Orphia, coup d’éclat

© Kenza Wadimoff

Veste Léopard en 2020. Oberheim qui enflamme les cœurs en 2021. Crayon noir pour confirmer en 2022. La reprise du mythique I Hope You Die de Molly Nilson pour s’inscrire dans la parenté des grands noms de la synth pop en 2023. Orphia, en sortant un titre par an, nous avait habitué à l’attente fébrile. Mais ce vendredi 3 novembre, avec L’Aventure des Gens Modernes, c’est tout un EP qu’il sort sur le label Les Disques Magnétiques. Retour sur ce premier projet solo, en attendant la release party, ce soir, à La Gravière.

Orphia l’évoque lui-même, il se sent un peu seul en Suisse Romande dans ce style de musique. Si la plupart du public de la scène alternative genevoise se jette sur le moindre concert qui flirte avec le post punk, la cold wave ou la synth pop, au final peu d’artistes se sont lancé·e·x·s dans la production de sonorités qu’on retrouve plus traditionnellement Outre-Rhin. Le créneau était à prendre, mais Orphia ne l’a pas rempli par défaut. Avec son premier EP solo, l’Aventure des Gens Modernes, il réussit avec adresse à combiner des inspirations de l’âge d’or du krautrock à des textes d’une modernité et d’une justesse qui appuient là où ça fait mal.

Mélange des codes

Cinq titres inédits, et deux des précédents singles de l’artiste en bonus tracks, le tout dans une édition vinyl limitée à 500 exemplaires. Et la certitude qu’il n’en faudra pas plus à Orphia pour convaincre.  La prouesse de l’Aventure des Gens Modernes, c’est ce que l’EP fait pour la musique. Si la new wave, a toujours le vent en poupe, elle traîne toutefois une certaine image un peu kitsch, un peu has been, et le renouveau dans le style se fait rare. C’est pour ça qu’on l’aime, on sait à quoi s’attendre, et il aurait donc été facile pour Orphia de reprendre ces codes pour sortir un très bon album. Mais si l’Aventure des Gens Modernes est excellent, c’est justement parce qu’il va au-delà des codes éculés. L’artiste assume son côté geek, la passion des heures passées en studio et l’obsession pour les synthés. C’est cette facette qui rend tout ce qu’il sort plus électronique, ajoutant aux sonorités eighties la modernité qu’il leur manquait, transformant des beats dark disco en bangers de club.

© Kenza Wadimoff

La voix d’une génération

Synthés, voix, boîtes à rythme, si la recette est simple, le résultat est désarmant. Et cela tient à la dimension émotionnelle qu’on retrouve dans chacun des titres. On ne sait pas si L’Aventure des Gens Modernes est un album à écouter quand on est triste, euphorique, en colère, ou parce qu’on a envie de danser. La cohésion entre les productions et les textes y est pour beaucoup. Si dans Voyage idéal, Orphia prétend que « trouver les mots, les bons, pour moi ce n’est pas une évidence », on a du mal à le croire. Plus intenses et plus intimes que sur Oberheim ou Crayon noir, les thèmes abordés sont de ceux qui touchent la génération amenée à l’écouter.

L’Aventure des Gens Modernes, le titre éponyme figurant en deuxième position sur l’EP en est l’exemple parfait. Enchaînement de phrases coup de poing scandées, le texte s’il n’était pas porté par une prod si addictive pourrait presque faire mal. Énumération des contradictions qui anime la génération nouveau millénaire prise en tenailles entre « histoires d’amours en porcelaines » destinées à être vécues de manière radicale mais en incapacité de s’engager, de se dire qu’iels s’aiment, et  culpabilité de souffrir de ses propres blessures quand d’autres tombent au combat. Orphia n’aurait pas pu sonner plus juste.

© Kenza Wadimoff

Cernes et maquillages, le single sorti il y a quelques semaines et qui ouvre l’EP, laisse place à la même ambiguïté mais semble en dire plus sur Loris, l’artiste derrière le projet Orphia, qui semble tiraillé entre le statut cool kid que la nuit genevoise lui accorde et sa personnalité et intégrité propres. L’instru est une bonne introduction au reste de l’album, symbiose entre production nostalgique et renouveau électronique. Plus calme et plus posée aussi, elle donne le ton de ce que le reste de l’album affirme : une période, une génération compliquée oui, mais qui a autant d’énergie que de désillusions.

L’appel de l’électronique

Une fois les deux premières tracks digérées, Orphia relâche la pression. S’il est conscient qu’en live, ces titres « avec paroles » sont ceux qui fonctionnent le mieux, c’est tout de même la production qui l’intéresse au plus haut au point. Avec Voyage Idéal, Orphia fait la jonction entre ses premiers titres, très cold wave / synth pop et ses aspirations aux côtés plus électroniques qu’il assume pleinement avec Visage et Télévision Interdit. Dans la première, la voix est utilisée de manière plus instrumentale, dans des boucles plus courtes, répétées, servant à appuyer les productions pour complètement s’effacer dans Télévision Interdit, dernier titre inédit de l’EP, déclaration d’amour aux sonorités synth historiques.

L’Aventure des Gens Modernes est un sans-faute, qui nous happe. Cathartique, on en sort émotionnellement touché·e·x, euphorique mais déjà nostalgique de cet éclat…comme après une nuit en club.

Si l’EP impacte autant, il y a fort à parier que le live ne laisse pas indifférent non plus. Réponse ce soir à La Gravière, où suite à une résidence, Orphia vernira L’Aventure des Gens Modernes, en compagnie d’Oberst Panizza, qu’il a invité en raison d’une proximité musicale évidente. La soirée live sera suivie d’un déchainement sonore, conviant les DJ les plus représentatif·x·s / ve·x·s du genre : Chloé Lula, Pastram et Maura Loe.

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