Plus le confinement se prolonge, plus on semble se diriger vers une « saison blanche » en matière de festivals pour 2020. Ces derniers temps, les annonces d’annulations d’événements culturels et de festivals se sont enchaînées, avec comme point d’orgue les annulations du Paléo et du Montreux Jazz Festival. Mais comment vit-on cela au sein de l’équipe d’un festival de taille moyenne ? Exemple avec l’Octopode Festival, dont nous rencontrons aujourd’hui Manuel Tiercy, responsable de la coordination générale, de la direction technique et de la programmation.
Tout d’abord, présente-nous votre association et l’équipe qui la compose.
Sub-Session, l’association derrière l’Octopode Festival, a été fondée il y a 9 ans par un groupe de potes qui se connaissaient tous depuis un moment. On faisait de la musique ensemble et on organisait des événements à Meyrin. Après un an d’activités, nous avons décidé de lancer le festival Octopode, avec un programme d’abord éclectique, et qui s’est par la suite divisé en deux soirées : une soirée rock/métal et une soirée reggae.
Historiquement, au niveau de l’équipe organisatrice, on était une dizaine de personne mais au fil des années, de nouvelles personnes ont rejoint le projet et pour cette 9ème édition, nous sommes une vingtaine, tous bénévoles.
Les valeurs que nous défendons sont l’ouverture, la gratuité et l’ancrage local. Il n’y a pas de contrôles aux entrées et pas de prix libre, et nous cherchons à assurer la qualité de la programmation, en conjuguant les artistes locaux et internationaux.
Quelles sont les conséquences directes du (semi-)confinement au sein de l’équipe ?
Du côté pratique, on ne peut pas se rencontrer pour faire les réunions, qui, à cette période, ont lieu habituellement deux fois par mois. Nous faisons des vidéoconférences, mais uniquement pour régler les questions de coordination et d’organisation, pas pour véritablement avancer dans les tâches concrètes. Nous avons donné beaucoup plus de responsabilités aux membres de l’équipe organisatrice et chacun se soucie de faire avancer son travail pour les échéances fixées de manière plus autonome.
Du côté de l’organisation, le principal problème est le manque de directives claires pour les festivals de la part du Conseil Fédéral. Il y en a pour certains milieux professionnels, mais pas pour nous. Maintenant, avec le déconfinement qui approche, on observe que tous les secteurs d’activités ne reprennent pas de manière égale. Et au rythme où c’est parti, on sent que le domaine de la culture va être dans les derniers à voir ses restrictions levées. Nous attendons une position claire de la part du Conseil fédéral pour avoir le temps de nous préparer.
Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
À vrai dire, tout ça nous fait peur. L’organisation du festival comme l’Octopode demande beaucoup d’investissement, et si l’événement est annulé, il y a toujours le risque que l’équipe soit démotivée et qu’on s’arrête par manque d’énergie. Malgré tout, l’Octopode fait au mieux afin de traverser cette période difficile et continuer ce projet qui nous tient à cœur.
Pourquoi dans ce cas ne pas avoir dit plus tôt « ok on s’arrête là pour cette année » ?
La question d’annuler le festival est évidemment constamment remise sur la table. Est-ce qu’on retarde le fait d’engager financièrement le festival ? Est-ce qu’on s’arrête maintenant pour ne pas perdre de l’énergie ? Quel serait le manque pour le public ? Et pour les partenaires ?, etc. En pesant le pour et le contre, on s’est dit qu’on s’en mordrait les doigts si le festival pouvait finalement avoir lieu et qu’on ne l’avait pas préparé. Donc on prépare le festival au mieux, on donne le maximum pour que cela se passe, et si cela doit être interdit, alors cela fera suite à une décision d’une autorité compétente.
Comment faire la programmation dans un tel climat ?
Il est toujours possible d’organiser certaines choses : faire des devis, signer des contrats, régler les questions logistiques, etc., surtout parce que l’Octopode Festival travaille principalement avec le marché local (Suisse romande). Par contre, pour le booking des artistes, c’est plus compliqué, car il y des risques liés aux frais engagés.
L’annonce officielle de l’annulation de Paléo et Montreux nous a touché, car certains artistes que nous avions prévus ont à leur tour annulé leur tournée… Toute une partie du travail effectué depuis septembre est à recommencer. Il faut maintenant retrouver des artistes capables d’organiser une tournée sur un mois ou un mois et demi, et ça c’est toujours difficile, surtout avec des frontières fermées. Mais de manière générale, je constate avec satisfaction un esprit de solidarité générale des agences de booking et des managers pour que les choses se passent.
