[EPIC OMOT N°9] Neiges intérieures, entre mots et musique

En ce mois de juin, EPIC OMOT se revêt d’hiver. Anne-Sophie Subilia a choisi pour sa carte banche, une rencontre entre mots et musique. Son dernier roman paru aux éditions Zoé en janvier dernier, Neiges intérieures, renoue avec ces premiers instants grâce au piano de Chloé Charrière.

Qui êtes-vous et quel est votre parcours, respectivement en écriture et en musique ?

Anne-Sophie : Nous sommes deux amies de longue date. Nous aimons faire converger nos chemins artistiques et n’en sommes pas à notre première collaboration musico-littéraire. Je suis auteure, je vis et travaille à Lausanne. Après des études de lettres à l’Université de Genève et un master en écriture littéraire à la Haute École des arts de Berne, je continue ma promenade dans les livres et les paysages réels. J’adore marcher. Je fais partie de l’AJAR et du centre artistique C-FAL, où j’anime des ateliers d’écriture. Les choses ont commencé de façon confidentielle par le journal intime et le carnet de voyage, avant la parution d’un premier roman en 2013.

Chloé : Je suis pianiste et chanteuse classique. Après des études à la HEM de Lausanne, je continue d’explorer de nouveaux territoires musicaux et aime mélanger les arts dans mes projets. Passionnée par les sons et leurs bienfaits, je me suis également formée à la sonothérapie. Je propose depuis plusieurs années des soins sonores et des concerts méditatifs, en plus des concerts classiques.

Neiges intérieures a été écrit à la suite d’une résidence au Groenland. Peux-tu nous en dire quelques mots ? Étais-tu partie avec l’idée d’un roman ?

Anne-Sophie Subilia, photographie Romain Guélat ©Editions Zoé

Anne-Sophie : C’était en août 2018. J’ai embarqué dans une aventure artistique avec le metteur en scène et comédien Jean-Louis Johannides et avec l’artiste sonore Rudy Decelière. Nous sommes partis en résidence artistique avec l’association MaréMotrice, qui emmène son voilier Knut dans le Grand Nord principalement. L’objectif était de rentrer du Groenland avec une performance. Le fruit de ce voyage commun a été la performance Hyperborée, qui a tourné en 2019 dans plusieurs théâtres genevois et à La Chaux-de-Fonds. L’idée du roman est venue après avoir écrit le texte de cette performance, qui en est en quelque sorte la matrice.

Ce livre est un journal de bord fictif, quel rapport entretiens-tu avec le carnet ? A-t-il une place dans ton processus d’écriture ?

Anne-Sophie : Clairement ! Une sorte de dynamique s’opère entre mes carnets et mes textes littéraires, qui sont complémentaires et interdépendants. Le carnet me permet de noter sur le vif des idées, des pensées, des embryons de textes, et de refaire le chemin des jours. Mon carnet du Groenland, c’était un peu spécial, une fabrication homemade, cadeau de mon compagnon. Papier blanc, épais. Cet objet a ouvert de nouvelles pistes, j’ai intercalé des dessins dans les textes.

Dans Neiges intérieures, comme dans tes précédents textes, dont Les hôtes, le paysage semble être personnage. D’où te viennent cette attention et ce regard à la Terre ?

Anne-Sophie : J’aime et recherche cet état assez spécial de contemplation et de rêverie qui survient le plus souvent (pour moi) dans la nature. Quand je marche, des liaisons quasi amoureuses s’établissent avec le paysage, avec sa matérialité et ses reliefs. Ces expériences physiques ou chimiques peuvent engendrer un désir de création et appeler du texte. Les Hôtes sont des poèmes nés les pieds dans l’eau du Léman, hommage et voyage immobile.

L’autre élément au centre de ce roman est le groupe et ses dynamiques en espace confiné. Qu’est-ce qui t’a amenée à dépeindre ainsi les rapports humains ? D’ailleurs, pourquoi avoir nommé les personnages par une seule lettre ? 

Neiges intérieures met en scène les tensions et les agressions diverses qui peuvent avoir cours au sein d’un groupe d’individus confinés dans un espace commun et privés de leur liberté habituelle. Le choix des initiales s’est imposé assez naturellement pour ce texte. Par cette forme d’anonymat, je sentais que j’accentuais le malaise ambiant. L’initiale, ici, participe des inimitiés. Cela produit un effet. Dans Neiges intérieures, je pense que cela participe à générer une ambiance anxiogène, une méfiance des personnages entre eux, jusqu’à cette forme de dépersonnalisation et d’austérité, presque un décharnement des personnages. Pour moi, leur donner un prénom aurait été très artificiel ; je ne le souhaitais pas ; cela ne produisait pas le même effet et ne me convenait pas. Cela me semblait même réducteur. Pour autant, je me suis rendue compte qu’une initiale n’avait rien d’anodin. C’est un signe graphique et un phonème, un élément sonore qui produit un effet. Lire et prononcer la lettre « Z. » n’a pas le même effet que dire « S. », « C. » ou « N. ». En contraste, trois prénoms vont parcourir le texte : Diana, Martha et Vania, le frère d’âme. Ils ne sont pas sur le bateau, ils sont loin. L’invocation de cette « triade » a un effet bienfaisant, presque magique, sur la narratrice. Il s’agit d’êtres pour lesquels elle éprouve ce sentiment rare, une affinité naturelle, sans effort ni explication. Il se trouve que là aussi, la scansion rimée de ces trois prénoms peut produire un effet à la lecture.

Pour finir, votre EPIC OMOT, il raconte quoi  ?

Chloé Charrière

Chloé : Après la lecture de Neiges intérieures, j’ai eu l’idée d’une collaboration et la musique d’Arvo Pärt et de Jean-Sébastien Bach s’est imposée à moi comme une évidence. Pour moi, la musique de Pärt, contemplative et épurée, fait écho à l’ambiance et à la structure fragmentaire du texte d’Anne-Sophie par sa construction millimétrée (alors que ça sonne improvisé !) et par ses sonorités subtiles, parfois irréelles. Quant à Bach, génial architecte du son, c’est le côté implacable de sa musique, parfois austère, mais pourtant toujours organique qui m’a donné envie de l’intégrer au projet.

Anne-Sophie : Notre collaboration a été très organique et intuitive, à vrai dire. Je me suis laissée porter par la musique que Chloé me faisait entendre. Ce qu’on tente avec ce projet, c’est une plongée dans un état, une ambiance. Quelque chose du peu, une économie. J’ai choisi les extraits de Neiges intérieures en privilégiant une unité de ton dans cette perspective assez radicale.

Vous pourrez retrouver Neiges intérieures dans toutes vos librairies. Et si la lecture a retenu votre attention, un concert littéraire aura lieu le 19 juillet 2020 à 17h, à la Galerie La Chaumière à Montricher — de quoi en entendre d’avantage.

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