C’est à La Petite Reine que Pascal Viscardi, producteur et DJ, nous raconte ses débuts en tant que musicien, ses soirées improbables, et nous explique enfin ce qui démarque la culture électronique romande des autres.
Salut Pascal, est-ce que tu peux brièvement te présenter et nous dire d’où tu viens ?
Je m’appelle Pascal Viscardi, j’ai 32 ans, je suis producteur de Deep-House ainsi que DJ depuis environ dix ans. J’aime mixer tout type de musique, ça va de la House Garage au reggae dub, à la musique africaine, en passant par les hymnes funk-pop 80’s japonais, le funk digital des Caraïbes ou la Disco-no-Disco du Paradise Garage, etc. J’aime passer des disques dans toutes sortes de soirées. M’adapter à des configurations et des dancefloors très différents me stimule énormément.
Depuis environ 5 ans, j’ai eu l’occasion de sortir une vingtaine de disques (entre full EP’s et various). Je vis et je produis à Genève, c’est ici que j’ai grandi, mais je suis d’origine italienne et espagnole. Mon père est napolitain, ma mère madrilène. Je suis très influencé par mes racines, ça se retrouve forcément dans ma musique.
Parle-nous un peu de ton background musical. D’où vient cette passion pour la musique ?
Mon père jouait de la guitare et enregistrait pour le fun avec des potes. Il était aussi très porté sur les songwriters italiens par exemple Pino Daniele, Lucio Battisti, Lucio Dalla, Franco Battiato, Eduardo Bennato. Il y avait ce côté avant garde chez ces chanteurs pop qui m’a énormément marqué. Après, j’ai appris à jouer de la guitare toujours avec mon père, ce qui a développé mon oreille, ça m’a permis d’apprendre à associer les harmonies entre elles.
Durant mon adolescence, j’ai longtemps joué de la guitare dans des groupes d’Indie Rock. L’Art Rock, la New Wave, la No Wave, le Shoegaze, la scène « Madchester » étaient alors mes styles de prédilection. Ce sont encore bien entendu des styles qui me touchent aujourd’hui. Après ça c’est des trucs d’anglais ou de ‘ricains, à Genève pas grand monde en avait quelque chose à foutre, donc forcément quand j’ai commencé à sortir, je me suis tourné vers ce qu’écoutaient mes amis d’école : c’est là que j’ai commencé à m’intéresser au milieu reggae et dub. Je suis d’ailleurs très heureux d’avoir pu avoir cette éducation « forcée » (rires).
Mais du coup avec ce background plutôt rock, mais quand même extrêmement varié qu’est-ce qui t’a plongé en plein dans la musique électronique et plus particulièrement dans la Deep ?
Sans vouloir refaire pour l’énième fois l’histoire de la musique, mais évidemment le son jamaïcains est à la source de la culture DJ. Ça, on me l’a vite expliqué, et je m’en suis imprégné assez inconsciemment. J’ai ensuite commencé à sortir au feu Peeping Club avec les copains. C’est là que j’ai découvert la Techno et la House grâce à des producteurs/DJ comme Crowdpleaser, Agnes, Ripperton, St Plomb, etc.
Ensuite, il y a eu les soirées Villa Magica organisées par The Genevan Heathen aka Stéphane Armleder, où on allait voir TTC qui proposaient un style de hip-hop improbable, c’était frais et nouveau ! C’est tous ces événements et lieux mis ensemble qui m’ont donné envie de mixer et rapidement j’ai orienté mon digging vers la Techno et la Deep. J’ai commencé avec mon meilleur pote, C-Ray, on était DJ résidants un peu partout jusqu’à ce que l’on split. Là, ça fait environ six ans que j’ai décidé de faire mon truc en solo.
Maintenant si tu pouvais nous parler un peu de ton style musical et de tes influences en tant que DJ/producteur…
Je suis très inspiré par les sons de Detroit (Moodymann, Theo Parrish, Rick Wade, Mike Huckaby, Rick Whilite), de Chicago, mais aussi énormément par Agnès qui a – selon moi – véritablement ramené la House au goût du jour, au moment où elle était au plus bas. Je vais également mentionner la vague 90’s italienne – Don Carlos, MBG,Enrico Mantini, Patrick Duvoisin, Oneiric, Alkemy etc. – dont les pads angéliques et les grooves syncopés me fascinent et m’influencent encore aujourd’hui. Impossible aussi d’oublier de parler de la scène Jersey House de la même époque, un shuffle incomparable.
Évidemment, les influences citées plus haut se retrouvent très fortement dans mes techniques de production. En termes purement stylistiques, je dirais que je fais une House plutôt « slow », avec des sonorités deep, un groove très swingué.
Je dirais aussi que ma collection de disques – et de ce fait le sampling 12bits, grâce à ma SP1200 – est au cœur du processus. Pour résumer, bien que j’aime la chaleur et le côté crasseux des machines, une grosse partie de ma recherche sonore est basée sur la post production (Ableton Live) et des dizaines de plug-ins que j’ai, au fil des années, su faire fonctionner harmonieusement.
Martin Cramatte a.k.a Bassina du Studio 1157 (Fribourg) rejoint discrètement l’interview…
Dans ta carrière assez dense est-ce que tu as un souvenir particulier qui t’a marqué dans l’univers électronique ?
