Vincz Lee, vingt-cinq ans d’histoire hip hop en Suisse

(© Ivan LaVague)

Ce vendredi, DJ Vincz Lee célèbrera ses vingt-cinq ans de carrière à l’Audio, accompagné par ses potes de toujours et de nombreux artistes locaux. Peu nombreux sont les DJ suisses romands à pouvoir prétendre à une telle longévité. L’occasion était belle pour EPIC d’interviewer l’artiste et de revenir sur les grandes évolutions de la scène hip hop genevoise et suisse.

Vingt-cinq ans de vie d’artiste, à vivre de son art, comment te sens-tu à l’approche de cette soirée anniversaire ?

Tu te dis que le temps passe super vite… Quand j’ai commencé à mixer, vers 20 ans, je me disais que ce n’était pas possible que je sois encore DJ à 30 ans. Dix ans sont rapidement passé, puis vingt-cinq ; et là on est en 2022 et je suis toujours DJ.

Tu es originaire du canton de Vaud, tu as grandi en partie à Genève. Comment tu expliques que toi, un gars local, tu sois parvenu sortir du lot et à vivre de ton art après encore vingt-cinq ans d’activité ? 

Je pense que cette réussite est un mélange de plusieurs facteurs qui ont fait cette réussite. Et quand je parle de réussite, c’est dans le sens pouvoir « vivre de sa passion ». Pour toute réussite, il y a un bon timing. Moi j’ai commencé à mixer à la fin des années 90 – en 1997 – c’était en plein dans ces années que le hip hop s’est véritablement installé en Suisse en termes de business. Pour te donner une idée, 97 c’est l’année où sort L’école au micro d’argent d’IAM, qui est le premier album de rap français à faire disque de diamant. À cette époque, le rap commence à sortir de l’underground en Suisse, de plus en plus de hits passent à la radio et il y a de plus en plus de soirées rap en club. Le rap s’installe dans le mainstream, et de nouvelles opportunités s’ouvrent alors.

Ma chance a aussi été de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. La personne qui a fait de moi l’artiste que je suis encore vingt-cinq ans après ses débuts, c’est Guy-Roland. Il a d’abord commencé par faire DJ, puis s’est lancé dans d’autres activités en lien avec le rap : il ramenait de la sape de New York pour la vendre à Genève, il a fait venir des artistes comme Cut Killer en Suisse. Bref, Guy-Roland est un visionnaire, un des acteurs majeurs qui a permis le développement de la scène rap à Genève et plus globalement de la culture hip hop en Suisse.

À ce moment, il a écouté une mixtape que j’avais passée à un pote et qui était arrivée entre ses mains. Il est venu me trouver et me dire qu’il aimerait être mon manager. Moi j’étais un petit jeune qui aimait le rap mais qui n’avait aucune connexion. D’abord, il m’a transmis son savoir : il m’a montré comment mixer comme les Américains, en enchainant rapidement les morceaux avec un couplet et un refrain maximum avant de changer de track, comment garder une intensité dans son mix, etc. En parallèle, il m’a fait mixer à des soirées à Genève, Lausanne ou jusqu’à Zurich et m’a présenté à d’autres artistes comme DJ Silk ou Rubestin, du groupe Les Petits Boss. Au fur et à mesure, tout s’enchaîne : on me book, on me rebook, puis en 2001, je rejoins l’équipe de Downtown Boogie sur Couleur 3. Là t’es entendu dans toute la Suisse, donc ça te donne une autre crédibilité. Puis j’ai commencé à mixer en dehors de Suisse et à beaucoup voyager, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Sénégal, etc.

Quand t’es jeune, une partie du plaisir de mixer est que t’es jamais seul : t’as un entourage de potes qui t’accompagne toujours en soirée, c’est comme une sortie de classe !

En vingt-cinq ans d’activité, as-tu déjà pensé à t’arrêter et faire autre chose ?

Oui, je me suis bien sûr posé la question, ça devait être il y a sept ou huit ans. À ce moment-là, je voyageais beaucoup et était souvent seul lors de ces voyages. Je me suis demandé si ce que je faisais remplissait toujours mon cœur et mon âme. C’est là que je me suis rendu compte que ce n’était pas le taf ou la performance qui avait changé, mais c’était le fait d’aller à ces concerts tout seul.

Quand t’es jeune, une partie du plaisir de mixer est que t’es jamais seul : t’as un entourage de potes qui t’accompagne toujours en soirée, c’est comme une sortie de classe ! Mais avec l’âge, les gens viennent moins en soirée, ils ont moins le temps ou ont d’autres priorités. Maintenant je m’y suis fait. Aujourd’hui clairement, cela reste un kiff de mixer et de gagner ma vie grâce à ça. Parmi mes idoles, il y a des types qui ont cinquante piges et qui sont toujours actifs, donc je me dis « tant que t’as du plaisir et que t’es en santé, continue de kiffer ». J’ai la chance de pouvoir vivre de ma passion depuis vingt-cinq ans, et c’est encore le cas aujourd’hui.

