Jusqu’au 10 octobre, les Cinémas du Grütli présentent une rétrospective des oeuvres de la cinéaste française Agnès Varda, esprit génial et novateur disparu cette année. EPIC a profité de l’occasion pour en savoir plus sur les nombreux cycles de projections organisés par l’institution préférée des cinéphiles genevois, allant d’Alfred Hitchcock à Romy Schneider en passant par Sergio Leone, Spike Lee ou Akira Kurosawa. Entretien avec Alfio Di Guardo, directeur-adjoint et responsable des programmes des Cinémas du Grütli.
Vous souvenez-vous de la première rétrospective organisée par les Cinémas du Grütli ?
Les rétrospectives sont dans notre ADN depuis toujours. Les Cinémas du Grütli sont nés en janvier 2010, suite au départ à la retraite du directeur du CAC Voltaire, dont l’institution organisait déjà des rétrospectives consacrées aux grands noms du cinéma mondial. Le CAC s’est dissous et l’Etat nous a confié la mission de reprendre une partie de ses prérogatives, notamment en ce qui concerne l’organisation de ces cycles du patrimoine quasi mensuels. Je ne me rappelle pas quelle a été notre première rétrospective, mais je peux vous assurer qu’elles font partie de la programmation des Cinémas du Grütli depuis leur création.
Possédez-vous des partenariats afin d’obtenir plus facilement les films que vous projetez lors de ces rétrospectives ou dans le cadre d’autres événements ? Comment fonctionnent ces partenariats ?
Au début de l’aventure du Grütli, nous nous sommes rapprochés de la Cinémathèque suisse, avec laquelle nous avons conclu un acte d’association, ce qui est un privilège au niveau national, car rares sont les salles qui ont cet avantage. Nous avons également mis sur pied une sorte de réseau parallèle avec des salles-soeurs situées dans toute la Suisse, notamment à Lausanne, à Zurich et à La Chaux-de-Fonds. Nous avons des échanges réguliers entre salles et nous nous proposons et partageons des films que nous avons achetés dans d’autres pays européens. La projection de la même oeuvre peut donc avoir lieu en même temps à plusieurs endroits en Suisse romande, car, avec les nouveaux formats de support des vidéos, la distribution des films est devenue bien plus simple.
Comment choisissez-vous les acteurs.trices, les réalisateurs.trices et les thèmes mis en avant lors de ces rétrospectives ?
C’est un choix assez libre, effectué en particulier par Edouard Waintrop, directeur des Cinémas du Grütli, et par moi-même. Sachant que nous sommes une très petite équipe, nous discutons également tous ensemble du choix de l’artiste ou du thème qui sera la figure principale d’une prochaine rétrospective. Chacun peut ainsi donner son avis. Ce choix peut également être effectué à l’occasion de l’anniversaire d’une personnalité du cinéma ou d’un événement exceptionnel. Par exemple, au début de l’été, nous avons décidé de rendre hommage à deux figures du cinéma décédées récemment : Stanley Donen, célèbre pour ses comédies musicales, et Bruno Ganz, acteur suisse incontournable et légende du cinéma de langue allemande. Nous avons également un partenariat avec le Festival de Locarno, dont nous reprenons la rétrospective annuelle, consacrée cet été au mouvement de la Blaxplotation. Toutefois, nous n’avons exceptionnellement pas voulu présenter ce cycle aux Cinémas du Grütli cette année pour nous concentrer plus spécifiquement sur Spike Lee, un réalisateur très populaire qui s’inscrit dans la continuité du courant de la Blaxplotation.
Le choix des personnalités mises en avant est très varié, allant du très populaire, avec Alfred Hitchcock par exemple, au plus pointu, comme Ingmar Bergman. Faites-vous attention de proposer une programmation qui soit diverse sans être ni trop élitiste ni trop commerciale ?
