Amitié, violence et caravane au Poche

crédit : Rebecca Bowring

Le Poche a ajouté cette semaine une nouvelle pièce à son génial répertoire, Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas de la Néerlandaise Magne van den Berg. Mis en scène par Sarah Calcine, ce spectacle, qui lorgne à la fois du côté de Thelma et Louise et d’En attendant Godot, aborde les thématiques de la violence faite aux femmes et de la diversité des rapports de domination.

Un matin de début d’automne. L’humidité douce et fraiche embaume les alentours de cette caravane un peu décrépite qui s’offre à nos yeux. C’est là que deux compères, Dom et Gaby, ont élu domicile. Cette journée est particulière : les amies attendent du monde, qui devrait arriver « entre 10 heures et 17 heures ». Il faut donc se préparer à la venue de ces visiteurs mystérieux, ce qui signifie trouver la tenue qui sied à l’occasion, sans que celle-ci ne soit trop dépareillée, trop formelle ou trop lâche. Dom la bavarde mène le bal et arbitre cet étrange et délirant défilé, face à une Gaby plus distante et détachée. C’est alors que Dom tombe sur un vieux manteau, appartenant à Martin, l’ancien compagnon de Gaby. L’envie que son amie le porte une dernière fois s’empare d’elle, afin d’oublier, d’exorciser le mal qui a été fait, mais l’intéressée ne le désire pas. Qu’il est périlleux de déterrer les fantômes du passé…

crédit : Rebecca Bowring

De la complexité des rapports humains

Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas est une pépite, à n’en pas douter. Sublimé par la mise en scène énergique et astucieuse de Sarah Calcine, le texte de la pièce est tout à la fois d’une drôlerie et d’une âpreté peu communes. Cette écriture brute, rapide et ciselée ne s’accorde aucun répit superflu, les répliques se limitant souvent à un seul mot. Les conversations entre ces deux amies sont ainsi particulièrement rythmées et intenses, donnant au tout une folle impression de vitalité et de tourbillonnement qui balaye toute possibilité d’ennui. Ce formidable résultat d’ensemble n’aurait néanmoins pas été possible sans l’épique interprétation de Barbara Baker (Dom) et de Jeanne De Mont (Gaby), dont le travail tant sur la voix que sur le corps est à souligner. Les deux comédiennes parviennent à matérialiser avec acuité les rapports complexes qui existent entre les femmes qu’elles incarnent, entre tendresse bienveillante, complicité certaine et rapports de domination presque pervers.

Le public se trouve ainsi emporté pendant 1h10 par ce chassé-croisé à la fois tendre et cruel. L’éclairage élaboré et intelligent qui accompagne les comédiennes permet d’appuyer avec dextérité les enjeux entre ces deux femmes retirées de la société pour mieux trouver « un lieu à soi », pour goûter à une liberté loin des troubles du grand monde. Pourtant, ce dernier revient inlassablement à elles, quand bien même elles s’évertuent à le fuir, ou du moins à l’ignorer. D’abord, par la volonté de se vêtir afin de donner la meilleure image possible d’elles-mêmes lorsqu’elles recevront de la visite, s’abandonnant de fait aux injonctions que subissent les femmes sur leur apparence. Ensuite, par l’évocation de la menace du féminicide et de la violence conjugale, que Dom tente trop brutalement de faire oublier à Gaby. Ou quand le remède ne guérit de loin pas le mal… Pourtant, l’espoir, teinté d’une forme de nostalgie, parait poindre à l’horizon. Celui-ci semble passer par la sororité, par la volonté solidaire de se réunir pour vivre pleinement et s’abstraire des torts causés par cette jungle qu’est la vie.

En représentation les 21, 22, 25 et 28 février ainsi que le 6 mars, avant une reprise fin avril et début mai. Toutes les informations sont sur le site du Poche.

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