FREE ART SUNDAY, CHASSE À L’ART GENEVOISE

Dimanche. Jour de promenade.

D’humeur légère – (presque) frémissants de joie – vous évoluez au gré des ruelles baignées dans une lumière de fin de matinée. Quand soudain, dissimulées entre deux statues en bronze ou faisant le trottoir, des œuvres d’art fleurissent au sein de l’espace public. Surpris, enjoués, désemparés, vous êtes peut-être en train de participer sans le savoir à une véritable treasure hunt. Une chasse à l’Art en somme. Une fois l’émoi passé, vous découvrez une carte de visite sur laquelle figurent nom et adresse de contact. Mais surtout, un point de rencontre. Malgré l’envie de boire votre café méridien ou celle de retourner vous lover sous la couette, l’excitation l’emporte sur la réticence. Vous vous rendez alors au lieu indiqué. L’œuvre fraîchement trouvée sous le bras, un miaulement de contentement dans la gorge. Vous rencontrerez sans doute l’artiste à l’origine de votre dernière trouvaille. L’heure est à celle du don.

Le FREE ART SUNDAY est un concept initié à Genève par Mylène Silva, en septembre 2014. Artiste plasticienne, diplômée de la HEAD en 2013, elle était désireuse d’instaurer un rapport à la scène artistique genevoise décomplexé et libérateur. Inspirée par le concept de Free art Friday (mouvement d’art global) dont elle a pris connaissance à travers le visionnement d’un documentaire retraçant le phénomène en Israël, la démarche l’a interpellée. Alors que l’événement revêt des allures de flashmob, c’est avant tout la possibilité de découvrir diverses formes d’art par un biais singulier, accessible et ludique qui l’a séduite. Investir un quartier le temps d’un dimanche en proposant une carte au trésor minimaliste, le tout dans une atmosphère bon enfant : le pari est lancé.

 C’est dans le coquet quartier de Saint-Jean que s’est tenue la première édition du FREE ART FRIDAY ON SUNDAY. Mylène souligne l’implication de la maison de quartier dans la réalisation de l’édition, implication qui reflète l’esprit du projet: un mouvement pluriel et collectif. Un autre exemple concerne Johan Rothen (étudiant à la HEAD) grâce auquel une précieuse collaboration a pu se tisser avec les étudiants de la Haute École d’Art et de Design. Le principe est simple : un appel à projet est lancé et les personnes enclines à y participer en offrant l’une de leurs pièces (déjà existante ou qui sera conçue pour l’occasion) font alors partie de l’aventure. Ainsi, quinze artistes se sont proposés lors de l’édition de juin. Ni sélection, ni morceau choisi : chacun est libre de créer et de proposer son travail. Un point d’honneur est mis au plaisir, mais également au respect du public. L’on évitera ainsi toute œuvre devant couper petit doigt ou faire chuter du premier étage le passant pourtant aventureux – l’événement ayant lieu par tous les temps. Si le projet peut désormais compter sur le soutien du FMAC (Fonds Municipal d’Art Contemporain), il a dû être entièrement autofinancé à ses débuts.

La seconde édition, proposée cette fois-ci peu avant Noël, a évolué pour proposer une formule affinée, plus pétillante encore. Le nom d’abord, allégé pour embrasser celui de FREE ART SUNDAY. Et puis l’identité visuelle, réalisée par Mylène elle-même. D’ailleurs, elle a pu compter  sur diverses personnes comme Caroline Momo notamment – dont la rédaction de Don |objet |espace dans le cadre de son travail de Master à la HEAD l’intéressait vivement -, d’Ivan Gulizia – en charge la communication visuelle -, ainsi que de Vasco Paulino. Le bilan est réjouissant : en tout, ce sont vingt-six artistes suisses, dont trois internationaux (Paris, Bordeaux et Montréal) qui ont insufflé une nouvelle vie au projet. Si une dimension ludique s’impose d’emblée par la forme, la confrontation qui naît entre un art descendu dans la rue et un public hétéroclite –  promeneur accidentel ou chasseur d’Art confirmé – ouvre un champ de réflexion intéressant. Marcel Duchamp ayant révolutionné l’art contemporain avec son concept de ready-made (objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste), il est amusant de constater que la représentation de cet art au sein du public convoque parfois fantasmes et lieux communs. Ainsi, des objets voués à la voirie ont pu être pris pour des œuvres d’art. C’est alors qu’est née, sur la base de ces expériences personnelles, une véritable réflexion quant au statut ontologique de l’œuvre d’art. Enfin, une interrogation visant le cœur du projet survient : y a-t-il un espace/temps où l’objet transitant entre deux individus est simplement donné, sans intention, ni adresse, ni attente ? [1] Si Mylène a mis en place une politique du don, elle constate qu’il existe une forme d’attente en filigrane, un véritable besoin d’échange. C’est précisément cette antinomie qui est considérée dans le travail de Caroline Momo, et plus particulièrement lorsqu’elle actualise la notion de potlatch.

Loin des ethnies archaïques amérindiennes, le potlatch semble toujours ancré dans notre société contemporaine occidentale. Les termes de ce comportement culturel définissent grand nombre d’échanges non-marchand, hors du système monétaire. […] Cette évocation du don comme l’impossible est au centre de ma recherche. Chaque définition, chaque principe, chaque idée sur la notion générale de don se heurte au paradoxe de donner en admettant de ne recevoir absolument rien en retour : ni adresse, ni intention, ni réciprocité, un simple geste isolé, une action définie par le temps au milieu d’un processus global de transfert de biens. Comme un principe idéal qui se trouverait en périphérie de tout système économique. Le don est constamment menacé par l’échange. [2]

Tel un funambule, la notion de don évolue en constante recherche d’équilibre. S’il n’est peut-être question que d’une délicieuse utopie, il demeure intéressant de comprendre non seulement comment les interactions s’articulent autour du phénomène, mais également comment le FREE ART SUNDAY propose une forme humble et alternative aux circuits usuels. Pour la prochaine et troisième édition, Mylène rêve d’un parcours qui impliquerait habitants et commerçants, dont la fonction serait celle de jonction avec un autre événement artistique. Le projet s’organise en coulisses, avec la complicité du bureau culturel notamment. Dans tous les cas, il faudra attendre juin prochain pour découvrir ou réapprivoiser le concept…!

[1] MOMO C., Don|objet|espace, Genève, 2015, p.11.

[2] Ibid,. p.11.

Vous pouvez retrouver le FREE ART SUNDAY  sur :

Mylène SILVA, artiste plasticienne et initiatrice du projet :

 

 

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