Il y a un an, nous vous présentions les dessous de l’édition romande avec la série Editons! Un constat : Genève regorge de maisons d’édition en tout genre prêtes à prendre des risques et à défendre des regards particuliers. Aujourd’hui, quatre d’entre elles sont à l’honneur.
Post Tenebras Libris, plongez dans le noir
Existe-t-il une maison d’édition romande spécialisée dans le polar ? Pas vraiment, ou seulement des collections. C’est le constat qu’ont fait Olivier et Régis, deux passionnés de roman noir. Après de nombreuses soirées à discuter lecture et écriture, ils se sont lancés le défi d’en devenir la première. « Post Tenebras Libris, c’est l’unique maison d’édition à ne faire que du noir. Nous voulions redonner à ce genre, souvent mal considéré, une finesse et offrir la possibilité à des auteurs.trice.s romands.e.s d’explorer le polar et le triller, avec une qualité de plume. C’est l’un des piliers de la maison, nous voulons des plumes nettes, avec du caractère ». Formée de deux personnalités au parcours complémentaires, la jeune maison d’édition, âgée de quelques mois, se veut un terrain fertile au regard sur la région et sa population. « La littérature sombre est pour nous un portait précis et grinçant de la société. Elle met en lumière des personnages et des vies qui n’ont pas ou peu accès à la littérature, et dont la littérature ne s’intéresse pas toujours ».
Débutant d’une feuille blanche, les deux associés ont procédé à des appels à textes, ciblant les écoles en écriture, ou cercles littéraires et universitaires, mais aussi sur les réseaux sociaux en juin dernier. « Nous ne sommes pas partis avec un premier roman à publier. Nous avons imaginé la maison, étudié sa viabilité et son identité, et seulement après nous avons cherché à rencontrer des auteurs.trice.s. Depuis nous avons reçu déjà pas mal de manuscrits et sommes en discussion pour plusieurs publications. Nous avons eu des coups de cœur, en termes d’histoire et de plume. Le travail d’édition est lancé et nous imaginons publier ces deux premiers romans pour la fin 2020 ou début 2021. Mais nous prenons notre temps. Chaque étape a son lot d’excitations et de découvertes, nous en apprenons en permanence. Recevoir les premiers manuscrits, c’était palpitant ! »
Avis aux romans noirs restés dans un tiroir, Post Tenebras Libris est toujours en construction et en recherche d’histoires. C’est l’occasion d’être lu.e, avant de pouvoir se plonger dans leurs ouvrages et univers.
Les éditions des Syrtes, à la découverte de l’autre
Les éditions des Syrtes existent depuis vingt-et-un ans et se sont installées à Genève il y a dix ans. D’une envie de partage et d’ouverture, Serge de Pahlen a fondé une maison aux couleurs de l’Est. Depuis, la mission des éditions n’a pas changé : donner l’histoire d’ailleurs pour comprendre le monde autour. « Aujourd’hui encore, nous cherchons à rendre visibles des réalités en pays slaves pour offrir d’autres visions du monde et les nuancer. Certes, cela passe par nos importantes collections réservées aux essais, à l’Histoire, aux témoignages, à la littérature classique dont les classiques russes. Mais, et ce depuis plusieurs années, nous ouvrons notre catalogue aux contemporain.e.s. Il est important, à nos yeux, de faire entendre les voix de ces vies loin de notre quotidien. »
Gabrielle Cottier nous a donné à imaginer l’équipe des Syrtes : trois collaborateur.trice.s en territoire genevois, et une personne à Paris, le tout se chargeant des vingt publications que la maison sort en une année. « Chargée des relations avec les libraires, je mets aussi la main à la pâte sur le plan éditorial : relecture, mise en page, couverture, discussion avec les auteur.trice.s, échange avec les traducteur.trice.s. Voir le livre se faire et pouvoir le défendre auprès des libraires, des journalises ainsi qu’auprès du public est un réel plaisir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous accueillons des auteur.trice.s contemporain.e.s. Nous aimons faire découvrir ces plumes jusqu’à les inviter à Genève et créer ces ponts entre les langues, permettant une rencontre des cultures. Dans notre monde actuel, il est important de ne pas perdre le lien à l’autre, et on y veille au grain. »
Pour un peu de lecture, Gabrielle Cottier conseille Le Jardin de verre de Tatiana Țîbuleac. Traduit du roumain par Philippe Loubière, ce roman est l’histoire de Lastotchka, sortie de son orphelinat à sept ans par une ramasseuse de bouteilles. Dans un assemblage de fragments, Lastotchka raconte sa vie d’une force déstabilisante, allant du passé au présent, les assemblant, les confondant dans ses souvenirs d’enfant. Un deuxième roman des plus vibrants publié en avril dernier à découvrir dans vos librairies.
