Rédigées à Nyon durant le Festival des arts vivants, on y trouve des perceptions venues du far°, comme autant de vagues ou de reflets sur un lac d’été, et elles seront lues dans le cadre du festival Fureur de lire ce dimanche 26 novembre : ce sont les Pièces Assemblées. Echanges avec les artistes, venues de l’Institut littéraire suisse, de la HEAD, ou directement de leur atelier.
Vous vous connaissiez avant cet atelier d’écriture ?
Louise : Monika, Fanny, Diane et moi on est toutes les quatre à la HEAD dans la même promo, où Carla Demierre nous a parlé de cet atelier.
Ed : Pour les autres, c’était la découverte !
Ça a noué quels liens entre vous cette expérience d’écriture collective sur 10 jours ?
Lucie : C’était beau de travailler en équipe et c’était aussi une belle surprise de voir que les autres ont à cœur de donner corps au projet commun.
Ed : C’est à géométrie variable : pour celles qui étudient ensemble, le lien est plus étroit, puisqu’on se voit au quotidien. Pour celles qui habitent dans la même ville, ça a créé des connexions : on se croise et on peut faire des projets ensemble.
Diane : Ça crée aussi des conditions de créations toujours renouvelées qui permettent d’expérimenter, de dialoguer, de partager, d’appréhender un travail d’écriture à plusieurs voix.
Vous assistiez comme spectatrices aux performances proposées dans le far°, puis il y avait une session d’écriture fixe ?
Louise : Ecriture : 14h-18h tous les jours, à la base. Après, ça a un peu évolué : on partait écrire chacune de son côté, par exemple. La consigne de départ qu’on s’était donnée pour s’aider à nous stimuler, c’était de travailler autour de filtres de perception, on en trouve dans l’index, mais c’était assez libre au final : on pouvait se marrer en s’acharnant sur une performance, par exemple (rire).
Monika : Et les spectacles avaient lieu le soir.
Dorothée : Le travail d’écriture nécessite sur le moment une grande acuité pour comprendre la proposition et tout ce qui “joue” autour : les autres spectateurs, le verre qu’on a bu avant de voir la pièce, la proximité des gens etc.
Diane : En quelques mots, la consigne de départ, c’était : choisir une pièce visualisée, un objet s’y trouvant, un détail, parler du point de vue d’une flaque, ou d’un mégaphone, s’imaginer dans la peau de quelqu’un d’autre, y compris un personnage imaginaire, ou un artiste du festival…
Il y a un nuage, par exemple…
Louise : C’est Sara, de l’Institut littéraire, qui l’a écrit. Le point de vue de la flaque d’eau, c’est Diane, qui est à la HEAD. Certains personnages se retrouvent dans plusieurs textes…
Dans les éléments que vous me donnez ici, j’ai des clés de lecture. Mais vous en donnez pas beaucoup autrement. C’est un parti pris ?
Diane : Ici, l’ordre n’a pas d’importance. Les textes sont singuliers, et peuvent être lu de manière autonome sans avoir à se référer à un autre. Aussi, on a affaire à une multiplicité de formes d’écritures aussi bien sur le fond que sur la forme ; on passe d’une phrase seule laissant respirer la page, à un bloc, d’un poème à un conte, d’une fiction à une anecdote.
Louise : Si on veut vraiment savoir, il y a les filtres de perception et les titres des performances dans l’index. Mais on voulait laisser une très grande liberté au lecteur et permettre au texte de prendre son autonomie par rapport à l’autrice ou à la perfo qu’il décrit ; c’est pour ça que la publication se présente sous forme de cartes, comme un énorme amas de matière écrite qu’on peut réagencer comme on veut, mélanger, étaler.
Monika : Il y a aussi le projet d’avoir une écriture face à de l’art vivant, qui ne soit pas une description ou une légende de ce qu’on a vu, mais une matière en soi. On s’est pas dit qu’on allait donner moins ou plus de clés de lecture, mais on a essayé de trouver notre manière à nous de répondre au mieux aux conditions de cet atelier.
Ça ouvre quoi, la fabrique littéraire du far°?
Lucie : C’était une première participation à un atelier d’écriture collectif pour moi, et ça m’a pas mal bousculée : ça confronte une pratique somme toute assez solitaire à un travail de groupe.
Diane : Les champs de créations étaient très variés : performance, théâtre, danse, musique et arts visuels. Cette expérience a modifié mon rapport au temps et à l’écriture. Produire chaque jour des textes, entendre une variété de points de vus, entourer les écrits de voix.
