Une programmation innovante pour la 31ème édition du Festival Archipel

Depuis sa création en 1992, le festival Archipel célèbre chaque année pendant dix jours les recherches en musiques contemporaines et expérimentales. Présentant un programme riche composé de différentes formes d’aventures sonores (concerts, ateliers, installations musicales…), sa 31ème édition se déroule du 31 mars au 9 avril à la salle communale de Plainpalais à Genève. Pour l’occasion, EPIC est allé à la soirée d’ouverture du festival.

Une arrivée conviviale

Vendredi 31 mars, début de soirée, nous arrivons sur place et sommes accueillies par des membres de l’équipe d’Archipel. On tombe très vite sur l’espace du bar qui a été aménagé en cantine dans un esprit décontracté où l’on partage une soupe, du champagne ou des petites douceurs. Nous sommes tout de suite happées par une atmosphère chaleureuse et sans chichis. Tels des nuages, des morceaux d’isolant acoustique suspendus au plafond nous rappellent le thème du festival. Quelques pas plus loin, toute une série d’ouvrages sur la musique, des partitions, des disques et des livres théoriques sur l’expérimentation sonore nous sont proposés. Des pépites à découvrir tant pour les connaisseur·euse·x·s que pour les curieux·se·x·s.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

Corals, une performance participative

Ensuite, nous nous dirigeons vers la grande salle pour assister à la performance d’ouverture du festival : Corals, imaginé par le Kollektiv International totem.

Pas de speech pour nous demander d’éteindre nos portables, bien au contraire, c’est un QR code puis un deuxième que l’on doit scanner pour se connecter au wifi Corals qui permet au public de recevoir des notifications les sollicitant à faire des actions précises durant la performance.

Une scénographie surprenante nous attend : une station-service, faite en carton. Entre les étalages de chips, de cigarettes et de magazines, le tout surplombé par des écrans de caméras de surveillance, nous voilà plongé·e·x·s sans transition dans l’esthétique quasi cinématographique de la station essence.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

Un des performers tape sur un ordinateur, un autre scotche des cartons, le troisième bidouille sur des machines électroniques ; les actions s’enchaînent tandis que la radio s’emballe, et on réalise petit à petit que la partition a bien commencé.

Tous ces gestes du quotidien créent une multitude de sonorités, insignifiantes isolées mais orchestrales quand elles sont combinées ensemble. Répétitifs, stridents, drôles, les sons façonne une dramaturgie sensorielle étonnante. Le son provient de multiples sources placées à divers endroits de la salle, donnant l’impression aux spectateur·rice·x·s d’être enveloppé·e·x·s par les sonorités.

Toute action est source sonore, que ce soit le bip répété de la caisse, le grincement d’une éponge sur le sol, le bruit d’une voiture télécommandée qui fait des tours sur elle-même, le crissement d’un archet sur du carton, le grésillement du talkie-walkie, le bruit de la machine à étiqueter… Tout est exploré pour tisser la toile sonore.

De plus, les espaces semblent démultipliés : les écrans dans les écrans, les images à travers les images, les divers angles et points de vue. Différents espaces-temps coexistent : un live d’une streameuse nommée kitty67, une vidéo de coccinelles qui copulent, une visioconférence, des archives, des caméras de surveillance projetées.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

A l’intérieur de l’activité de cette station-essence, à la fois ordinaire et imprévisible, les spectateur·rice·x·s deviennent performeur·euse·x·s le temps d’une action. Un monsieur se lève du public pour aller acheter un paquet de cigarettes à la caisse. Plus tard, une spectatrice se retrouvera à courir hors de la salle fuyant un mystérieux danger avec l’une des performeuses qui lui donne des instructions étranges. Bien qu’en dehors de la pièce, cette course est visible pour le public car retransmise sur l’un des écrans.

Cette partition donne donc une place privilégiée à chaque personne du public qui met tout en oeuvre, le temps d’un instant, pour le bon déroulement de cet enchainement d’actions déroutantes. Le public curieux et joueur applaudit.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

Dans cette fabrique sonore immersive, les bruitages s’ajoutent, s’entremêlent et s’alignent en continu. En effet, cette exploration ne dure pas moins de quatre heures. C’est pourquoi les spectateur·rice·x·s vont et viennent afin de s’accorder des pauses de temps en temps.

