1+1=3 : Ramona Alschul et François Moncarey autour de l’ARK

(c) Lydia Frost

Deux architectures fascinantes au GIFF et c’est dedans que tout se passe : un simple dôme de bâches blanches est monté derrière la joyeuse salle communale de Plainpalais. Justement François Moncarey vient d’arriver avec du matos, dans ces dernières heures où tout doit être prêt ce soir. En nous servant un café, il rit avec Emmanuel Cuénod, le directeur du festival qui commence demain. Ramona Alschul est aussi dans les parages, quelle chance ! A eux deux, ils ont lancé le projet ARK, aka Dome, Le dôme ou Fulldome. Elle nous rejoint dès qu’elle aura installé quelques affaires…

Emmanuel Cuénod : Le dôme ARK, c’est le chainon manquant entre la salle de cinéma et le casque de réalité virtuelle. C’est à la fois une expérience immersive totale, comme la VR, et un vecteur d’émotions collectives, comme la salle de cinéma. Au GIFF, nous y présentons en sus des œuvres suisses, dont nous avons initié la création, avec Swissnex Boston, le DIX, MySquare et la Ville de Genève. Il s’agit aussi un clin d’œil au thème « digital hippie utopia/dystopia » de cette 23e édition, dans la mesure où la pensée de l’architecte et futuriste Richard Buckminster Fuller, qui a conceptualisé le premier dôme géodésique, a beaucoup inspiré la contre-culture hippie.

 

Ça va ? Il a été monté combien de fois, ce dôme ?

François : Ah ! Je dirais qu’on s’approche de la dizaine. C’est la deuxième fois qu’on le monte au GIFF (sachant qu’il y a deux ans, ça s’appelait encore Festival Tous Ecrans).

Peux-tu me raconter l’odyssée d’ARK au GIFF ?

Le GIFF est un festival de cinéma qui considère les nouveaux écrans comme des formes d’art à part entière : séries et webséries, nouveaux médias, V’art etc. Nous, on arrive avec ce nouveau format, fulldome, qui pourrait s’inscrire dans la classe des V’arts, des réalités virtuelles. Ça paraissait logique qu’il ait sa place ici, donc je l’ai proposé. J’avais déjà fait la déco et la scénographie pour le festival, du coup ça a été nos premiers partenaires en 2015.

ARK existe depuis quand ?

On a eu l’idée en été 2014 au Boom Festival, un festival psychédélique qui est un peu le Burning Man européen. En revenant de là-bas, on avait plein d’idées… (s’adressant à Ramona qui nous rejoint) Ah ! J’en suis au Boom, là…

…on avait donc plein d’idées, et on s’est dit que c’était un aboutissement des installations immersives. Dans nos contacts, le CERN était motivé, puis aussi le GIFF. Avec deux contrats, on pourrait rembourser une partie de l’investissement, donc banco ! Je me souviens qu’on a reçu le dôme le 14 mars 2015, et on devait le monter le 15 mars 2015 (rires), donc tout était hyper tendu : on a été le chercher en Slovénie, il y a eu toute une histoire… C’était un accouchement un peu difficile, quoi !

Ramona, quand tu as su que vous alliez monter fulldome, pour toi, c’était : ‘Wow !’, c’était : ‘Oh.’ Ou c’était ‘Euh…’ ?

Ramona : Ben on a décidé ensemble. On a tiré les cartes pour savoir si on le faisait ou pas. Il y a eu deux cartes intéressantes : l’une disait que tu allais réaliser un projet à deux, où tu te complètes mutuellement, et l’autre, c’était grand soleil, donc on y va !

François : C’est vraiment cette idée de la synergétique : 1+1=3. Je me serais pas senti de m’embarquer tout seul dans cette aventure et Ramona non plus. A deux, c’est un peu comme ces couples qui montent un restaurant, une affaire en famille… Ou plutôt un cirque : un cirque moderne.

(c) MySquare

Ça fait triper d’être sous ARK ?

(Rires.) François : Tu veux répondre ?

Ramona : Réponds toi…

François : Ta question, elle évoque les états modifiés de conscience. C’est vrai que c’est un peu ce qu’on recherche : quelque chose d’un peu psychédélique, offrir ce moment d’élévation au public et qu’on tripe ensemble. Sous drogues, ou sous Oculus (le masque de réalité virtuelle) on est seul. Là, c’est collectif : tout le monde a le même trip. On ne le vit pas forcément de la même façon, parce que c’est en fonction de son expérience et qu’on raisonne différemment, mais on peut discuter après de ce qu’on a vécu ensemble, et de ce qu’on a ressenti. C’est aussi une évasion collective, un moment quasi spirituel : il y a cette sorte de décollage méditatif ensemble. On programme des choses assez deep et très musicales, car la musique est hyper importante.