Dorothée : Dans mes pratiques artistiques actuelles, je côtoie les arts vivants depuis l’intérieur (mise en scène) et depuis l’extérieur (photographie de scène). L’espace donné par l’écriture sur les arts vivants est encore différent : on se met volontairement en périphérie pour rendre compte de ce qu’on voit.
Ed : C’était fantastique de travailler sans aucune barrière ni limite. Et c’était intéressant aussi de travailler avec une grande diversité de personnes : j’ai découvert des styles d’écriture que j’aime beaucoup et que je suivrai de près.
Monika : Dans le travail d’écriture, on sentait bien les écoles différentes. C’était assez marqué.
Louise : Oui ! Au début, l’écriture des étudiantes à l’Institut était plus littéraire et celle des étudiantes à la HEAD plus expérimentale, puis ça s’est mélangé vers la fin.
Comment se présentera le dispositif ?
Louise : Il est pas figé, mais il y a cette publication artisanale à 70 exemplaires : une boite en carton A5 avec des cartes à l’intérieur, une grise pour chaque texte, un prologue en bleu et l’index en rouge, en clin d’œil au code couleur du far°. Pour la Fureur de lire, on va sélectionner quelques textes, qui seront piochés au hasard et lus par les personnes qui les ont écrits. On va se servir du mobilier qui se trouvera dans l’espace pour installer le dispositif et peut-être prévoir quelques déplacements… C’est à voir.
Ed : Comme les textes ont été écrits dans le public du far°, ça serait pertinent de s’installer près du public de la Fureur, mais on s’adaptera au lieu avant tout.
Pour la fabrique littéraire 2017, le far° a fait appel à Paula Caspão, chercheuse en performances et chorégraphie, publiée notamment aux éditions GHOST. Le groupe m’en parle comme de quelqu’un qui a laissé une grande liberté aux participantes dans l’ensemble de la démarche, tout en veillant à l’unité du travail ; discrète, voix douce et n’aimant pas particulièrement la foule, elle peut s’enflammer d’un coup et partir dans des propositions vives. C’est elle aussi qui a écrit le prologue à Pièces Assemblées, avec cette indication : (à refaire).
Louise : C’est un peu toujours à refaire. Paula Caspão nous aide à distance car elle n’a pas pu revenir à Genève depuis l’atelier : on communique par mail toutes les neuf (rires).
Monika : Je trouve que ça fait une espèce de famille flottante depuis trois mois, et puis on revoit les visages, et en fait : ouais, ça a bien existé !
Ed : C’est vrai qu’on habite différents endroits, en Suisse et ailleurs, avec des projets différents, donc ça fait un peu famille à distance.
Un peu des pièces assemblées ?
Louise : Ce titre fait référence à plein de dimensions. On était dans la ville de Nyon, super ensoleillée, au bord du lac en été, il faisait chaud, on était de bonne humeur, il y avait plein de super trucs à voir… C’était un petit paradis. Et là, c’est novembre, il fait froid, c’est bien différent, mais ça fait plaisir de se revoir, ça nous replonge un peu dans cette ambiance.
Dorothée : Ecrire, ça demande du temps, pour laisser décanter les impressions, les émotions (de rejet ou d’amour), pour refaire le chemin à travers ses propres pensées. L’art devient alors la vie, la vie s’insère dans l’art et alors on ne sait plus très bien, mais en tout cas, on rentre comme dans un mouvement de création permanente…
Ed : Et la dynamique a changé au fur et à mesure des jours : au début, on parlait énormément, pour tester des choses et lancer la démarche. À la fin, on a lancé des collaborations entre plusieurs personnes, des textes écrits à deux par exemple.
Dans un des textes, j’ai appris trois critères pour une performance : l’efficience, la pertinence et l’efficacité. Vous qui êtes en option performance, vous souscrivez ?
Louise : C’est le ‘Visiteur du week-end’ qui a écrit ce texte, un monsieur qui dirige une salle de spectacle en Bretagne, je crois. Ces trois critères, c’est plutôt pour les performances en dehors du monde artistique il me semble, et il soulevait l’absurdité de qualifier une performance artistique selon ces critères : la plupart du temps, dans l’art performatif, c’est pas du tout ce qu’on recherche !
Monika : L’action, c’est d’abord déclencher quelque chose chez les autres. On a chacun sa façon de faire ; pour moi, c’est plutôt sortir de soi quelque chose d’intime, ou raconter une histoire. Je pense qu’il y a aussi une espèce de saturation du terme, compris comme une démonstration, une recherche d’évènement… Mais aujourd’hui, ça s’inscrit un peu partout : dans la mise en scène, dans la danse, dans les installations aussi.
