Portrait : Y/M – artiste EICA Records

Les gammes se libèrent, une femme joue du violoncelle dans le salon. Des yeux clignotent au rythme de l’archet qui se promène gracieusement sur les cordes. Des yeux, ceux d’un petit garçon qui observe sa mère avec admiration. Yann a six ans. Il aime se cacher dans la fourre de l’instrument – il s’y sent en sécurité. L’intérieur est en velours. La musique a d’abord été une histoire de violoncelle. Et avant cela, l’histoire d’une grand-mère qui fonde une école de musique. Et avant encore, celle d’un compositeur pour orgue : son arrière-grand-père.

Si la flûte à bec l’accompagne quatre années durant – un apprentissage contraignant –, il s’en sépare. Il lui faut quelques semaines – le temps d’un été, celui de ses dix ans – pour découvrir la guitare électrique et s’en éprendre. Définitivement. « Express Jam », c’est le nom donné à son groupe, celui qu’il monte avec des membres de sa famille. Des ateliers à l’AMR, des reprises avant tout, qui les conduiront chez Château Carton pour un premier concert. Et puis l’entité se dissout : des aspirations divergentes appellent les uns, puis les autres. Une effloraison de prime adolescence dont il conservera le plaisir d’un jeu pluriel.

Les prémisses d’une nouvelle collaboration s’esquissent avec Matt Norman, rencontré la veille d’un départ pour la Nouvelle-Zélande. De retour à Genève après six mois d’absence, Yann et Matt s’associent. En 2010, ils créent leurs propres compositions. Celles-là mêmes sur lesquelles dansera le Palladium notamment, quelques mois plus tard. Cette rencontre marque la première incursion de l’ordinateur dans l’horizon artistique de Yann. Une nouvelle manière de faire de la musique, une petite révolution en somme. Bientôt, Matt exprime une envie de studio de production à Berlin. Si l’idée est séduisante, Yann lui préfèrera pourtant la poursuite de ses études universitaires. La collaboration avec Matt touche donc à sa fin, ce qui suppose le début d’un nouveau cycle.

Cette fois-ci, Yann apprivoise une production plus personnelle, une approche qui s’inscrit dans une forme d’expérimentation des sons. L’ordinateur acquiert progressivement une place toute particulière au sein de son travail. Il y a une part d’assimilation, un besoin de faire sienne la musique avant de la livrer. Une délicate pudeur qui précède la mise à nue. Le dévoilement prend du temps et sa rencontre avec La Pièce, en 2013, lui permet un certain lâcher-prise : l’accident existe. Il s’agit d’apprendre à l’accepter. Leur envie commune d’innover en privilégiant la spontanéité et le plaisir donne naissance à Mokship. Le nom est dénué de sens, à l’image d’une partie de leur musique : inaudible. Mais pas que. Mokship, c’est surtout un laboratoire, un espace sans prétention aucune où l’on laisse libre cours à l’humeur de l’instant, où l’on respire une bouffée d’air frais.

Yann et La Pièce font la connaissance de Seb, un batteur qui, après une expérience avec un groupe de rock, souhaitait se diriger vers l’électro. Cela tombait à pique. Désireux d’intégrer des instruments acoustiques et plus particulièrement des percussions à leurs expérimentations, la venue de Seb constituait l’occasion de développer leur musique autrement.

On lui a fait écouter ce qu’on faisait une fois à Carouge, ça lui a plu, et on s’est revu à son local. On a alors joué, jamé sans aucun but, plusieurs fois par semaine. Petit à petit, on en est venu à reprendre les meilleurs parties de ces sessions, et à construire des morceaux. Ce que l’on essaie de faire, c’est de capturer des moments, des ambiances que l’on crée à l’aide d’ordinateurs, de machines, guitare, batterie, toute chose qui fait du bruit et qui nous tombe sous la main, afin d’être capables de les reproduire pour pouvoir les partager.

Le projet se concrétise et le groupe SYD voit le jour. Après avoir proposé quelques titres à Radio Usine, le groupe s’exporte à Neuchâtel lors de la dixième édition du Festival les digitales en 2014.

Au cours d’une session, Yann fait la connaissance de Weith, un ami de La Pièce. Weith, lui-même musicien, les invite à présenter leur travail à Syl et Fabio, deux frères qui désirent monter un label de musique électronique. Dès lors, tout s’enchaîne. Yann et La Pièce proposeront chacun deux titres personnels pour la première compilation du label. Pour Yann, c’est l’occasion rêvée de sortir de sa grotte musicale, de proposer un truc qui claque. Ce label, c’est une manière nouvelle de se prendre en main, d’oser partager ce qui s’est développé sur plusieurs mois. Mais aussi une manière de grandir, de s’épanouir en bénéficiant d’un soutien et de critiques constructives. L’entrée au label sous le nom de « Y/M » correspond également au commencement d’une formation d’ingénieur du son. Si cela lui a permis de démystifier cet autre côté  – le travail de réglage en amont et celui qui vient sublimer la création a posteriori –, il bénéficie d’outils, ce qui constitue un véritable atout. À présent, lorsqu’il se couche et qu’une mélodie vient à naître, il parvient à en saisir la dimension mélodieuse avec une certaine acuité. Il peut dès lors mettre en forme ce qui s’invite dans sa tête, le temps d’un morceau.

S’il poursuit ses collaborations avec Mokship et SYD, Yann aimerait également développer différemment sa musique, par le biais de l’audio-visuel notamment. L’expérimentation de sons pourrait le conduire à se tourner du côté de la performance ou de la danse contemporaine. Pour l’heure, il savoure la sortie récente de la compilation EICA 001, ce rêve de gosse devenu réalité. Le volet 2015 se referme sereinement sur un souvenir particulièrement marquant : le Festival les digitales à Zurich. On vous en offre un aperçu.

Mokship en images :

SYD :

YM, projet solo pour EICA Records :

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