GIRLS & BOYS, stratification d’une femme résiliente

Jouant avec les codes du stand-up, Verena Lopes nous gratifie d'une prestation de haute voltige. (crédit : Marc Heimendinger)

Comment parvenir à conscientiser l’indicible ? Comment se réapproprier, par la parole, sa propre histoire frappée par la tragédie ? GIRLS & BOYS, oeuvre du Britannique Dennis Kelly programmée au Théâtre de la Parfumerie jusqu’au 20 février, tente de nous fournir quelques éléments de réponse. La pièce mise en scène par Bastien Blanchard présente l’histoire d’une femme interprétée par Verena Lopes qui narre ce qu’a été sa vie jusqu’ici, de sa grande histoire d’amour et de son cheminement professionnel à son statut de mère ébranlée par l’horreur subie par ses enfants. Saisissant.

Elle est là devant nous, seule. Cernée par deux structures en bois rustiques et pour le moins sommaires, elle s’avance. Vêtue d’un pull couleur moutarde sans prétention, elle ressemble à vous et moi. Sans strass ni artifices, elle parait être une femme comme une autre. Et pourtant, elle a le courage de parler. De parler pour raconter. Raconter ce qu’elle a vu, vécu, ressenti. Des joies et des peines que son existence lui a apportées, elle n’oublie rien. Elle ne nous fera pas l’économie des détails, même des plus dérangeants. Pourtant, elle tâche toujours d’aller à l’essentiel, sans concession. Car cette femme a la distance nécessaire, la lucidité essentielle pour appréhender les faits passés, sans enjolivement de son vécu, sans exagération de ses gestes. Elle a dépassé cela, car elle a vu le monde tel qu’il est : à la fois intense et sordide, grotesque et violent, tourbillonnant et incompréhensible.

De cette femme, on ne saura jamais le nom. Mais cela est accessoire, car ce qui importe, c’est ce qu’elle est véritablement. Son récit commence par l’évocation de sa volonté inaugurale de sortir de son cocon et de suivre son destin, avant d’envoyer celui-ci paître – le hasard l’ayant d’abord amenée à Southampton, ville sans intérêt – et de décider de prendre son existence en main. Les choses s’accélèrent un beau jour dans une file d’attente EasyJet à Naples, où elle rencontre l’homme qui va partager sa vie et pour lequel elle brûle alors d’une passion incandescente. Par son audace et sa franchise, elle parvient dans le même temps à embrasser une belle carrière dans la production de films documentaires. De son idylle avec son mari naissent deux enfants, Leanne et Danny. Puis, sa relation conjugale bascule : de forts tensions et soupçons apparaissent dans le couple, sans doute alimentés par les difficultés professionnelles du mari. Qu’importe, ils sont trop lourds pour rester ensemble. De là, un engrenage macabre émerge peu à peu, d’où une violence inexplicable sourdra sans crier gare.

(crédit : Marc Heimendinger)

Raconter pour panser ses plaies

La pièce de Dennis Kelly en déboussolera plus d’un, questionnant jusqu’à notre conception du tragique et du comique. Le public se trouve tout de suite happé par l’histoire de cette femme qui s’exprime crûment, dans une langue qui se rapproche de celle de tous les jours. Pour autant, l’écriture est particulièrement fine, incisive, clinique, voire chirurgicale. Chaque mot a son importance et se trouve être une pièce essentielle de la construction narrative de la protagoniste. L’histoire de cette femme est introduite quasiment sous la forme d’un exercice de stand-up, assez loin des codes traditionnels du théâtre : la comédienne Verena Lopes s’adresse à nous directement, brise constamment le quatrième mur, parle souvent avec flegme et toujours avec recul. Et surtout, nous fait rire, parfois même aux éclats. Paradoxal, pour un récit qui de prime abord semble particulièrement pathétique. On se rapproche néanmoins de l’art dramatique lorsque le monologue face au public est entrecoupé par des scènes où la femme se remémore des moments plutôt conflictuels avec ses enfants.

La seconde partie du spectacle nous plonge dans une captivante et glaçante reconstitution des événements qui ont fait basculer sa vie de femme, de mère et d’épouse dans le drame. Toutefois, elle montre également l’impressionnante faculté de résilience d’une personne animée d’une volonté aussi ferme qu’absolue, emplie de confiance en sa capacité à dépasser des événements si douloureux. La force de ce GIRLS & BOYS, c’est donc avant tout la remarquable interprétation de Verena Lopes. La comédienne nous guide brillamment à travers la vie de la femme qu’elle incarne en nous faisant ressentir quasiment dans notre chair tous ses états d’âme : l’excitation intense des premiers ébats amoureux, l’allégresse de la réussite professionnelle, le dur labeur induit par la maternité, puis l’âpreté d’une vie de couple qui patine et s’enlise progressivement. Enfin, la cruauté d’une issue terrible. Mais surtout, la reconstruction d’un être qui a vécu le pire, et qui demeure plein d’espoir. Il est peu dire que Verena Lopes incarne avec humilité et élégance cette femme profondément humaine, qui surmonte peu à peu l’inimaginable par sa force de caractère.

(crédit : Marc Heimendinger)

Vivre, car c’est de cela dont il s’agit

GIRLS & BOYS met complètement à nu une femme qui tire un bilan honnête et entier d’une vie contrastée à plus d’un titre. La pièce oriente également en filigrane son propos vers la question de la violence qui sommeille dans nos sociétés que l’on croit trop policées à tort. Et aborde notamment la problématique de la domination masculine, de celle qui détruit sans vergogne voire sans motif tout ce qu’elle touche. Il faut néanmoins nous rendre à l’évidence : il est franchement difficile d’évoquer ce spectacle sans en dévoiler trop. C’est pourquoi nous vous encourageons à découvrir ce bouleversant récit de vie au plus vite, afin de vous délecter de ce puissant monologue de près d’une heure et demie, un défi périlleux relevé haut la main.

Toutes les informations : Théâtre de la Parfumerie

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