Dans cette perspective, la performance de Marina Abramović où elle finit par fondre en larmes face à un ancien compagnon, ce serait l’acmé de l’art performatif, avec une dimension très intime ?
Louise : Il y a une énorme dimension du spectacle et de la communication dans son travail. Nous, on est dans quelque chose de plus micro, plus de l’ordre de l’infiltration…
Ed : …oui, on était une espèce de pont entre les artistes et les spectateurs, un point de bascule.
Pour vous, Pièces Assemblées, c’est une forme de performance ?
Louise : Pas vraiment… c’était un atelier d’écriture, suivi d’une lecture à la Fureur de lire. Entre les deux, il y a eu le festival d’édition Offprint qui se tient chaque année aux Beaux-Arts de Paris et la HEAD cherchait du monde pour tenir le stand. J’y suis allée, et là, on m’a proposé de présenter la boite Pièces Assemblées.
Monika : Je me rappelle d’un moment un peu performatif durant le festival, quand une photographe de la Fureur de lire est venue nous prendre en photo, un peu par surprise… on savait pas comment agir ni comment se tenir : est-ce qu’il fallait faire semblant de travailler ? (Rire)
Diane : Mais écriture et performance peuvent s’intégrer, et jouer une fusion entre le réel et la métaphore.
C’est culoté, le récit qui relate un peu tout ce que l’artiste ne voudrait pas qu’il arrive : les gens qui commencent à s’ennuyer, qui se demandent s’ils vont sortir ou pas…
Louise : Bon, il y a des artistes qui jouent avec ça aussi et qui travaillent autour du spectateur et de comment il réagit. Je sais pas si c’était le propos de ces artistes qu’on a vus, mais ils sont pas forcément décontenancés…
Monika : Et pour préciser, on n’est pas du tout dans une démarche critique vis à vis des performances : on a plutôt écrit ce qui nous a plu, ce que les performances nous ont inspiré.
C’est à faire, le far° ?
Ed : On a beaucoup aimé, oui. C’est un festival où il y a une grande liberté d’expérimenter.
Louise : Et l’ambiance est super légère !
Monika : Les scènes ne sont pas massives ou majestueuses : ce sont des scènes d’expérimentation, où on peut venir voir ce qui se passe.
Diane : C’est tous les jours une nouvelle rencontre, de nouveaux questionnements : chez Mama Helvetica, on partage un repas prix-libre, on discute de la problématique de conditions de vies, du festival, de nos origines…
On peut lister vos projets à venir ?
Ed : Paula nous a fait remarquer que Pièces assemblées est un travail de reconstitution : on les assemble une première fois à Fureur de lire, mais ce serait intéressant de les porter dans d’autres contextes. Le projet s’y prêterait bien, mais on va tester tout ça dimanche ! Sinon, plusieurs de mes textes seront publiés l’année prochaine dans la revue la Liesette Littéraire, et je participerai à une lecture dans le noir au mois de février/mars 2018 au café littéraire de Bienne. A côté de ça, je publie régulièrement des textes sur mon site.
Monika : Un projet d’écriture avec des musiciennes, mais j’en dis pas plus pour l’instant. Sinon, je participe au prochain numéro de Revue Innocente, qui publie et expose des jeunes artistes.
Louise : Je m’insère plutôt dans les projets des autres. La publication de Pièces Assemblées m’a pris plein de temps. Avec Monika, on a participé pour la troisième fois à une performance pendant la soirée de remise du Prix de la Croix-Rouge : Plaza d’Anne-Lise Tacheron.
Lucie : Je suis en train de réaliser la micro auto-édition d’un travail intitulé Comme un festival au quotidien, né de cette expérience qui m’a donné l’impulsion d’observer le quotidien sous l’angle d’un festival. Sinon, mes projets personnels et collectifs sont en ligne ici.
Dorothée : Un petit texte de moi sera lu dans le cadre de la performance de Julie Gilbert à la Fureur de lire. Et en février 2018, il y aura le vernissage d’un livre sur la chorégraphe Perrine Valli, illustré par mes photographies. Tout le reste est sur mon site.
Fanny : Cette expérience du far° a relancé une envie que j’avais depuis longtemps : avec le Collectif TANK, on aimerait lancer notre propre édition, mais c’est encore un projet. Sinon, je suis en train d’écrire le scénario d’un court-métrage que je réaliserai ces prochains mois.
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Pièces Assemblées
(Institut littéraire suisse // HEAD – Genève // far° Nyon)
Lecture collective dans tous ses états
DIMANCHE 26 NOVEMBRE – 13h00
MRL – Maison de Rousseau et de la Littérature (70 places)