Balkis, roman entre deux terres, par Chloé Falcy

Où est-on chez soi ? Sur la terre de ses origines, celle qui nous a vu naître, porteuse de la culture dans laquelle nous nous sommes construit.es, ou sur celle des rêves où le futur semble s’ouvrir et qui avec le temps devient celle du quotidien ?

Dans son premier roman, Chloé Falcy s’attarde sur la vie de Balkis, jeune Irakienne arrivée en Suisse dans les années cinquante pour des études en art. Dès les premières lignes, l’immersion est franche et intime, le regard sur Genève décalé car il est celui d’une jeune femme qui a rêvé de l’Occident. « L’arrivée à Genève est un moment de pur bonheur, un bonheur d’opium, dense et absolu. […] Je lève les yeux vers le ciel. D’un gris presque blanc, [le soleil] s’est détourné pour cacher son regard. Je peux faire ce que je veux ». Il suffit de tourner quelques pages pour qu’au-delà du rêve les enjeux d’un quotidien codifié échappent à la narratrice.

Avec Balkis, l’auteure se saisit de la figure de l’étranger, en creuse ses nuances et contradictions entre liberté et restriction. Parce que partir ne signifie pas toujours lâcher sa culture, la jeune femme oscille entre ses ami.es immigré.es et les suisses et suissesses qu’elle rencontre. Comment faire sa place et auprès de qui ? Comment respecter ses origines, sa culture et s’ouvrir à celle de l’Autre ? Ce sont ces questionnements qui ne cesseront de grandir dans le cœur de Balkis, par moment dans ce que la vie a de plus doux comme dans sa violence la plus crue, la forçant à la fuite ou à la confrontation — la confrontation aux autres comme la confrontation à soi. Ce roman porte avant tout le tracé d’une vie et de ses choix.

Nous sommes allés voir une faiseuse d’anges. [… ] Je ne comprends toujours pas pourquoi on les appelle ainsi. Est-ce parce qu’en fait d’anges elles créent des ombres qui nous suivront où que nous allions, ou parce que ces petits gardiens sont voués à n’avoir ni sexe ni nom ?

À la figure de l’étranger et ses défis s’ajoutent ceux d’un personnage féminin ancré dans sa réalité. Et si cette réalité est définie par une période historique évidente, parsemée de références à l’Histoire irakienne et rappelée par des regards aigres sur ces femmes en pantalon, elle est souvent oubliée et prise pour la nôtre. Il y a la question du corps et des attentes que la société lui fait porter, le poids des silences qu’il renferme et l’outil d’expression et d’émancipation qu’il est. Outil que Balkis utilise mais que sa famille limite et contrôle. Ce livre est aussi l’histoire d’une femme et de sa relation à sa famille : entre sa sœur qui la rejoint en Suisse, le respect des traditions de son frère et les choix imposés de son père. Comment jongler entre les opportunités qu’offre la famille et les devoirs dont elle charge ? Faut-il leur rester fidèle pour devenir soi ou apprendre à s’en détacher ?

Avant de partir, mon père m’a dit : « Ma fille, j’aimerais que tu regardes ta main, que tu la regardes attentivement. Tu portes l’honneur de la famille à l’intérieur. Je t’en prie, prends-en soin, ne le salis pas. Je te fais confiance pour ne pas laisser l’Occident te faire oublier qui tu es, d’où tu viens. »

Dans ce premier roman, Chloé Falcy s’essaye à l’écriture d’une vie perdue entre deux cultures. Bien que sa langue comprenne nombre d’images et de métaphores parfois envahissantes, l’auteure plonge son lectorat au cœur d’un combat intime et silencieux. En novembre 2017, Balkis s’est vu recevoir le prix littéraire chênois récompensant les premiers ouvrages et soutenant les premiers pas de jeunes auteur.es suisses ainsi que le travail de leurs éditeur.trices.

Balkis, publié chez Pearlbooksedition, est à retrouver dans toutes les librairies.

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