Immersion, voyage, fascination, entrain… et même faire disparaitre l’audience ! Dans les voyages intérieurs, il y a parfois ce moment où on a l’impression d’être réellement transportés quelque part ?

François : C’est plutôt disparaitre soi-même : sous le dôme, on n’est plus face à l’écran, mais dans l’écran, dans la matière vidéo. On est autre part. On peut entrer dans un trip total : on s’allonge au sol, on oublie son corps et on s’envole. On disparait potentiellement physiquement, pour n’être plus qu’à l’état de conscience d’un esprit qui voyage dans un film, ou dans l’esprit de l’artiste.

Ramona : Tu vois, quand tu es dans un train, et que celui d’à côté démarre, tu as l’impression que c’est toi qui es en train de partir… Le dôme, ça fait un peu ça : t’as l’illusion de bouger, d’être transporté ailleurs.

(c) MySquare

Vous pouvez me parler un peu de ce qui vous fascine et de ce qui vous transporte ?

François : Le son et la musique. Dans le dôme, le son a une place très importante. Ce qui me transporte, ce serait une musique expérimentale, qui s’étire sur la longueur, ou une musique sacrée même, des fois. Ce qui peut passer à la Cave 12, par exemple : des musiques du domaine un peu initiatique. Après, qu’est-ce qui nous fait triper ?

Ramona. La musique, je dirais : expérimentale, mais joyeuse. (Rires.)

François : Ouais ! Profond, élevant. La musique sacrée, ou profane, ou celle qui se joue à l’orgue par exemple, c’est des choses qui peuvent nous faire voyager. Après, on a pas mal voyagé physiquement… Comme à Bagan en Birmanie, par exemple : c’est des endroits où on peut ressentir une spiritualité tellement forte qu’on voyage aussi visuellement dans l’atmosphère et dans la lumière : les levers de soleil, ces moments… Les paysages et la nature aussi.

C’est surtout pour une expérience audio-visuelle chamanico-technologique, ou est-ce que vous y voyez d’autres utilisations possibles ?

Ramona : Bah… la fête ! (Rires.) Je trouve super aussi la fête là-dedans.

François : Complètement ! La fête au sens de cérémonie : il y a la fête du samedi soir, où des gens se bourrent la gueule, mais il y a aussi la fête comme ces cérémonies africaines, où les gens dansent autour d’un feu, dans un cercle. Là, on a aussi un cercle : c’est la fête, mais à un niveau cérémonial. Tous les participants deviennent acteurs, on fait partie de ce qui se passe. On organise aussi des spectacles scéniques immersifs, avec Scenes notamment.

(c) Lydia Frost

 

MySquare a immergé des physiciens au CERN, des ingénieurs et des entrepreneurs au MIT, des festivaliers au Fusion (Berlin), mais aussi à la Bâtie, à Gstaad, etc. Est-ce qu’ils ont envie d’y faire entrer de nouveaux types de participants ? Les membres d’un parlement, par exemple, pourquoi pas leur faire vivre une expérience collective transcendentale ? Ou alors des élèves ? Ou un spectacle sous forme de cirque ?

Ramona : Je trouverais super. On a déjà eu une sorte de rituel yoga, et ce serait chouette de faire un type de cérémonie, dans le sens propre.

Un baptême, ou une bar mitsvah, par exemple ? Renouer avec les traditions ?

François : Pas traditions, parce qu’on imagine tout de suite un truc religieux. Nous, ce serait complètement laïc…

Ramona : …et inventer des nouvelles formes aussi.

François : Plutôt des formes d’élévations collectives et de spiritualité, détachées de tout type de religion. Et puis aussi, des jeunes qui ont du mal à se concentrer, si on arrive à capter leur attention ne serait-ce que 20 minutes, ce serait pas mal. Qu’un moment, ils soient complètement dans un univers, sans zapper, sans discuter, sans regarder leur téléphone, en étant concentrés et en vivant une expérience, c’est un challenge qui n’est plus beaucoup tenté actuellement… En ce moment, on est tellement sur les réseaux sociaux qu’on croit vivre des expériences, mais on ne les vit pas vraiment : il y a un écran entre nous et l’expérience. Dans le dôme, les écrans sont un peu interdits et on est allongé, donc des questions comme l’apparence ou les stimulations extérieures fondent complètement. Pendant un moment, on peut vivre pour soi. Ce genre de moments où on intériorise, où on ferme les yeux pour écouter une musique, c’est difficile à évaluer, mais c’est possible qu’un jeune de 20 ans ne l’ait jamais vécu : on n’est plus une génération qui fait ça, et je pense que c’est assez mauvais de vivre que sur l’extérieur…

(c) MySquare

Vous projetez vos propres réalisations, ou bien il vous arrive aussi de projeter les travaux d’autres artistes ?

