(RE)CYCLE : 75e saison du POCHE /GVE

©Dorothée Thébert

Partenaire d’EPIC cette saison, le POCHE /GVE va vivre un cru 2022-2023 d’une rare intensité : le fameux théâtre genevois s’apprête en effet à passer le cap ô combien symbolique des trois quarts de siècle d’existence. Les pièces programmées en son sein, alternant entre théâtre de boulevard, textes plus intellectuels et retour aux sources, tenteront de rendre hommage comme il se doit à l’histoire de cette institution à la taille miniature mais à l’élégance majuscule. Panorama.

Un héritage à chérir

C’était le 18 mars 1948. Notre imagination tente tant bien que mal de former quelques représentations mentales traduisant l’ambiance de cette soirée si spéciale : effervescence polie mais certaine, verres trinquant bruyamment dans cet immense appartement de la Grand-Rue, excitation presque craintive face à une pièce à la trame dérangeante. Ce soir-là, le Théâtre de Poche fait une entrée fracassante dans le monde culturel genevois, en proposant La putain respectueuse de Jean-Paul Sartre. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce lieu original se veut un espace dans lequel comédien·ne·x·s, metteur·se·x·s en scène et auteur·rice·x·s de la région peuvent continuer d’exercer leur art, loin des scènes parisiennes qui leur avaient été inaccessibles durant six ans.

Septante-cinq ans après, nous retrouverons à l’affiche la même pièce de l’existentialiste français, qui clôturera en beauté cette saison-anniversaire. De fait, la programmation 2022-2023 du POCHE /GVE se veut une célébration aux allures de marathon de l’héritage laissé par les femmes et les hommes qui ont fait la renommée de ce théâtre atypique. Ainsi, il est depuis toujours dans l’ADN du théâtre de la Rue du Cheval-Blanc de proposer à la fois des pièces au propos un peu intello et des comédies plus légères appartenant à l’esthétique théâtrale du boulevard. Un spectacle de chaque type a même été proposé, des années durant, lors de la même soirée, qui pouvait par conséquent durer plus de quatre heures ! Cette année, le POCHE /GVE renoue avec cette approche du théâtre satisfaisant tous les goûts : les pièces « sérieuses » Éveil/Printemps et Trigger Warning introduisent la saison, avant de laisser la place à un temps fort comique porté par Une oreille nue à la patte de l’amour ou comment filer une puce malgré soi !, Le Père Noël est une benne à ordures et Edmée, pour une programmation qui se conclura avec Still Life (Monroe–Lamarr) et La putain respectueuse, à la dimension plus intellectuelle.

©Pablo Lavalley 

Un théâtre sans pareil à bien des égards

En célébrant ce qui a fait sa spécificité durant sept décennies, le POCHE /GVE ne perd pas de vue les partis pris plus récents qui permettent à cette institution de figurer parmi les perles de la culture genevoise. D’abord, est maintenue la volonté d’imaginer une scénographie durable, confiée à une artiste unique dont la tâche est d’imaginer un dispositif modulable et évolutif, tout en gardant une cohérence au long de la saison et une ossature reconnaissable. Ensuite, nous retrouvons la perpétuation d’un véritable esprit de troupe : le POCHE /GVE est en effet le seul théâtre genevois à fonctionner avec un ensemble, c’est-à-dire un groupe de comédien·ne·x·s fixe. Si leur talent vous a ébloui lors des saisons précédentes, nul doute qu’il en sera de même cette année : la troupe, à la composition passablement modifiée, semble clairement garder l’audace, l’énergie et la fougue qui ont fait se réputation.

Par ailleurs, les spécificités du POCHE/GVE ne s’arrêtent pas aux représentations, elles s’étendent au public. Dans le théâtre de la rue du Cheval-Blanc, les spectateur·rice·x·s ont la possibilité de devenir de réelles parties prenantes de la cuisine interne de la troupe. Ainsi, l’équipe du Poche a mis sur pied un système de comités permettant de réfléchir et questionner les créations proposées en collaboration avec les futur·e·x·s spectateur·rice·x·s et autres intéréssé·e·x·s du monde du théâtre. Depuis sept ans, le comité de lecture représentant à la fois le théâtre, la profession et les spectateur·rice·x·s du POCHE /GVE s’implique dans la sélection des textes, afin de proposer des saisons aussi étonnantes que cohérentes, entre textes classiques et propositions inédites.

