse. Portées par un besoin de questionner au travers de la pluridisciplinarité, Marie Lou Félix, Nour Biriotti et Camille Denkinger se retrouvent après leur première création Un Corps En Soi, jouée au Festival OUT6 de La Manufacture en 2019. Elles prolongent ce travail sur le rapport à la douleur en s’emparant cette fois du deuil.

Quoi de mieux alors qu’un cimetière pour faire scène et interroger nos rapports à la mort ? Entourées de Micäel Vuataz à la musique et de Wave Bonardi au soutien à la dramaturgie et à la mise en scène, elles nous entraînent dans une déambulation au gré de corps et de voix tentant à leurs manières de parler de leur·s mort·e·x·s.

À nos mort·e·x·s

Si la thématique de la mort a été une évidence pour le collectif, c’est que la perte avait déjà sa place dans leur première création et que le questionnement du deuil était déjà présent entre les artistes. Il a fallu une chanson pour lancer le projet et donner le ton.

« Après le OUT, on avait envie de continuer la création en collectif. Et c’est à cette période que j’ai découvert le morceau de Grand Corps Malade Nos absents. Cette chanson m’a beaucoup accompagnée. Elle résonnait avec le décès d’un ami. Il y avait quelque chose de nouveau pour moi. Ce n’est pas une chanson qui donne à sentir ou à vivre des émotions particulières, elle met en mots, elle accompagne. C’est ça que l’on désire créer, un spectacle qui discute les mort·e·x·s. Un spectacle qui met en mots et en corps le deuil sans chercher à être cathartique, à réveiller de la tristesse ou de la colère, ni même à apaiser », nous explique Camille.

Jardin d’Hiver au Cimetière de Nyon, ©Vincent Heiniger 

Questionner le deuil par un regard humain, c’est aussi ça Jardin d’Hiver. Regarder la pluralité des vécus chez les endeuillé·e·x·s jusqu’à questionner cette représentation linéaire du deuil en cinq étapes. « Il n’y a pas qu’une façon de vivre un deuil. Rien qu’au sein de l’équipe, on a tous et toutes des expériences différentes, des relations aux absent·e·x·s différentes. Cette multitude de regards, c’est ce qui nourrit le spectacle. Aussi parce que le deuil n’est pas linéaire comme on tend à l’imaginer, il est en mouvement continuel, cyclique. Je ne crois pas que l’on fasse son deuil, qu’il peut être fini. D’ailleurs une partie de la communauté scientifique travaille à repenser ces schémas du deuil, repenser sa temporalité et sa théorisation. Par la déambulation, c’est ce que l’on cherche à questionner, la place du cycle, du cercle, de la boucle dans notre rapport à la mort », raconte Wave.

Cet aspect cyclique et polyphonique se traduit aussi par la rencontre et le lien entre les disciplines présentes. Parce que le deuil et la mort dépassent parfois les mots, que le corps alors prend le relai. Ou à l’inverse, parce que le corps ressent trop et que mettre les mots c’est avancer. Ainsi quand le texte ne dit plus c’est le mouvement qui vient, qu’il soit chorégraphique ou circassien. Quand les corps se taisent, c’est la musique qui soutient.

Jusque dans les cimetières

Comme de nombreux spectacles, Jardin d’Hiver porte les marques de la crise sanitaire. Comment continuer à jouer, à créer dans les arts vivants quand les théâtres ferment et leurs saisons débordent de report ? Où rencontrer le public ? Comment raconter ? Le collectif Delta Charlie Delta a trouvé une réponse à ces questions qui ont marqué les premiers temps de création. Camille nous raconte :

« Durant le confinement, on a pas mal questionné le format de spectacles in situ, par de courtes créations en jardin ou dans nos colocations. Ne pouvant plus y accéder, le théâtre s’est déplacé dans nos espaces intimes. C’est à Gimel, lors de sessions de travail, que nous est venue l’idée du cimetière. On s’y promenait, on y parlait du spectacle et on a réalisé qu’on pouvait le faire là, au sein même du cimetière. C’était cohérent avec l’ensemble de nos réflexions. Les cimetières ont connu plusieurs vies au cours des siècles. Ils étaient d’abord au pied des églises habités des moines, des sœurs, à être un lieu de vie. Puis pour des raisons sanitaires, on les a déplacés hors des villes, ils sont devenus des lieux de silence. Aujourd’hui les villes grandissent et cohabitent à nouveau avec les cimetières. Comment alors réinvestir ces espaces publics et collectifs dédiés à la mémoire et la mort ? Jardin d’Hiver est une réponse, puisque ce spectacle est aussi un prétexte pour discuter ensemble de nos mort·e·x·s.»

Jardin d’Hiver au Cimetière de Nyon, ©Vincent Heiniger 

Jouer en cimetière ça ne s’improvise pas. Le processus est long et plein d’attentions. Entre les autorisations et les réticences, le collectif DCD a eu de quoi préciser son projet avant même de débuter, parce qu’il y a un ton à trouver. Investir un lieu pareil, c’est sans cesse revenir à la notion de respect et de justesse.

« Une fois l’idée posée, on a tout de suite voulu vérifier sa faisabilité. Concrètement est-ce que c’est possible de jouer en cimetière ? Alors on a téléphoné et rencontré différentes personnes travaillant avec et dans les cimetières. En tout temps, on se demande qu’est-ce qui est approprié dans ces lieux. Avec eux, on a spécifié le projet, compris ses enjeux », nous livre Camille. « Nous sommes aussi allées discuter avec les visiteurs des cimetières. Ces micros-trottoirs nous ont permis de prendre la température. On s’est rendu compte qu’en expliquant notre démarche l’accueil était curieux et bienveillant. »

C’est comme ça qu’a débuté le travail de création, dans des allers-retours de la salle de répétition au cimetière. Des allers-retours qui n’ont cessé jusqu’alors. En juillet de l’année passée, le collectif tentait une première déambulation sous la forme d’esquisse au cimetière de la commune des Grangettes, après trois semaines de résidence. Aujourd’hui c’est dans les cimetières de Nyon, Fribourg, Genève et Neuchâtel que le collectif Delta Charlie Delta invite à la discussion sur nos absent·e·x·s.

Jardin d’Hiver sera d’abord joué au Cimetière de Nyon, ce jeudi 26 août à 19h, et à Fribourg au Cimetière St-Léonard, le 28 et 29, puis au Cimetière des Rois mardi 31 août et mercredi 1er septembre à 18h30, pour finir sa tournée à Neuchâtel les 8 et 9 septembre au Cimetière Beauregard. L’entrée sera libre pour chacune des dates, mais des réservations sont conseillées, la jauge étant limitée à 40 personnes par représentation. Pour cela deux options, mail (reservation.dcd@protonmail.ch) ou répondeur (+41 77 484 22 46). Toutes les informations complémentaires sont à retrouver sur le site du collectif DCD, ainsi que l’ensemble de leurs micros-trottoirs.

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