Maintenant que tu en es arrivé là, quels sont les changements les plus importants sur les cinq, dix, voire vingt dernières années que tu as vécu ?

Un premier élément qui a changé en vingt ans, c’est la mentalité. Avant, en tant que DJ, on était des sortes de geeks, du genre introverti, sur scène mais dans l’ombre. On kiffait le son et il fallait vendre ce qu’on faisait. Aujourd’hui, quand tu es DJ, il faut vendre une image. Les DJ d’aujourd’hui sont plus extravertis, ils dansent, balancent des tartes dans leur public et font le show. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, on était plus dans la musique et moins dans l’image. Ça s’observe aussi avec les organisateur·trice·s de soirée : aujourd’hui quand ils recherchent un·e DJ, ils sont plus en mode « lui·elle peut ramener du monde à ma soirée » et regardent de moins en moins les skills des artistes.

En tant que DJ, on était comme des bibliothécaires de la musique.

Un autre élément qui a totalement changé c’est évidemment la diffusion de la musique. Dans les années 80, 90 et 2000, la musique était sur cassette, vinyle ou CD. La plupart des gens n’avaient pas la musique, les seuls types qui en avaient c’était les DJ. Donc en tant que DJ, on était comme des bibliothécaires de la musique. On faisait l’intermédiaire entre les producteur·trice·s et le public, on diffusait et fait découvrir la musique aux gens. Aujourd’hui, c’est un tout autre modèle, car les gens ont accès à tout rien qu’en allant sur Spotify. Il y a moins cet esprit de reconnaissance pour le DJ et la musique qu’il a choisi de diffuser.

En lien avec l’accès facilité à la musique pour tout un chacun, je citerais comme troisième changement important la facilitation de l’accès à la discipline de DJ. Avant, t’achetais deux platines et un peu de matos t’en avais tout de suite pour 2’000 balles. Il y a quelque temps, j’achetais pour 1’500 francs de disques chaque mois. Dis-toi que quand je passais un maxi, donc une chanson, ça me coûtait 15 francs, donc ça faisait cher le mix d’une heure ! Aujourd’hui, tu peux te procurer un contrôleur à 300 ou 400 balles et tes sons plus ou moins gratuitement sur Internet suivant la qualité que tu souhaites avoir.

Le logo chat de Vincz Lee (Ivan LaVague)

Quel regard portes-tu sur la scène hip-hop genevoise actuelle ?

Je suis très heureux de ce qu’il se passe aujourd’hui sur cette scène. J’avais d’ailleurs très envie que Makala et Slimka viennent faire un show à ma soirée anniversaire. À Genève, il y a cette Superwak Clique bien sûr, mais aussi Chien Bleu ou Dibby Sounds pour ne citer que quelques noms. Il y a plein de super artistes qui font du bruit et qui sont en train d’aller bien haut. Mais ce que j’observe aussi, c’est que ces artistes savent se créer des opportunités, notamment avec les réseaux sociaux, pour se promouvoir et pour faire leur musique eux-mêmes. 

Tu aurais fait quoi si tu n’avais pas continué dans la musique ?

Je ne sais pas trop. Quand j’ai fini le collège, j’ai fait une école d’ingé son. Je pense que je serai toujours dans le domaine de la musique et du son en bossant par exemple dans un studio.

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes artistes en devenir ?

Ce qui est le plus important, c’est d’être passionné par la discipline artistique que tu souhaites faire. Si tu kiffes ton truc, tu vas te donner les moyens pour être le·la meilleur·e et aller le plus loin possible.

Le deuxième élément est qu’il faut taffer et ne pas se précipiter. Il faut prendre le temps de bien travailler son truc pour le maîtriser. Parfois je vois des gens qui mixent en club seulement six mois après avoir appris à mixer…

Enfin, il est important de discuter avec les autres personnes qui évoluent dans ton milieu artistique. Aujourd’hui, on peut tout apprendre par soi-même en regardant des tutos sur Internet. Mais selon moi, la transmission de culture de personne à personne reste essentielle. À mes débuts par exemple, c’est Guy-Roland qui m’a parlé du feeling et de comment « lire » la foule pour sentir quel son il fallait passer. Donc en tant que jeune artiste, il ne faut pas hésiter à demander autour de soi et à faire écouter ses mix aux artistes plus établis pour recevoir des feedbacks.

La soirée d’anniversaire de Vincz Lee aura lieu ce vendredi 2 septembre à l’Audio à partir de 23h30 et jusqu’à 8h ! Pour écouter ses mix, rendez-vous sur Soundcloud !

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