Les éditions Tordues, pour donner voix
Lancées au début de l’année par Paul.e Hemme, les éditions Tordues sont un espace d’exploration aux multiples valeurs, tenues dans un adage : donner de la place aux voix qui n’en ont peu ou pas. « Au centre de cette maison d’édition, il y a l’accueil de ce qui n’a pas sa place dans notre société. Ou une place en demi-teinte. Nous désirons avec ce projet accueillir des ouvrages queers, bodypositifs, antivalidistes, anticapitalistes, décoloniaux et féministes, en créant un espace de liberté. Rendre accessible la publication à chacun.e, c’est pour nous jouer avec les normes, qu’elles soient thématiques, langagières, formelles, esthétiques et commerciales. »
Dans cette démarche d’accessibilité, les éditions Tordues – tirant leur nom d’une tentative de traduction de queer – travaillent à même la matière, questionnant papier, impression et reliure pour chacun de leurs ouvrages. Leur première publication Sors ta Cière – pièce de théâtre écrite, jouée et mise en scène par Mia Mohr et Naïma Arlaud de la compagnie La Campanazo – se présente en carnet. « Ce qui nous plaît dans le processus d’édition, c’est le travail collectif. Dans le cas de Sors ta Cière, le lien avec les autrices et leur travail au plateau nous ont nourri. On a pensé la mise en page comme la mise en scène. Toutes deux sont des mises en espace et guident le regard dans l’histoire. Créer des liens entre la scène et le papier nous paraissait essentiel. »
De manière générale, le lien entre les arts est un élément fondateur de la maison d’édition. Paul.e Hemme, avant de se lancer avec les éditions Tordues, étudie la performance à la HEAD. Déjà dans sa pratique se côtoient écriture, dessins et corps. « Notre prochaine publication mêlera dessins, textes et réflexions faisant suite à un appel à contribution autour de l’habitat. Au-delà des publications, nous rêvons la maison d’édition comme une réelle maison. Un espace physique pouvant accueillir lectures et performances, mais surtout ateliers en tout genre. Les ateliers sont une activité importante des éditions et s’inscrivent pleinement dans ces espaces collectifs que nous désirons créer sur le papier ou non. »
Les ouvrages des éditions Tordues sont à découvrir sur leur page Instagram, ainsi que lors de leurs prochains événements.
La Joie de lire, un espace pour l’enfance
Depuis 1987, les éditions La Joie de lire ont su faire leur place sur la scène littéraire romande, mais pas seulement. Ses livres voyagent depuis des années à l’étranger, y rencontrant un public curieux. « En 1981, j’ai repris La Joie de lire » nous explique Francine Bouchet, actuelle directrice de la maison. « A l’époque c’était encore une librairie. Fondée par Paul Robert en 1937, c’était l’une des premières librairies d’Europe spécialement dédiée aux enfants et à la littérature jeunesse. C’est ce qui nous rassemblait, lui et moi, cette envie de donner à l’enfance un espace, une bulle pour célébrer son imagination et sa liberté. »
Commençant seule l’aventure de l’édition, Francine Bouchet a su faire grandir la maison, ouvrant ses portes à des artistes-auteur.trice.s de tous les horizons. « Il y avait à faire en matière de littérature jeunesse. Ayant eu des enfants en bas âge à cette époque et travaillant dans la librairie, j’avais une vue assez claire de ce qui se publiait et j’avais envie de plus. Il y avait à découvrir des univers. L’importance a toujours été donnée au texte et à l’image, c’est ce qui nous a très vite mis en lien avec des auteur.trice.s internationaux.les. L’image est un mode d’expression par-delà les frontières. D’ailleurs, nous publions beaucoup de traductions. »
Dans le catalogue éclectique des éditions La Joie de lire, se rencontrent des auteur.trice.s de tous parcours. Dont la Suissesse Albertine, l’une des autrices phares de la maison, connue pour son ouvrage Marta et la bicyclette, qui vient de recevoir pour l’ensemble de son œuvre le prix Andersen 2020. Comme le jeune Fabian Menor qui publiera sous peu sa première BD, Elise, dont il nous avait parlé il y a quelques mois. Parmi ces nombreux albums, il y a de quoi prendre le temps de vivre entre mots et dessins, et laisser s’échapper notre âme d’enfant.