Festival del Film Locarno

Did You Wonder Who Fired the Gun? (Travis Wilkerson, USA)

Du 2 au 12 août, la septantième édition du Festival de Locarno offrait une fenêtre ouverte sur la création cinématographique contemporaine indépendante. Bien que les films marquants s’illustrassent par leur rareté, la programmation n’en proposait pas moins quelques sources de plaisir esthétique.

Concorso Internazionale

Au terme de toute édition du Festival del film de Locarno se pose l’inévitable question : que retenir de la sélection du Concorso internazionale ? Cette année, tenter d’y répondre met presque dans l’embarras, tant la programmation fut morose. Plutôt que de nous complaire dans l’acariâtreté dont certains critiques semblent faire leur miel, nous préférons saluer deux films, deux propositions cinématographiques qui élevèrent considérablement le niveau de la sélection (qu’on se rassure, ils ne furent tout de même pas les seuls) : 9 Doigts (F.J. Ossang) et Did You Wonder Who Fired the Gun ? (Travis Wilkerson). Le premier nous entraîne dans un imaginaire poétique né d’une fusion de genres et d’esthétiques divers, du film d’aventure au réalisme poétique en passant par le film de gangster, le tout mâtiné d’un romantisme punk légèrement désuet qui confère à l’œuvre son unité d’ensemble. Le récit est obscur : Malgloire, personnage pour le moins énigmatique, est pris en charge par une bande de gangsters, contrainte par la suite de prendre la fuite après un cambriolage raté. L’équipe s’embarque sur un étrange navire transportant des armes de destruction massive. À bord, les rapports de force entre les personnages sont bouleversés, on ne sait plus qui dirige ni qui ni quoi tandis qu’au dehors, sur l’Océan, un continent de déchets prend forme petit à petit… Peu importe que les enjeux de la narration nous échappent largement : seul compte le plaisir de se perdre dans les méandres de cet univers teinté d’onirisme, rehaussé par une photographie sublime – un noir et blanc métallique et contrasté qui confère aux paysages maritimes une organicité plastique stupéfiante de beauté. Did You Wonder Who Fired the Gun ? est quant à lui un chef-d’œuvre de radical cinema. Coup de poing esthétique et politique, le film est construit comme une enquête menée par un narrateur s’exprimant en voix over, marque énonciative qui rappelle évidemment le film noir (ici, l’adjectif se double d’une connotation raciale manifeste). En 1946, dans une petite ville d’Alabama, S.E. Branch, l’arrière-grand père de Travis Wilkerson, tuait d’un coup de revolver un afro-américain du nom de Bill Spann. Le cinéaste retourne sur les lieux du crime, cherchant à en savoir plus sur la victime et son aïeul, figure inquiétante sur laquelle plane l’ombre de nombreux soupçons. Suivant un parcours semé d’obstacles, se heurtant au refus de certains de ses proches à réveiller un passé troublant, menacé physiquement au cours de son enquête, Travis Wilkerson plonge progressivement dans l’épouvantable violence raciste du Sud des États-Unis. Film extrêmement dense d’un point de vue tant narratif que thématique, sinueux dans ses développements, il s’agit d’une œuvre sombre, dont les contrastes marqués de la photographie noir blanc nous rappellent constamment le clivage racial qui gangrène encore la société américaine.

9 DOIGTS (F.J. Ossang, France/Portugal)

Sur quelques documentaires

En marge du Concorso, au gré de plusieurs sections, le festival présentait quelques belles réussites de cinéma documentaire. The Reagan Show (Sierra Pettengill, Pacho Velez), consacré à l’usage des médias par le quarantième président des États-Unis, nous invite à revenir aux racines du tournant médiatique qui bouleversa les pratiques de communication politique. Présenté comme celui qui fit entrer les caméras dans l’enceinte de la Maison blanche, Reagan confessait qu’il aurait eu du mal à exercer le métier de chef d’État s’il n’avait pas été acteur auparavant… Réalisé à partir d’extraits d’émissions TV et du fonds d’archives accumulé par l’administration Reagan (qui produisit plus de ressources audio-visuelles que les cinq précédentes réunies), le film se concentre sur la médiatisation des négociations entre Gorbatchev et le président américain sur le désarmement nucléaire. Sans aucun commentaire over ni contrepoint critique, The Reagan Show donne à voir l’habileté communicationnelle du chef d’État américain qui, à l’issue du film, apparaît comme un pacifiste éclairé. Dans Das Kongo Tribunal (Milo Rau), deux pistes visuelles s’entremêlent : d’une part, celle d’un procès mis en place pour rendre justice symboliquement aux victimes de la guerre qui sévit au Congo depuis plus de vingt ans ; d’autre part, le matériel visuel accumulé en amont et en marge du procès, cité à comparaître au sein du film comme une sorte de témoin supplémentaire. Passionnant en termes pragmatiques, le film vaut à la fois comme captation d’un procès singulatif (le film comme trace), médium de sa diffusion (le film comme média) et raison d’agir, invitant à la création d’autres tribunaux du même type (le film comme catalyseur d’actions sociales). Documentaire suisse présenté à la Semaine de la critique, Favela Olímpica (Samuel Chalard) suit quant à lui la lutte qui opposa les habitants de la favela Vila Autódromo aux autorités municipales de Rio dans le cadre de la construction des infrastructures olympiques. Bien que le film choisisse clairement son camp, la caméra donne la parole aux deux parties, comme pour mieux montrer le gouffre béant qui les sépare. Malgré ses bonnes intentions affichées, sa volonté démonstrative de reloger les habitants de la favela destinée à être rasée, le maire demeure imperméable aux implications pratiques et émotionnelles d’un tel déracinement ; et ses projets semblent avant tout guidés par les profits que lui promettent ses collaborations avec de grands promoteurs immobiliers. Au fonctionnalisme de l’urbanisme qu’il promeut (remplacer un toit par un toit), le documentaire oppose une vision de l’habitat d’une densité existentielle bien plus riche, exprimée par la communauté de Vila Autódromo : un logement ne sert pas qu’à satisfaire certains besoins élémentaires, il constitue également un site de projections mentales, où s’élaborent des modes de vie idiosyncratiques. En cela, Favela Olímpica exprime un besoin urgent de repenser la planification urbaine à l’ère néolibérale.

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