Premier Roman #2 : « En attendant Heidi » d’Isabel Garcia Gomez

© Éditions de l’Aire Photocomposition : Véronique Wild

Pour ce deuxième épisode de Premier Roman, place ce mois-ci à En attendant Heidi d’Isabel Garcia Gomez, paru en 2022 aux éditions de l’Aire. Pour contrer le froid de février, laissons-nous transporter dans le confort des bains thermaux d’un hôtel alpin luxueux. Les descriptions quasi cinématographiques installent une tension dans cette attente mystérieuse…

Un défi comme source d’inspiration 

Isabel Garcia Gomez avait déjà écrit des nouvelles et exploré la fiction à côté de son travail de conservatrice-restauratrice d’objets ethnographiques, mais ce premier roman publié est né d’un défi qu’elle s’est lancé à elle-même : « écrire un roman où il ne se passe rien ». Pourtant, il s’en passe des choses, infimes, discrètes, et la tension monte graduellement jusqu’à la chute. L’autrice creuse l’attente d’un personnage en quasi immobilité dans cet hôtel, chaque journée qui se répète mettant la patience des lecteur·ice·x·s un peu plus à épreuve. Le fil était clair dans l’imaginaire d’Isabel Garcia Gomez : cette montée en tension mènerait les lecteur·ice·x·s à des questionnements sur la protagoniste et la raison de sa présence. Pour diriger ces interrogations, quelques informations sont disséminées de ci de là, un arrière-plan qui dessine le passé de la protagoniste et son lien avec Heidi, bien loin pourtant de laisser imaginer la fin…

J’aurais pu, bien sûr, ne pas provoquer mon destin dans cet hôtel. Je savais bien, en y allant, qu’il m’y attendrait, en rigolant. 

Isabel Garcia Gomez – © Emmanuel Jacques

Une protagoniste indéchiffrable 

Alice, la protagoniste et narratrice, raconte ses quelques jours passés à l’hôtel, dans l’attente de la fameuse Heidi. Elle s’installe dans un quotidien nouveau, celui de l’observation passive et des plongeons dans les souvenirs. Combien de temps s’écoule durant cette attente ? On ne sait pas vraiment. La chronologie est floue et la notion du temps s’efface de plus en plus alors que s’enchaînent les journées dans un calme enveloppant. 

Malgré le point de vue unique qui nous est donné, nous ne saurons jamais vraiment cerner Alice. Isabel Garcia Gomez, lorsqu’on lui demande des détails, dira de sa protagoniste qu’elle ne l’a jamais vraiment comprise : « C’est un personnage un peu incertain, trouble, pour moi il y a des choses qui restent ouvertes la concernant… » Il faut dire aussi que le regard de la protagoniste a beau être sensible aux détails, elle se déplace aussi avec nonchalance et ironie, peut-être même « une petite forme de sadisme dans certains de ses gestes », nous dit l’autrice.

Des descriptions millimétrées  

Dans les descriptions se glisse un petit quelque chose de magique, onirique, et les gestes simples qui donnent vie à l’hôtel deviennent des chorégraphies, un ballet intime au coeur de cet hôtel. Et tout cela nous vient des observations de la narratrice, comme nous l’explique Isabel Garcia Gomez : « Tout se joue à travers son regard, ce qu’elle observe des autres, la manière dont elle va donner vie à des petites choses que tout un chacun ne remarquerait pas ».

Et ce n’est pas pour rien que la narratrice pose un regard aussi pointu sur l’espace et les mouvements autour d’elle : on apprend au fil du récit qu’elle a été danseuse et qu’elle assiste désormais Heidi, elle-même chorégraphe. Un mélange inattendu de corps et de mouvement au milieu de cette fiction, qui prend aussi son sens dans les descriptions des corps dénudés pataugeant dans les thermes.

L’autrice s’est plongée dans un milieu pour lequel elle avait de la fascination. Sans que ce choix n’ait été prioritaire dans la construction du roman, il est peut-être venu d’un désir de renouer avec ce monde de la danse qu’elle a rencontré enfant. Une belle réussite que cette immersion, et pour cause : Isabel Garcia Gomez ne s’aventure pas dans ce domaine sans précaution. « Si je veux écrire quelque chose qui corresponde à la réalité, je suis extrêmement exigeante, j’évite d’écrire ce dont je ne suis pas sûre. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait tout un imaginaire autour ! J’ai envie d’avoir les bons termes et j’ai donc fait beaucoup de recherches. » Cette rigueur permet une réelle immersion, même pour un œil averti, et elle ne tombe jamais à côté. L’imaginaire n’en est que plus renforcé encore grâce à la crédibilité du récit. 

 Je la regardai avec l’attention que l’on peut porter aux choses quand, dans la parenthèse de l’attente, elles se trouvent soudain le sujet d’une considération transitoire qu’on sait, fatalement, devoir être interrompue par l’arrivée de ce qu’on attend.

Et derrière tout ce mystère ?

Évidemment, on commence par se demander pourquoi elle n’est pas là, cette Heidi ? Pourquoi ne la rejoint-elle pas et quel est réellement ce lien qui les unit ? 

Il faudra passer par toute la langueur d’un séjour inactif, pataugeant dans les eaux chaudes, rêvassant en observant le personnel et les clients, pour finalement obtenir un dénouement surprenant. Ou pas ? Comme dans En attendant Godot, l’espérance sans cesse renouvelée de l’arrivée d’un personnage dont on n’est même plus sûr qu’il existe vraiment se suffirait-elle à elle-même ?

Je ne peux pas en dire plus, ce serait gâcher un dénouement jouissif qui se déroule en fait en filigrane tout du long, mais voilà ce qu’Isabel Garcia Gomez nous en dit : « Tout le roman n’existe que pour mener à la compréhension de pourquoi Alice est là. La fin se veut ouverte, même si on a des réponses… »

On en a ri de bon coeur, mais ce n’est pas chose aisée que de parler de En attendant Heidi sans en spoiler la fin. Que dire si ce n’est qu’il ne vous reste plus qu’à le déguster pour vous laisser surprendre par la créativité et le talent de son autrice ! Isabel Garcia Gomez travaille d’ores et déjà sur un prochain roman à paraître, autrice à suivre donc… 

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