Qui es–tu ?
Je m’appelle Sita Pottacheruva et j’essaie de promouvoir la littérature romande. C’est une activité que j’ai commencée il y a plusieurs années : je fête les dix ans d’un concept que j’ai créé qui s’appelle la Cyclo–littérature.
Qu’est ce que la Cyclo–littérature ? Quel est le concept, comment t’est-il venu ?
C’est venu d’un pari entre copains. Il existait à Genève la Semaine de la mobilité et un groupe d’amis y participaient activement et m’ont dit que moi, le rat de bibliothèque, je n’arriverai jamais à intéresser les gens à la littérature en l’alliant avec un moyen de mobilité douce, en l’occurrence le vélo (parce que je fais du vélo). Evidemment, quand on me lance des défis, je les relève. J’ai dit « Vous allez voir, je vais faire une balade à vélo sur la littérature et je vais intéresser les gens à la littérature ! ». Puis en fait ça a eu un tel succès que j’ai dû la faire deux fois dans la même journée.
L’année suivante, Pro Vélo, à l’époque l’ASPIC, à Genève, a reçu une enveloppe budgétaire de la Ville de Genève pour faire des balades à vélo thématiques à la belle saison et ils m’ont contactée. Ils ont dit « Mais l’année passée vous aviez fait un truc sur la littérature, est-ce que vous refaites ? » J’ai dit « Bah pourquoi pas ! », et puis de fil en aiguille, ça a eu un certain succès. Petit à petit, j’ai déposé un label à la Propriété Intellectuelle à Berne, il y a 4 ans, et c’est devenu un concept : la Cyclo–littérature, en Suisse romande.
Après, il y a eu une autre belle histoire : un jour, dans ma boîte aux lettres, il y avait une lettre d’un éditeur, Favre, qui me disait qu’ils étaient tombé sur un article de ce que je faisais ; est-ce que j’avais pas envie de faire un guide avec eux ? Là, mon cœur s’est arrêté et j’ai fait oui immédiatement. Je suis allée en train à Lausanne et en fait je ne me suis pas du tout rendu compte de ce que ça représentait. Ce fut une année intense, où je suis allée dans différentes villes de Suisse romande, pour trouver des auteurs en lien avec la ville, les lieux que je présente, et puis à l’issue de quoi il y a eu un livre : Le livre des balades cyclo–littéraires, qui est sorti en mai 2013.
Quel est ton meilleur souvenir ?
C’est quand il y a un couple qui est venu en tandem. C’était vraiment génial. C’était la balade sur Chocolat et Littérature ; on va chez des chocolatiers déguster du chocolat et moi je sors des textes littéraires où le chocolat est en filigrane, des romans. Là, arrive dans cette balade un couple dont la femme est une étudiante qui était sur les bancs de l’uni avec moi il y a quelques années et qui venait avec son copain. Elle ne savait pas du tout que c’était moi la guide. Alors déjà on s’est reconnues, et puis ils étaient sur un tandem rouge et alors ça, ça fait sensation ! Le groupe de cyclistes avec ce tandem d’amoureux, c’était génial. C’est un très, très bon souvenir.
Le pire ?
Je pars du principe que je m’adresse à des gens qui savent faire du vélo en ville, et qui vont donc respecter le code de la route. Et quand il y a des groupes un peu agités, ça devient assez difficile pour moi.
Est-ce qu’avant de créer le concept, tu t’intéressais déjà à la littérature romande ?
La littérature romande m’a intéressée, mais en un deuxième temps, je dirai. Moi c’est la littérature en général qui m’intéresse, et puis, je vais dire une banalité, mais c’est quand même les classiques, et la littérature romande classique, qui m’intéresse beaucoup : Ramuz, les grands pontes. Je suis venue plus tard aux romans d’actualité, aux auteurs actuels en langue française. Et j’avoue que c’est très difficile, aujourd’hui, je trouve, de trouver des plumes dignes de ce nom. Il y a énormément de sorties chaque automne. Comme j’anime aussi des débats littéraires pour la Ville de Genève, et pour différentes instances comme Lettres frontière, ou bien pour la radio, je tombe tout le temps sur l’actualité littéraire et je trouve que ce n’est pas évident de trouver vraiment un bon style. Il y a énormément de choses intéressantes, mais un roman qui allie la forme et le fond, c’est pas simple. Ou il y a la forme, mais le fond est discutable, ou il y a le fond, mais alors le style n’est pas là.
Suivant le thème que tu choisis, choisis-tu aussi la ville ?