©Carole Parodi

Second comité à l’œuvre et témoin de la volonté de faire participer le plus grand nombre à la création théâtrale : le comité de spectatrices. Invité·e·x·s aux générales de chaque pièce, une trentaine de passionné·e·x·s sont amené·e·x·s à porter un regard critique permettant au POCHE/GVE d’affiner le travail en cours, et d’avoir un premier retour sur la programmation. Dans le même élan, des répétitions ouvertes au public sont organisées quelques jours avant la première, ce qui représente quarante minutes d’immersion au cœur de la salle et en compagnie de l’équipe artistique effectuant les derniers réglages. L’occasion d’assister à la fabrication d’un spectacle dans le feu de l’action. Autre manière de faire entrer le public dans le monde du théâtre : le rdv du 7. Chaque 7 du mois, deux comédien·ne·x·s de l’ensemble se proposent de faire découvrir leurs textes préférés dans une lecture en duo, histoire de partir à la rencontre des membres de la troupe autrement. Enfin, l’atelier du vendredi explore le volet de la création théâtrale en proposant des ateliers d’écriture avec les auteur·rice·x·s de la saison et d’autres auteur·rice·x·s contemporain·e·x·s.

Une saison entre élitisme prétendu et théâtre populaire

Pour inaugurer cette saison-anniversaire, le POCHE /GVE a décidé de proposer deux spectacles en forme de diptyque portant sur des dilemmes symptomatiques de l’adolescence, période de la vie complexe si elle en est. Éveil/Printemps est une adaptation de la pièce écrite par Frank Wedekind et censurée aussitôt après sa parution en 1891. Exploration des aspirations sociales et des pulsions sexuelles d’un groupe d’adolescent·e·x·s dans la société corsetée et conservatrice de la Fin de siècle, ce classique intense, sorte de valse entre érōs et thánatos mise en scène par Mathieu Bertholet, annonce le théâtre moderne et ses expérimentations les plus extrêmes. Répondant à son aînée de 130 ans, la pièce Trigger Warning dirigée par Isis Fahmy aborde quant à elle la question des rapports de force se tenant sur les réseaux sociaux, entre violence, poésie et réinvention de la langue. Deux moments de théâtres très prometteurs, à découvrir entremêlés jusqu’au 23 octobre.

©Dorothée Thébert

Après ces deux pièces tournées vers la réflexion sur une période de vie charnière, la programmation du mois de novembre sera l’occasion de revenir à un peu plus de légèreté avec Une oreille nue à la patte de l’amour ou comment filer une puce malgré soi ! Si l’intitulé résonne de manière familière, c’est parce qu’il est formé d’un patchwork des titres de l’œuvre de Georges Feydeau. S’inspirant du maître de la comédie, Rebekka Kricheldorf propose un hommage aux boulevards, en en faisant une proposition modernisée et résolument actuelle. Décembre sera l’occasion de découvrir Le Père Noël est une ordure mais dans une version actualisée par Guillaume Poix : Le père Noël est une benne à ordure. Ici, les ressorts comiques de cette pièce que l’on ne présente plus sont repensés pour constituer une dystopie critique de notre époque. Dernier boulevard de la saison enfin, Edmée sera la première pièce à l’affiche 2023. Pas une première puisque Edmée avait déjà conquis la Vieille-ville genevoise il y a de cela cinquante ans. Critique des certitudes bourgeoises sur fond d’avarice, nul doute que le même succès l’attendra en janvier.

La printemps 2023 sera marquée d’une rencontre au sommet avec Still Life (Monroe-Lamarr). Dans cet hommage aux femmes et au cinéma, la blonde Marylin Monroe et la brune Hedy Lamarr discuteront blessures intimes, condition féminine et rêves brisés. Une critique du patriarcat sous la forme d’une ode à l’intelligence des femmes. Finalement, la saison se clôturera avec la reprise de La putain respectueuse, texte phare de Jean-Paul Sartre. Dans cette version de Selma Alaoui, les thèses existentialistes de Sartre sont toujours là, mais adaptée pour une version qui colle douloureusement à notre époque.

La programmation, la billetterie et les informations sur les ateliers et comités sont à retrouver le site du théâtre !

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