François : On a les deux. J’ai fait un ou deux films, mais c’est pas trop mon truc. On est plutôt dans les expériences live : on génère le son et la vidéo en live comme dans un concert, en jouant en fonction de ce qui se passe. J’utilise un gamaging, un moteur de jeu vidéo, et on se balade dans des univers.

C’est du Vjing, comme on disait à une époque ?

Non : le Vjing, c’est passer des images en boucle. Moi, j’utilise une autre technologie, ça peut plutôt ressembler à… Non, ça ressemble pas à autre chose…

Parle m’en alors, parce que MySquare a aussi développé un système de scénographie interactive, d’éclairages dirigés par les mouvements d’un danseur, mais je pense que c’est une des facettes…

Ouais voilà. On a des systèmes temps réel, ça veut dire que c’est pas des films où on lance la lecture : générée par des algorithmes informatiques 60x/sec., l’image est vivante. On récupère des logiciels de jeux vidéos comme Unity, mais au lieu de les utiliser pour la Playstation, on se les réapproprie à des fins artistiques. On crée des univers dans lesquels on va ensuite se balader, et ces univers réagissent aussi en sons. Donc c’est pas simplement projeter, ça ressemble plus à un groupe en train de produire du son et aussi de l’image.

Ouais et sur quelles partitions ? T’as une base de données puis après tu modules ?

On crée un univers 3D, et après, on se balade dedans à l’aide d’une manette. Avec Ramona, qui joue la musique en live, on se met d’accord, on se dit : ‘ok, on arrive là, et là il faut ça… hop !’ On joue ensemble, image et son, on se connecte. Un peu comme un concert, sauf qu’un des instruments, c’est la vidéo. (Se tournant vers Ramona) C’est ça ?

Ramona : Oui. Et pour le jeu, on se regarde, on s’ajuste, etc. On a des repères à tel ou tel endroit, mais c’est improvisé. C’est ce challenge qui est intéressant.

Au GIFF, il s’y passe quoi ?

François : Il y a dix films d’artistes suisses et dix autres films internationaux : japonais, américains, canadiens… dont une partie qui vient de la Société des Arts Technologiques à Montréal. On a fait un appel à projets d’artistes suisses, puis on a organisé deux workshops à la Reliure, d’où ont découlé ces dix œuvres qu’on projette. Et puis il y a aussi Exosphère, qu’on va jouer en live : on se balade virtuellement ici, dans une sorte de rêve astral : les gens vont décoller et voyager là. (Il montre le magnifique bâtiment de la salle communale de Plainpalais, avec ses couloirs splendides et je me prends à rêver…)

Ah ouais ! Vous l’avez aussi joué à Boston, Exosphère

Oui, sauf que là-bas, on se baladait au-dessus de Boston. Ici, on se balade au-dessus de Genève.

Les œuvres suisses sont des films de (en vrac, voir aussi le programme du GIFF) : Benjamin Muzzin, Nicolas Buechi, Alun Meyerhans, Melissa Cate Christ, Jean-Daniel Schneider, Sophie Le Meillour, Fabrice Starzinskas, John’C Salansky, Nathaniel Evans, Matthias Grau, Géraldine Zosso, Marc Dubois, David Colombini, Laura Perrenoud, Emile Barret, Baptiste Gratzmuller, Yoann Douillet, Patrick Donaldson, Laurent Monnet, Vincent de Vevey.

Pouvez-vous nous parler de ce logiciel démentiel qui permet à un danseur d’activer l’éclairage ?

C’est parti d’un spectacle qu’on a fait, Disorder, qui était en deux dimensions : t’étais derrière un écran. Là, on a une version 3D : le moteur est toujours sur une base de gamaging, mais plutôt que d’avoir une manette, c’est le corps qui devient la manette. On installe des caméras kinect 2, qui captent les mouvements des bras et des jambes, ce qui te permet d’influer à la fois sur le son et sur la vidéo, donc sur l’environnement 3D. C’est un projet pour Dome, qu’on travaille avec Scenes Events. On le jouera en première en juin 2018 à Montréal, où on a été en résidence la semaine dernière, et après on fera surement une tournée en Europe avec.

Mais… c’est parti pour une odyssée monumentale, là ! Il y a d’autres projets ?

