Miedka, la part de la bête

crédit : Nicolas Dupraz

Jusqu’à fin septembre, les adeptes d’espaces verts et d’arts vivants pourront découvrir une proposition théâtrale des plus envoûtantes : la compagnie Zanco investit les plus beaux parcs du canton pour proposer Miedka, la rencontre des mondes, un spectacle itinérant qui questionne à la fois le rapport entre nature et culture et humanité et animalité.

Un périple théâtral : voici peut-être le meilleur qualificatif pour désigner la dernière création de la compagnie Zanco. Un véritable voyage donc, aux dimensions initiatiques et philosophiques passionnantes, qui nous plonge dans la rigueur du Grand Nord russe et ébranle nos conceptions occidentales du spirituel et du naturel. Ce spectacle d’une grande originalité rend compte des questionnements intérieurs de Miedka, la femme-ourse qui vit entre les mondes, c’est-à-dire à la fois entre le réel et le rêve, les hommes et les bêtes, les êtres et les esprits. Derrière cette figure se cache l’anthropologue française Nastassja Martin, dont les interviews narrant sa rencontre brutale avec un ours alors qu’elle étudiait le peuple évène ont servi de point de départ à la rédaction du texte du spectacle. D’une justesse impressionnante, celui-ci révèle le flux de conscience d’un individu particulièrement complexe, dont l’accident lui a fait gagner une lucidité presque mystique quant à la marche du monde.

crédit : Nicolas Dupraz

Le bois urbain comme protagoniste à part entière

Si la réussite de ce spectacle se trouve en bonne partie dans la densité de son propos, son aspect pluridisciplinaire ainsi que le décor dans lequel il se déroule concourent également à garantir au public une expérience unique et inoubliable. Complétant à merveille le jeu de comédienne, l’utilisation de marionnettes et de masques ainsi que l’omniprésence de la danse permettent de dépasser l’aspect limitant du langage. La combinaison de ces différentes pratiques artistiques fonctionne à merveille, ce qui a pour effet de nous offrir un moment suspendu hors du temps, aux accents fortement métaphysiques. En cela, la prestation du trio d’artistes qui porte Miedka, Lola Kervroëdan, Maud Farrugia et Karin Rose, est à applaudir sans réserve.

Par ailleurs, ce moment de théâtre en extérieur sied parfaitement à la thématique du spectacle, puisque le passage du jour à la nuit qui se tient durant la représentation berce délicatement le public et permet une véritable plongée dans l’intime et l’indicible, encourageant la composition de tableaux d’une grande beauté. L’obscurité et l’atmosphère onirique qu’elle induit rendent le récit encore plus poignant, donnant à ce dernier un aspect enchanteur qui permet d’évoquer avec une grande acuité la distinction ténue entre les songes et la réalité. La splendeur et l’imprévisibilité des bois, entre sons impromptus et éclairage urbain scintillant, renforcent encore le sentiment de douce étrangeté qui habitera assurément le·la spectateur·rice durant la pièce. La mise en scène de Yuval Dishon, qui doit continuellement s’adapter aux différents parcs dans lesquels Miedka est représenté, est donc un succès certain.

crédit : Nicolas Dupraz

L’animisme contre le désenchantement du monde

En définitive, Miedka est à la fois une expérience sensorielle intense et un récit poignant, qui questionne avec tact la frontière entre le soi et l’Autre, c’est-à-dire entre l’humain et la bête. Le spectacle propose une remise en question subtile de l’aspect circonscrit du naturel et du culturel, relation que nous devrions davantage aborder comme un continuum complexe et changeant. Surtout, cette pièce nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport au monde, avec en creux les bouleversements climatiques et environnementaux en cours et à venir. Réflexion animiste sur le tangible et l’intangible, Miedka, la rencontre des mondes parvient à battre en brèche le désenchantement du monde auquel nous faisons face, pour raviver la part animale, spirituelle et magique enfuie en chacun de nous.

Miedka, la rencontre des mondes est encore à découvrir les 9 et 10 septembre au Bois de la Bâtie à 20h, les 15, 16 et 17 septembre au Parc de la Grange à 20h, le 23 septembre à l’Arcade à 19h30 et le 24 septembre au Parc de Balexert à 19h30.

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