Nous avons avant tout une exigence de qualité et la volonté de mettre en avant le cinéma dans sa globalité, en recherchant toujours la diversité. Quand, durant la même période, nous proposons des cycles consacrés successivement à Stanley Donen, Bruno Ganz, Romy Schneider et Spike Lee, je pense que l’on peut dire que nos choix parlent d’eux-mêmes quant au soin que nous portons à choisir des personnalités qui puissent parler à toutes les générations et à tous les amateurs de cinéma. Nous avons également sans cesse à l’esprit la volonté d’élargir notre public, sans toutefois être liés à une quelconque contrainte commerciale. Nous voulons davantage créer un lien de confiance et de proximité avec le spectateur, qui sait pertinemment que, peu importe le film qu’il décide de voir dans notre cinéma, ce sera une oeuvre de qualité qui va lui transmettre des émotions.
Quelles sont donc vos stratégies pour inclure l’ensemble du public et notamment le public jeune ?
Nous cherchons à inclure tous les âges, avec de plus en plus l’envie de proposer une programmation qui puisse toucher les jeunes adultes. Nous avons actuellement un public qui est relativement âgé, allant de 35 à 90 ans, et nous aimerions faire évoluer cette situation. Ainsi, nous voulons exploiter de nouvelles pistes afin de rajeunir le public, notamment en proposant des prix attractifs pour les jeunes jusqu’à 25 ans. Les films sortis récemment que nous programmons sont également sélectionnés de sorte qu’ils puissent toucher toutes les générations. Par ailleurs, une de nos idées pour l’avenir serait de chercher à présenter des films populaires chez les jeunes et à les remettre en contexte, sous forme d’une rétrospective thématisée. Nous réfléchissons par exemple à présenter des films contemporains comme Avatar éclairés par des oeuvres traitant du même thème principal. En l’occurence, nous pourrions engager une réflexion autour des Etats-Unis et de leur relation à l’Autre, à l’inconnu, mais également aux peuples amérindiens.
Pourquoi avoir choisi Agnès Varda comme figure de cette nouvelle rétrospective ?
Nous voulions d’abord rendre hommage à cette grande dame du cinéma décédée en mars. De plus, peu avant de mourir, elle a signé un film-testament, Varda par Agnès, sélectionné au Festival de Berlin 2019 et acheté par un distributeur suisse. Ce dernier nous a rapidement contactés afin de nous proposer d’organiser une rétrospective consacrée à la cinéaste coïncidant avec la sortie en salles de son ultime oeuvre en septembre. Nous avons immédiatement accepté, car nous avions depuis longtemps l’ambition de consacrer une rétrospective à cette réalisatrice. Plus globalement, Agnès Varda, de par son cinéma parallèle à la Nouvelle Vague, a joué un rôle très important de défricheuse dans la France des années 1960, en réalisant notamment des films à la pointe du mouvement féministe. Elle aussi tourné des œuvres marquées par le mouvement hippie et par la pop, toujours avec un regard décalé et personnel sur le monde que je crois capable de toucher toutes les générations.
Quel bilan pouvez-vous dresser concernant les rétrospectives proposées jusqu’à ce jour, tant au niveau de la fréquentation que du retour du public ?
Nous sommes très satisfaits en ce qui concerne la fréquentation, car les différentes rétrospectives ont globalement toutes très bien fonctionné, notamment celles proposées au début de l’été. J’ai le sentiment que le public a besoin de voir sur grand écran des films dont il a entendu parler ou qu’il a vus à la télévision, mais qu’il n’a jamais eu la chance de visionner dans le cadre si spécial qu’est celui d’une séance de cinéma. Il s’agit indéniablement d’une expérience différente, avant tout sociale, car nous sommes en compagnie de gens que nous ne connaissons pas mais avec qui nous allons partager les mêmes émotions durant la projection. Je trouve que cela amène une autre dimension au cinéma que l’on ne retrouve pas quand on regarde un film chez soi.
Avez-vous déjà une idée du thème de la prochaine rétrospective ?
Nous allons consacrer un cycle au cinéaste japonais Shōhei Imamura dès le 23 octobre. La mise en avant de l’oeuvre de cet artiste s’inscrit dans la continuité des rétrospectives consacrées aux grands maîtres du cinéma nippon que nous organisons conjointement depuis plusieurs années avec le Consulat du Japon, la Maison du Japon à Paris et la Japan Foundation à Tokyo.
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