Nouvelle année, nouvelle série ! Chaque mois, EPIC présentera un premier roman d’auteur·rice·x du paysage littéraire local. Pour ce premier épisode, découvrons Fusil d’Odile Cornuz. Connue avant tout pour son travail de scénariste et d’écrivaine pour la radio, Odile Cornuz publie ce premier roman en 2022 aux éditions d’En Bas. Un roman de l’après coup de foudre et de la chute vertigineuse vers la rupture, où l’autrice donne voix aux objets, ces témoins des mutations de notre quotidien qui contiennent pour toujours nos souvenirs communs.
Agrémenté d’illustrations de l’autrice elle-même, le texte se déroule comme un flashback. Trois personnages sont présent·e·s du début à la fin, une femme, sa fille et un homme. La femme est appelée par son ex-mari une vingtaine d’années après leur rupture et c’est là le point de départ de la réminiscence de leur relation. On ne s’attardera pas sur les débuts, lumineux et plein d’espoir. Non, ce roman est celui de l’après « ils vécurent heureux et eurent beaucoup… » La relation s’étiole inexorablement jusqu’à sa fin et les lecteur·trice·x·s deviennent témoins de cette chute par le biais de menus objets du quotidien. Ceux auxquels nous nous accrochons, ceux auxquels nous ne faisons même plus attention.
Quand est-ce que ça finit? Comment savoir quand ça finit? Tout ce qui est lancé dans l’espace et ressemble à un lien entre deux êtres. Ça tisse des fils. Ça s’emmêle. Comme ça s’emmêle! Et il faudrait passer sa vie à démêler? Ou du moins la partie d’après? Celle qui suit le moment où les pelotes gisent tous azimuts? Reprendre le fil, oui.
« Fusil » d’Odile Cornuz, Éditions d’En Bas, 2022
Les objets, ces témoins silencieux
Le prologue annonce la couleur : qu’est-il advenu du fusil après la séparation du couple ? Le récit repart ensuite en arrière, aux débuts de la relation de couple, et les objets servent de prétextes anecdotiques ou illustrant les évènements. Un bracelet, un piège à souris, un autoradio… Ils témoignent tous des dynamiques de cette famille composée de trois individus jamais nommés. Mais ces objets sont aussi porteurs de symboles, par exemple un bracelet de fiançailles qui commence par réunir et petit à petit est oublié, relégué au fond d’un tiroir, comme le devient aussi la tendresse. Se centrer sur le matériel pour accéder aux souvenirs, c’est peut-être un bon moyen de rester dans une narration objective…
Parcours de l’amour, de perspectives à essoufflement
Puisque nous savons dès le prologue que cette histoire d’amour connaîtra une fin, le récit questionne surtout de quelle manière le dégoût s’installe au fur et à mesure que l’affection s’efface. On commence par tomber les masques furtivement, de temps en temps, puis les réflexions deviennent plus sèches, les contacts physiques plus rares et les malentendus remplacent les mots doux. Le quotidien glisse alors vers une lassitude et un agacement alourdi de charge mentale mal répartie. L’homme se montre de plus en plus déplaisant, impatient et agressif, la femme tolère de moins en moins ses accès de rage. Pour tempérer, certains chapitres adoptent le point de vue de l’enfant, plus détachée émotionnellement, même si sa relation avec l’homme devient elle aussi bancale à l’adolescence.
Quand tu écoutes vraiment le son des choses qui tombent, tu te rapproches un peu de la mort. Ce n’est pas effrayant. Ça offre de la profondeur. Ça rappelle la gravité. Ça pousse à l’humilité. Comme tenir des promesses.
« Fusil » d’Odile Cornuz, Éditions d’En Bas, 2022
Fusil est un roman fluide, sa lecture glisse aussi bien que s’enchaînent les anecdotes. Je l’ai lu d’une traite, comme on regarde un film, mais les chapitres bien distincts permettent aussi de mettre l’histoire en pause, pour les lecteur·trice·x·s moins avides.
Une très belle découverte que ce premier roman et une promesse d’avenir radieux pour cette autrice !