Alors ça, c’est compliqué. C’est un alliage subtil entre le lieu, une thématique émergente et des auteurs. J’ai de la peine à définir comment ça ce fait dans ma tête, parce que des fois c’est le thème qui détermine. Par exemple, le bestiaire médiéval, c’est parce que j’ai flashé sur le bestiaire médiéval, et puis en me baladant dans Genève, j’ai remarqué qu’il y avait plein de sculptures et de représentations d’animaux qui ont des liens avec ça et avec le patrimoine genevois, par exemple la mosaïque devant le mur des Réformateurs avec les armoiries de Genève : l’aigle. C’était idéal. Des fois c’est plutôt la ville elle même qui m’a fournit les auteurs, par exemple quand j’étais à Vevey. Il y a une quantité d’auteurs qui sont représentés en sculpture ou qui ont vécu à Vevey, comme Dostoïevski. Ça va un peu dans tous les sens, en fait.
Suivant la ville où tu fais les balades, y a-t-il des démarches administratives différentes?
C’est curieux parce que plus je vais dans des endroits urbains, mais au sens tout petit du terme, plus c’est facile (à part Genève, qui est le siège de la Cyclo–littérature). Par exemple, j’ai été excessivement bien reçue à la Chaux-de-Fonds, par l’office du tourisme de la Chaux-de-Fonds, par les gens de la Chaux-de-Fonds, qui ont eu un intérêt immédiat pour ma balade sur le Corbusier en tant qu’écrivain (il a écrit des sortes d’aphorismes absolument géniaux) et eux m’ont accueillie à bras ouverts, ils ont tout organisé, ils ont médiatisé l’événement, la balade, c’était juste facile. Trois coups de téléphone et c’était réglé. Des grandes villes comme Lausanne ou d’autres, c’est plus compliqué, et effectivement, il y a des aléas administratifs qui font que c’est pas tout simple de vouloir organiser une balade. C’est presque plus simple justement dans des endroits de taille réduite, où les gens sont friands de nouveauté, où ils sont plus… spontanés peut–être.
Quel est l’endroit de Genève que tu as redécouvert de façon la plus flagrante grâce à la Cyclo–littérature ?
Il y en a plein, mais le premier, c’est le petit square Rodolphe Toepffer en Vieille Ville, qui est près de l’école Brechbühl et de l’école Toepffer. C’est un petit square de rien du tout, et en fait, si vous y allez à n’importe quelle saison, il y a une dose de romantisme, dans ce square, hallucinante. Il y a ce buste de Rodolphe Toepffer au milieu, quatre bancs, et des ginkos tout autour, et on se trouve dans un petit havre de paix, projeté fin XIXème siècle, alors qu’on est à deux sauts de puce de la Vieille Ville, des grands boulevards, des artères, du carrefour de Rive, et en fait, on est dans un havre littéraire génial. Et moi aussi, là, j’étais passée cent fois devant, et je ne m’étais jamais arrêtée.
Un des plus beau livre que tu as découvert ?
Il y en a beaucoup. Très récemment, et là, je sais pas comment je vais pouvoir le connecter à la Cyclo–littérature, mais c’est en train de travailler dans ma petite tête, c’est Martin Winckler, ce médecin écrivain, qui a l’époque avait sorti un best-seller qui était La maladie de Sachs et qui a sorti récemment Le Chœur des femmes, la choralité des femmes, qui est la vision de tous les problèmes que les institutions médicales ont dans leur rapport d’autorité envers le corps de la femme, à travers l’histoire de deux médecins gynécologues, et comment l’un de ces médecins change sa vision de la femme à travers des consultations gynécologiques, où finalement, ce qui est crucial, c’est écouter les gens. Avant même de rentrer dans les diagnostics. Et c’est d’entendre ce que ces femmes veulent vraiment déposer. C’est un livre magnifique, poignant, qui allie une belle plume, une belle cause, un style, et qui prend position. Je trouve courageux, à l’heure actuelle, un médecin qui ose prendre des positions d’un point de vue éthique sur le rapport avec le patient et d’en faire quelque chose de vraiment délectable à la lecture. Ce n’est pas un pamphlet, ce n’est pas une chronique, une analyse critique, c’est de la littérature. Et ça, c’est un très beau texte.
Un dernier mot ?
La Cyclo–littérature permet d’allier la culture, le patrimoine, la littérature et la mobilité douce. C’est vraiment l’axe fort de ce concept. C’est pour ça qu’il dure. On peut prendre plaisir dans un endroit qu’on connaît si on passe par le biais de la littérature, et puis qu’il y a plein de choses sous nos yeux dont on ne se rend absolument pas compte.
Ce que j’aime beaucoup, c’est que d’une part, quand ils sortent d’une balade, les gens vont s’acheter des livres, et ça, c’est juste du pur bonheur de savoir qu’ils vont se mettre à lire, parce que c’est essentiel pour moi.
Et puis, quand ils finissent une balade et qu’ils disent « Mais j’ai passé cent fois devant ces endroits, et jamais j’aurais imaginé qu’untel à vécu là, qu’untel s’est inspiré de tel endroit pour faire un livre, … » Et ils regardent leur ville autrement. Et ça c’est pour moi… Le pari est gagné quoi. C’est susciter de l’intérêt pour ce qui nous entoure, tout simplement.