« Tu liras sur mes murs » par Xavier Michel, dans la brutalité imagée de l’intime

Xavier Michel lors du vernissage de Tu lirais sur mes murs, photo par le Café Slatkine

Il y a quelques semaines se vernissait au café Slatkine le premier ouvrage de Xavier Michel Tu liras sur mes murs, recueil à la rencontre de la poésie et de la prose dans une langue brute et imagée.

Au fond du café, une table et quelques chaises, des livres sur les étagères, un en particulier posé sur son chevalet, son auteur derrière. Le 4 septembre dernier, Xavier Michel présentait Tu liras sur mes murs paru quelques jours plus tôt aux éditions Slatkine. « Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à mon père. Bientôt cinq ans qu’il s’est tiré. Le lâche. Cinq ans que je n’arrive pas à me détacher de son image, qui me colle matin et soir comme une saleté de générique de film qu’on aurait trop regardé. » Ainsi commence-t-il son vernissage. Il a choisi un extrait, Son œil sans paupière. Les sons claques, la voix se pose dans un silence, puis relance, reprend le rythme incessant des accumulations, assonances, de ce surplus de sensations qui doit sortir sur le papier parce que rester dans le corps devient trop lourd.

L’enfant est mort, quelques nuits plus tard. Il l’a revu. Ils se sont souri de toute la force de leur âme, et l’enfant l’a serré dans ses bras pour la dernière fois dans l’instant d’éternité, la tête contre son ventre de géant.


Son œil sans paupière

Le chemin des mots

Si Xavier Michel touche ainsi à l’intime, c’est en partie grâce au chemin qu’ont pris ces mots. Un carnet toujours entre les mains, le recueil est né par fragment loin des ordinateurs, dans une écriture manuscrite peu retravaillée. L’auteur confiait, lors de son vernissage, que le rapport aux phrases est autre quand elles viennent du papier. « Il y a, à mes yeux, plus de spontanéité dans cette écriture. Actuellement je travaille sur un roman, écrit à l’ordinateur, et le rapport est complètement différent. A tout moment, il y a la possibilité d’effacer et de modifier. » Cela ne l’a pas empêché de peaufiner, de douter, de reprendre et de faire relire son texte. « Les critiques ou avis de lecture que l’on reçoit sont toujours bon à prendre. Ces regards nouveaux sur le texte viennent souvent questionner des détails que l’on avait remarqué, des petits doutes qu’on avait laissés en se disant que ça passerait, mais non ça se voit. »

L’intime, nœud de l’ouvrage, vient aussi de la liberté par l’auteur à l’écriture. Habitué des chansons avec Alizé Oswald et leur groupe Aliose, il s’est, ici, octroyé le droit de ne plus penser dans une durée de trois minutes cinquante, le droit de quitter rimes et refrains pour se libérer des contraintes et se lancer dans l’écriture à la suite d’une pensée, sensation ou réflexion. « La différence pour moi avec l’écriture de chanson est la question de la finalité. Une chanson a pour vocation d’être entendue, de figurer sur un album, d’être jouée à un concert. Or avec ces textes, je n’en avais aucune, je ne pensais pas à une éventuelle publication en les écrivant. Je me suis donc plus aisément livré, en mettant de côté la pudeur de nos chansons. » Ainsi, libéré, Xavier Michel s’est laissé aller à la découverte d’une écriture impulsive, sincère et personnelle.

Chaque fois que je crois me comprendre, chaque fois que j’ai l’audace de penser me connaître, le sol devient mouvant. Je m’enfonce, je patauge à la recherche d’un moi-même qui toujours me reste étranger. — Qui es-tu ? — Je suis l’étranger.

Derrière le tulle

A la croisée du vers et de la phrase

Tu liras sur mes murs est hybride et à la rencontre des genres. Les vingt textes qui le composent sont à prendre un à un ou à dévorer, leur longueur — entre une et trois pages — ainsi que leur agencement invitent à les picorer comme à se prendre au jeu de l’ordre, parce que tout a une place. Mais rien n’oblige une lecture linéaire, au contraire, voyager dans le recueil parmi les sept étapes qui le dessinent est un chemin plus que possible.  « J’écris sur une maison. Sept pièces, sept chapitres. Dessous, le froid de la pierre. Que j’entaille. » Et pas que le froid, Xavier Michel embarque ses lecteurs.trices dans un monde de sens et d’émotions allant du manque à la mort, en passant par l’amour des corps et le tout dans cette langue d’images où se mêlent métaphores et réalités crues avec intensité. Tout est vécu jusqu’au bout, avec nuance certes, mais dans une densité qui prend jusque dans la chaire.

Comment crier quand l’encre est sèche ? Verre aride. Le souffle coupé. / Derrière, la gorge gratte. / Le crâne ploie sous des noirceurs pesantes, sous une brume épaisse et mouillée. / Chaque mot qui vient reste collé derrière les dents. Il s’écrase contre l’émail, s’englue et meurt sans être vomi.

L’encrier vide

Dans pratiquement chacun de ces textes, un narrateur, un « je » qui questionne autant son rapport au monde que son rapport à soi. Face à lui, il plonge dans ses ressentis sans donner accès, ou alors seulement par bribes, à son passé ou son identité. Les lecteurs.trices sont, alors, emportés.es à même l’instant vécu et dans une conscience embuée par tous les silences du protagoniste, semblant se mêler à l’auteur.

Extrait tiré du texte Accoucher d’enfants vieux

La langue de ce recueil est celle d’un amoureux des mots qui, en connaissance de cause, se donne la liberté de laisser l’analyse et la réflexion de côté pour plonger dans la matière narrative et poétique. Tu liras sur mes murs alterne entre une prose narrative — avec, par exemple, La Grange, une histoire de témoin immobile du temps qui passe — ainsi qu’une poésie des mots — travaillant leur densité, leur sonorité, leur rencontre et assemblage, dans laquelle l’histoire n’a plus tant d’importance — et une poésie de l’image à la recherche d’une captation de sensations ou visions.

 J’inspire l’écume de l’aurore. Sa fraîcheur transperce la buée épaisse de mon cerveau trop peu matinal. Il y a quelque chose du bonheur dans le simple fait de respirer l’air frais de l’aurore. Une petite naissance. Un goût de liberté sereine.


Devancer le soleil. 

Mosaïque

Pour se procurer Tu liras sur mes murs, rendez-vous dans les librairies du Cercle, dont Payot Cornavin où Xavier Michel sera présent aujourd’hui, 21 septembre, de 16h à 17h30.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.