De la HEAD à Locarno

O Fim do Mundo

Les films des réalisateurs.trices diplômé.e.s du Département Cinéma de la HEAD présentés à la 72ème édition du Locarno Film Festival exploraient différents horizons : bidonville lisbonnais, centre de soin aux oiseaux, cellule familiale en crise, univers de la jeunesse dorée genevoise, plages et villages cubains.

O Fim do Mundo de Basile Da Cunha était sans nul doute l’un des temps forts du Concorso internazionale. La trame se déroule dans un quartier de la périphérie de Lisbonne où se concentre un peuple d’anciens colonisés, d’immigrés cap-verdiens. Ce film à la beauté crépusculaire raconte la lente fin d’un monde qui se consume à petit feu, à coup de bulldozers et d’incendies, gangrené tant par la violence de l’État qui dépossède les habitants du quartier de leur toit que par celle des gangs qui se livrent une guerre sans merci. Là où il aurait pu faire un film de gangster, Basil Da Cunha se détourne des scènes d’action auxquelles la teneur du récit aurait pu l’inviter pour filmer des visages. Non pas par maniérisme ou tic d’auteur, mais parce que c’est peut-être l’unique choix possible laissé à un cinéaste d’aujourd’hui : comme pour signifier que l’histoire de ce monde qui n’en finit pas de se défaire, nous la connaissons déjà – elle a déjà été racontée tant de fois – et que la dernière chose que le cinéma puisse faire, c’est de filmer le regard de ses témoins. C’est ce du moins que suggère la dernière séquence du film, qui s’achève sur un enterrement. Da Cunha isole des gros plans dans la foule, au cours d’un longue procession par un matin gris. Soudain c’est le jour : tout du long, le film nous a plongé dans la nuit et nous en voyons maintenant le terme (fin du voyage, tout le monde descend). Nous découvrons une galerie de visages contrits, de malfrats unis dans la douleur. Aucune parole, une musique d’orgue aux résonances sourdes pour seul accompagnement sonore. On repense alors évidemment à la première scène, un baptême, et on se dit que la boucle est bouclée, fatalement bouclée. Mais la symbolique semble trop facile : la seule chose qui compte, ce sont ces visages qui se tiennent là, face à nous, dans toute l’épaisseur de leur irréductible présence.

Présenté au Concorso Cineasti del Presente, L’île aux oiseaux de Maya Kosa et Sergio da Costa marque par son épure formelle. Le film suit la trajectoire d’un jeune adulte qui, suite à une longue période de solitude, reprend peu à peu contact avec la société en travaillant dans un centre de soin pour les oiseaux. C’est un film d’une grande sobriété, tant au niveau de la mise en scène et du récit que du jeu des acteurs : plans fixes, prises de vue frontales et interactions tenues entre des personnages aux attitudes corporelles réservées fondent la grammaire de cette œuvre dépouillée. Pourtant, il ne s’agit nullement d’un film austère : les cinéastes posent un regard doux et pudique sur la réalité filmée, ces hommes et femmes à la vulnérabilité palpables, absorbés dans le soin aux volatiles. Lors de la dernière scène, un repas d’adieu à l’un des employés du centre, l’émotion jaillit soudain. Il ne faut pas grand-chose : quelques larmes, une silhouette qui s’en va. C’est précisément dans cette économie de moyens que L’île aux oiseaux trouve sa force et sa place pour parler du monde d’aujourd’hui – de la solitude qui nous ronge, de la difficulté de trouver sa place au sein de la société.

Love Me Tender

Dans la même section, Love Me Tender de Klaudia Reynicke échoue là où il essaie de faire sens. Sa réflexion sur le carcan familial et les normes sociales s’articule à travers des symboles trop évidents (la maison de famille comme prison où l’identité du personnage peine à s’accomplir) et un développement narratif hésitant (bien qu’il regorge de bonnes idées, l’épisode de l’enlèvement du laitier peine à trouver sa place au sein de la structure du film). En revanche, Love Me Tender marque le talent indéniable de son actrice, Barbara Giordano. C’est à travers son interprétation que le film parvient à trouver le souffle de liberté et d’inventivité auquel il aspire ; c’est par sa qualité de présence qu’il réussit à déployer un discours audacieux sur les normes de genre. Bien plus que la peinture du milieu oppressant dans lequel elle évolue – peinture trop abstraite, trop ostentatoirement métaphorique –, c’est le corps de Barbara Giordano, ses mouvements désarticulés, l’imprévisibilité et la frénésie de son jeu qui donnent à voir le poids des attentes et des conventions qui emprisonnent le personnage, que son irréductible singularité fera voler en éclats.

Présenté hors compétition, Sapphire Crystal de Virgile Vernier, court-métrage réalisé dans le cadre d’un atelier donné à la HEAD, était l’une des œuvres les plus marquantes du festival. En trois séquences et trois lieux (un club, une maison, les rues désertes du centre-ville), le film dresse un portrait à la fois précis et suggestif de la jeunesse dorée genevoise. Virgile Vernier évite tous les pièges dans lesquels il aurait pu tomber, à commencer par l’adoption d’une posture moralisatrice. Nulle trace de jugement dans le regard du cinéaste : défait de tout préjugé, celui-ci rend le monde de la nuit à la fois étrange et familier. Le réalisateur est maître dans la composition d’atmosphères et sait comme nul autre capter l’ambiance feutrée des boîtes de nuit luxueuses ou l’aura fantomatique des rues genevoises par une nuit d’hiver. Aussi le film suscite l’adhésion tant du point de vue de ses qualités artistiques qu’anthropologiques : Sapphire Crystal ménage une plongée saisissante et subtile dans le milieu des « gosses de riches » dont il observe avec malice les comportements.

Baracoa

Baracoa de Pablo Briones est un portrait de l’enfance des plus poétiques. Présenté au Panorama suisse, le film suit le quotidien de deux enfants d’une petite ville non loin de La Havane. C’est l’été, le temps de vacances ; et le cinéaste de raconter ces longs après-midis où le temps s’étire, consacrés à l’exploration d’espaces interdits. Livrés à eux-mêmes, loin du monde des adultes (dont la présence est rare au sein du film), Leonel et Antuán se réfugient dans des lieux insolites : piscine abandonnée, usine désaffectée, etc. Sous leur regard, le monde devient terrain de jeu. Bientôt, Antuán est appelé à retrouver son père dans la capitale. Leonel a tôt fait de le rejoindre. Leurs conversations et jeux se poursuivent dans d’autres décors, sous d’autres cieux. Le regard de Leonel se démarque peu à peu. Le film partage ses doutes, ses interrogations sur l’avenir de son amitié avec Antuán. C’est sur ses mots que le film s’achève : un monologue d’une profonde philosophie, où l’enfant de neuf ans évoque avec une sensibilité inouïe l’existence de Dieu, son expérience du temps, les aléas de la vie.

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