Sélectionné à la Semaine de la critique cette année à Cannes, Gabriel et la montagne de Gabriel Buchmann sort au Cinélux ce mercredi 6 septembre. Film inclassable aux accents existentiels, il fait preuve d’une finesse rare dans sa réflexion sur la capacité du médium cinématographique à reconfigurer la signification d’une existence.
En 2009, Gabriel Buchmann, jeune Brésilien de 28 ans, disparaissait sur les flancs du Mulanje au Malawi. Son corps fut retrouvé dix-neuf jours plus tard par deux paysans. Fellipe Barbosa connaissait Gabriel, il était l’ami de ce jeune homme parti explorer le vaste monde avant d’entrer à UCLA pour y faire un doctorat en sciences économiques. Le temps d’un film, il retrace les septante derniers jours de voyage de son ami à travers l’Afrique de l’Est. Singulière démarche que celle de Fellipe Barbosa, qui fait jouer leur propre rôle aux personnes rencontrées par Gabriel Buchmann au cours de son périple : à l’exception de João Pedro Zappa et de Caroline Abras, qui interprètent respectivement Gabriel et son amie Cristina, aucun acteur professionnel à l’affiche, mais des femmes et des hommes amenés à réinterpréter sous l’œil de la caméra des moments vécus en compagnie du jeune homme. Quel genre de film est donc Gabriel et la montagne : un hommage funèbre rendu à un proche ? Une reconstitution documentaire des derniers jours d’un être cher ? Un film de survive à mille lieues des conventions du genre ? En vérité, l’entreprise taxinomique se révèle vaine ; c’est justement dans cette quête brouillonne que l’on saisit la vérité du film, soit celle d’une œuvre d’art singulière qui se laisse difficilement enfermer dans des catégories préétablies. Gabriel et la montagne se définit avant tout par sa tonalité émotionnelle, gracieuse et pudique, qui se manifeste de façon bouleversante dès le magnifique plan-séquence d’ouverture : un lent et magistral panoramique qui nous fait assister à la découverte du corps. La lumière du matin caresse le paysage, la caméra parcourt avec douceur les hautes herbes dans lesquelles s’affairent les paysans. Soudain, le cadavre apparait discrètement dans le cadre, sans affectation ni pathos. Le raccourci peut sembler facile, mais on est tenté de dire que Gabriel et la montagne commence là où s’achève Profession : reporter d’Antonioni : même mouvement de caméra pour dire la mort. D’emblée, les jeux sont faits, l’issue fatale est dévoilée, le film sera le récit des derniers jours d’une vie éclairés par la mort. On pense alors aux mots de Pasolini : « la mort accomplit un fulgurant montage de notre vie : elle en choisit les moments les plus significatifs et les met bout à bout ». Et l’on s’aperçoit soudain que la comparaison avec le dernier chef-d’œuvre d’Antonioni n’est pas si gratuite : comme Profession, Gabriel est une (en)quête existentielle, dont l’insaisissable objet est l’identité de son protagoniste, ce jeune homme chaleureux et souriant, faisant montre d’une facilité extrême à établir contact avec autrui. Durant plus de deux heures, nous assistons à l’exploration de son tempérament, de ses doutes et de ses convictions, révélés de manière si poignante dans l’intimité de son rapport avec son amie qui fit un bout de chemin à ses côtés. Les pays traversés ne se réduisent pas, comme un certain cinéma nous l’a tant de fois rabâché, à une simple scène sur laquelle se joue le drame identitaire d’un personnage mâle et blanc : la complexité du tissu humain, la diversité des rencontres sont au cœur du récit, tandis que l’idéalisme du jeune homme, qui aime à se prendre pour un Masaï, est habilement questionné. Gabriel et la montagne n’est pas une fable abstraite sur la condition humaine, mais un film qui questionne le sens d’un voyage, d’une posture existentielle, d’une vie humaine. Sensible et émouvant, sensuel et intelligent, il sait toucher juste.
Emilien Gür
Gabriel et la montagne, un film de Fellipe Barbosa, avec João Pedro Zappa, Caroline Abras, … (Brésil). Projections au Cinélux dès le 6 septembre 2017