Ouais, à la fin de novembre à Lancy, pour la première fête Lancy en lumières, on fait une œuvre interactive de 900m2 : à l’aide de boutons, les gens pourront activer toute une cour. Ça va s’appeler la Cour des Miracles, une réappropriation du roman de Victor Hugo en installation interactive monumentale. Après, je pars à Moscou avec Exosphère le 3 décembre…

(c) MySquare

Le dernier truc dont vous êtes sortis et qui vous a passionnés, c’était quoi ?

Ramona : Je sais pas… je viens d’avoir un enfant, alors c’était peut-être un enfant ! (Rires) C’est un peu comme l’accouchement du dôme : faut persévérer, et après c’est parti pour une longue odyssée !

François : Ben moi pareil : j’ai eu un enfant en même temps… C’est le dernier truc qu’on a fait…

Ramona : …de vraiment intense ! (Rires)

Qui sont les capitaines de légende qui vous ont fait voyager ?

François : Moi j’aimais bien Albator. Tu vois qui c’est ?

Mais bien sûr je vois qui c’est !

Ramona : C’est qui, Albator ?

François : Un capitaine de l’espace. Quand on part en voyage et qu’on se balade avec notre navette de l’espace, j’ai un peu l’impression d’être Albator (rire).

Ramona : Et moi, je pense que c’était plutôt en mer : Vicky, le petit enfant qui partait avec les Vikings (rire).

C’est quoi le liquide le plus space dans lequel vous avez été immergés ?

François (rire) : C’est quoi ces questions ? Ah ouais ! On a fait de la plongée en Thaïlande, à Koh Tao… Là, quand tu mets la tête sous l’eau, d’un coup, t’es dans un autre univers : il y a des tortues, des requins, des poissons de toutes les couleurs. Sur terre, il y en a plus un seul parce qu’on les a tous butés, mais sous la mer, on est encore chez eux : ils sont proches, ils ont pas peur de toi, ils viennent (il joint les pulpes des doigts) « pt-pt-pt » te manger.

(c) MySquare

Votre équipage de rêve pour une Space Oddity?

François (rire) : On prendrait ce mec complètement fou que tu disais, là, tu sais ? T’hallucinais…

Ramona : Ah ! Sun Ra ! On prendra Sun Ra, et aussi Fifi Brindacier.

François : Aussi les membres de notre équipe : Kevin, Thomas, Dylan et Alijan. Et des gens un peu différents : on prendra des filles pirates…

Ramona. …et Milo, notre fils !

Immersion dans votre esprit maintenant : on a parlé de méditation, de l’aspect un peu chamanique de cette expérience que vous proposez, quel est votre mantra ?

François : Bah… je crois quand même un peu à la magie de la vie, et le fait qu’on se retrouve à faire ce projet, c’est pas anodin : je me suis toujours dit qu’il y a une sorte de magie ou de destinée qui nous aidait. Tout s’est organisé comme si c’était un peu notre destin de créer ce projet : le fait qu’on se rencontre, qu’on le monte ensemble… C’est bizarre !

Ramona : Ouais, et on a confiance : quand un projet se fait, comme le dôme, c’est parce que c’est juste. Et quand un projet se fait pas alors qu’on le voulait, c’est aussi parce que c’est juste…

François : Oui, c’est pas une question de business : c’est un projet qui, à son échelle, peut faire du bien à l’humanité…

Ramona : …créer des belles rencontres.

François : Oui, s’il y a ce karma là autour de ce projet, jamais on se dit qu’on va se faire un maximum de pognon avec : par rapport au travail que ça demande, c’est pas vraiment hyper lucratif, mais on se dit que ça fait du bien aux gens.

Vous êtes un peu des Masters of Ceremony ?

Non, parce que le MC, il est sur scène, tandis que nous, on est caché. On n’est pas sur scène, comme des MC ou des DJ. On est anti-culte de la personnalité : on est plutôt dans le culte d’une idée commune et d’un projet commun…

Vous êtes les premiers ou parmi les premiers, c’est l’occasion de trouver un nom pour ce que vous faites. Ce serait quoi ?

Ramona : C’est l’arche, quoi !

 

 

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P  R  O  C  H  A  I  N  E  S    E  S  C  A  L  E  S

GIFF – Fulldome

03 – 11 novembre 2017

Programme du GIFF – programme Fulldome

Rue de Carouge 52 – 1205 Genève (derrière Pitoëff)

 

La Cour des Miracles, installation interactive

30 novembre – 17 décembre

Premier festival des lumières de Lancy

Route du Grand-Lancy 8, 1212 Lancy