Entre installation sonore, théâtre d’objets, orchestre expérimental, film d’action et expérience participative, on aurait du mal à qualifier cette performance. On navigue au rythme des vibrations sonores dans un bric-à-brac inqualifiable qui stupéfie, amuse et désoriente.

Déambulation au fil des œuvres

The Handphone Table (When you we’re hear)

En sortant de la performance Corals, nous partons explorer les installations permanentes qui sont réparties dans le bâtiment. Nous tombons tout d’abord sur l’œuvre de l’artiste américaine Laurie Anderson, The Handphone Table (When you we’re hear). Cette installation, créée en 1978, paraît simple au premier regard : elle est uniquement composée d’une table et de deux chaises et invite le·la visiteur·euse·x à s’asseoir et à poser ses coudes sur la table en mettant ses mains sur les oreilles.

En suivant ces indications, des sons apparaissent comme par magie : c’est en fait nos os qui permettent la transmission des vibrations depuis la source sonore jusqu’à nos oreilles. La connexion créée par le son à notre corps – alors utilisé comme caisse de résonance – permet une expérience immersive méditative, une reconnexion avec soi.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

Un Orchestre de papier

Ensuite, en suivant les scotchs collés sur le sol, nous passons une porte et arrivons dans un escalier menant à une salle cachée par un épais rideau noir. Intriguées, nous ouvrons le mystérieux rideau et arrivons devant Un Orchestre de papier de Pierre Bastien (2022). Le titre est parlant : devant nous s’active comme par enchantement un ensemble de quatorze appareils dont le papier est l’élément principal. Animé par des souffleries et des ventilateurs, le papier devient source musicale, notamment en frappant des tambours ou en se frottant à lui-même lorsqu’il est découpé en lamelles.

Au-delà de l’aspect sonore, le visuel de l’installation contribue également à offrir une atmosphère particulière aux visiteur·euse·x·s. En effet, la pièce est plongée dans l’obscurité et l’éclairage orangé, variant au fil de la musique, permet l’apparition poétique des ombres des mouvements du papier sur les murs de la salle. Les visiteur·euse·x·s se font alors emporter dans les mouvements de la chorégraphie des différents éléments s’activant tour à tour.

Avec tous ces éléments réunis, Un Orchestre de papier donne l’impression de suspendre le temps et propose aux visiteur·euse·x·s de se laisser porter par cette danse.

Into the Dirt

En continuant notre balade, nous arrivons au premier étage où se trouvent différentes œuvres, dont Into the Dirt, signée Dimitri de Perrot. Celle-ci se présente comme une installation carrée qui nous invite à écouter le sol, à se laisser emporter par « l’écoute de notre environnement le plus proche », comme le suggère la présentation de l’œuvre.

Nous tentons l’expérience, d’abord en marchant simplement sur ce sol qui semble nous interpeller, nous raconter quelque chose. Il gargouille, crépite, grince, tangue, ruisselle, souffle, vrombit.

Pour profiter de l’installation de manière plus immersive, nous nous couchons sur cette surface en bois. Les yeux fermés, les sons nous invitent au voyage. Ce n’est pas à la conquête du monde, comme on le ferait sur le tapis d’Aladdin, qu’on embarque, mais plutôt dans une exploration de nos sensations ; un voyage sensoriel. Cela semble pouvoir être la bande-son d’un rêve, parfois apaisant mais aussi mouvementé, empli de rebondissements, de retentissements. En résumé, Into the Dirt est une aventure agréablement perturbante, accessible à tout le monde.

Crédits : Photo Arthur Miserez – Retouches Miriam Theus

En définitive, nous avons eu le plaisir de déambuler dans un Pitoëff accueillant, chaleureux et inventif. Jusqu’au 9 avril, le festival regorge d’événements en tout genre. Rendez-vous sur le site du festival Archipel et sur leur page Instagram pour en savoir plus.

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