Je suis quelqu’un d’hyper nostalgique, j’aime bien me remémorer des souvenirs avec les potes et parfois même j’exagère (rires). Cela dit, j’essaye de vivre de plus en plus dans l’instant présent. Du coup, je vais te répondre que le meilleur souvenir reste à venir. Cela dit, je n’oublierai jamais l’époque du Shark à Artamis, ou de toutes les Warehouse lausannoises…
Tu as énormément mixé à Genève et ses environs, mais tu as aussi eu l’occasion de te rendre dans des endroits improbables…
J’ai eu l’immense chance d’avoir pu mixer à l’étranger, notamment à Shibuya (Tokyo). Le club était situé dans une espèce de citerne toute blanche (juste en face du mythique Womb club) avec de la moquette blanche partout, des gens super enthousiastes qui fumaient sans défoncer la moquette (rire). Il fallait enlever ses chaussures à l’entrée et pour aller aux toilettes tu avais une paire de Crocs à disposition ! Je suis arrivé directement dans la citerne après 24 heures de vol, j’étais encore en pyjama, « lost in translation ». Bref, c’était génial et ce sera un souvenir que je garderai à jamais en moi.
Malgré tous les sets et les enregistrements/collaborations, tu as décidé de ne pas passer pro et d’avoir un boulot comme tout le monde au lieu de devenir une star…
Ma façon à moi d’être un « pro » dans ce que je fais c’est de digguer les meilleurs disques, garder une ouverture artistique la plus large possible, de produire/mixer mes propres morceaux de la façon la plus appliquée et « nouvelle » possible, de délivrer des prestations en live où je me donne à 110% et qui touchent réellement les danseurs, et ce, aussi bien culturellement que physiquement. C’est aussi posséder ma propre éthique, une éthique très stricte que j’applique à tout ce que je fais. Après, être une « star » en faisant ce genre de musique ultra confidentielle, bonne chance (rires). Certains y arrivent, dans une certaine mesure. En ce qui me concerne, je ne le serai jamais et c’est très bien comme ça.
Tu disais que 2017 serait l’année dense en influences ; est-ce qu’elle le sera aussi en projets du coup ?
J’ai récemment signé chez les Chineurs de House qui représentent la nouvelle génération lyonnaise. Les artistes du roster sont jeunes, talentueux et enthousiastes, ils possèdent surtout une ouverture musicale à 360°. Je peux vraiment partager ce que je veux avec eux, ça passe par le funk, à la musique africaine, japonaise, etc. Je pense aussi que si la House est belle, c’est parce qu’elle se mélange bien avec tous les styles musicaux ; potentiellement c’est donc un genre très évolutif et très concerné par toutes les autres musiques.
Ensuite, au niveau des releases, on me retrouvera sur une compile des Chineurs appelée « Nation House – Commedia dell’Harte », entièrement consacrée à des artistes italiens. Pour le même label, j’ai aussi préparé un 4 titre principalement influencé par le Maghreb et l’Afrique centrale, ainsi qu’un autre 4 titre plus dancefloor et jazzy, cette fois-ci pour Shall Not Fade, le label de Bristol qui a lancé Mall Grab et bien d’autres. Je vais aussi figurer sur une compile 3 vinyles chez Courtesy Of Balance, qui réunira plusieurs super artistes et qui devrait chronologiquement être ma première apparition sur disque pour l’année 2017.
Ton endroit de style alternatif préféré à Genève c’est lequel ?
Franchement, je voudrais lancer un gros big-up à la Central Station, ils ont un cœur immense, ce sont des gars qui font ce qu’ils disent, ils y croient et ils donnent vraiment des opportunités aux gens. Après voilà… Aujourd’hui, à Genève, il n’y a plus vraiment d’endroit réellement alternatif, le dernier « vrai » lieu alternatif s’est éteint avec Artamis. Certes, l’Usine persiste, mais l’ère bénie des squats et des fêtes libertaires est bel et bien révolue. Encore que…
Je m’adresse maintenant à Martin et à toi puisque vous êtes les deux ultra bien placés pour en parler : quelle est la particularité de la culture électronique genevoise ou plus largement romande ?
Martin : Je dirais qu’en Suisse on joue carrément moins la carte marketing comme ça peut être le cas en France. On est moins dans l’image. Y a pas mal de micro-scènes qui se sont développées. Le fait qu’il n’y ait pas de marché de la musique permet l’évolution d’une culture émergente. Y a pas de structure cadrée ce qui encourage la spontanéité chez les DJ. Franchement sans Frantz Treichler des Young Gods on n’en serait pas là aujourd’hui. Sinon y a aussi pas mal de jeunes qui débarquent et qui viennent casser nos vieux principes. On est en constante évolution c’est ça qui est bien.
La petite question bonus maintenant, Pasc, si tu devais emmener avec toi quelques chansons sur une île déserte ?
Lucio Battisti – Prendila Cosi
Theo Parrish – Walking Thru the Sky (Liberation Mix)
Einstürzende Neubauten – Silence is Sexy
My Bloody Valentine – Only Shallow
Pharoah Sanders – Summun Bukmun Umyun
Stu Cisco – Huricane
Arthur Russell – That’s Us / Wild Combination
Pino Daniele – Quanno Chiove
Pascal Viscardi sera pour la première fois en LIVE à l’Écurie le 3 février prochain en compagnie de The Mystic Jungle Tribe.
Soundcloud : https://soundcloud.com/pascalviscardi
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