Es-tu en contact avec d’autres festivals qui sont dans la même situation que vous ?
À Genève, on est en contact avec les festivals de la FFGe (Fédération des festivals genevois), notamment le festival Plein-les-Watts, qui a lieu une semaine avant l’Octopode à la mi-août. Dans l’attente d’une éventuelle interdiction, ils ont également fait le choix de continuer malgré les incertitudes. Aujourd’hui, on en est au même point, et nos décisions se feront très probablement de façon similaire.
Sur la scène internationale, on est en lien avec d’autres festivals mais c’est plus à titre informatif, on n’est pas encore dans la cour des grands.
Et toi dans tout ça, comment vis-tu cette période si particulière ?
Je trouve que la situation est difficile notamment à cause du manque général d’échanges, non seulement humains, mais aussi dans les liens avec les événements culturels. Une partie de la culture se recrée sous forme informatique. La distribution de l’objet culturel se fait désormais en ligne et cela déstabilise la plupart des acteurs culturels, qui essayent tant bien que mal de ne pas perdre le lien avec leur public. Sur internet, il y a des choses géniales, les gens sont créatifs, inventifs, mais je trouve qu’il manque cette rencontre humaine autour de la culture, ce côté « vrai », « palpable ».
Pour revenir au festival : quels sont selon toi les éléments organisationnels essentiels qui garantissent le succès d’un festival tel que l’Octopode ?
En dehors de toute considération financière, il faut avant tout des gens motivés. Peu importe la taille de l’événement, 10 personnes ou 100’000 personnes, il faut des gens qui ont envie de donner quelque chose.
Le deuxième aspect, c’est l’envie de travailler avec les personnes qui sont autour de nous. Sur une semaine de montage, la moindre friction peut être délicate. Chez nous, on questionne très souvent le bien être au sein du comité et l’impact des décisions sur les membres de l’équipe organisatrice.
Troisième élément de réussite : une programmation artistique de qualité. Il faut proposer quelque chose qui parle au public de l’Octopode Festival, tout en assurant une forme de cohérence et de pertinence, en fonction de l’actualité et de l’exclusivité territoriale.
Le quatrième élément qui fait le succès du festival est l’ambiance sur place. Je compare souvent ça à un domicile : il y a des endroits chez des gens où, grâce à la disposition du lieu, on se sent tout de suite bien. Pour un festival, il faut bien réfléchir à comment faire circuler les personnes, penser les trajets, les rencontres. Chaque année, on regarde ce qui a bien marché et ce qui a moins bien marché et on fait des ajustements. Il s’agit parfois de détails, mais suivant l’aménagement qu’on choisit, on constate des différences notoires dans le flux des personnes et dans l’ambiance.
Le dernier point qui contribue au succès de l’Octopode Festival est l’absence de contrôle à l’entrée. Je suis persuadé que quand ton premier contact avec un festival c’est une banderole et une personne qui te tend un flyer d’info avec un sourire, c’est très différent que d’avoir une fouille et un contrôle des billets.
Quels conseils tu aurais pour des jeunes qui voudraient se lancer dans l’organisation d’un festival ?
Premier truc : si on a un projet, il faut se dire que c’est possible, on a le droit de rêver à des projets. Si on a vraiment envie, on fait des compromis, on trouve des solutions, on se laisse du temps et tout devient faisable. Ensuite, il faut chercher de l’expérience et apprendre. Le mieux quand on débute, c’est de poser des questions à un maximum de gens, de recueillir des avis variés, de s’impliquer dans d’autres événements, puis de voir où on se situe dans tout ça et ensuite de se lancer.
À ce moment-là, il faut aussi se renseigner sur le cadre légal pour constituer son association. C’est rébarbatif et pompeux, mais, en cas de soucis, ça assure une protection.
Enfin, concernant l’aspect programmation, mon conseil est de prendre en compte différents aspects et de ne pas uniquement se baser sur ses propres goûts musicaux. Le rôle des personnes chargées de la programmation est de jongler entre la qualité artistique des projets, la faisabilité, l’actualité, les attentes du public, le budget et les frais « à côté », tels que ceux de la technique : souvent négligés, ses frais peuvent être très importants.
L’Octopode Festival devrait avoir lieu les 21 et 22 août 2020, à la Campagne Charnaux de Meyrin.