Quand la photographie genevoise s’expose à Black Art Matters

(© EPIC Magazine)

Depuis le 11 juillet se tient à Zurich l’exposition Black Art Matters, qui vise à présenter le travail de septante photographes noir·e·s à la notoriété plus ou moins importante. Parmi ces dernier·ère·s figurent deux jeunes artistes originaires de Genève, Léa Miranda Monteiro et Régis Phares Kacou – aka Drapeaunoir sur Instagram –, qui exposent pour la première fois leurs photographies dans un espace à portée internationale. EPIC les a rencontrés afin d’en savoir plus sur leur travail, leur background et leur participation à cet événement.

Ce sont deux personnes souriantes et joviales que nous rencontrons lors de notre rendez-vous sur la plaine de Plainpalais. Taquines, elles ne tardent pas à refaire le monde ensemble, toujours prêtes à sortir un bon mot. C’est que Léa Miranda Monteiro et Régis Phares Kacou sont, au-delà de partager la même passion, des amis de longue date. De photographes amateurs désireux de capturer le monde qui les entoure, ils se retrouvent désormais propulsés sur le devant de la scène photographique mondiale grâce à l’exposition BAM. Le constat est imparable : les deux jeunes gens auront vécu main dans la main les événements formateurs de leur vie artistique. Ainsi, ils révèlent chacun avoir commencé à se mettre sérieusement à la photographie en 2016, année qui coïncide avec leur rencontre à l’université de Genève. “Au début, j’étais la muse de Léa”, rigole Régis. “De fil en aiguille, j’ai commencé à davantage m’intéresser à la photo, notamment sous son impulsion”, complète-t-il. Quant à Léa, elle se souvient avoir toujours eu un appareil dans la main. “Depuis longtemps, j’aime photographier mes proches lors de moments intimes. Toutefois, ce n’est vraiment qu’à mon entrée à l’université et lorsque j’ai rencontré Jésus que j’ai commencé à vouloir raconter des choses à travers la caméra.”

Une vision complémentaire de la photographie

Désormais, la photographie constitue le passe-temps favori des deux acolytes, qui suivent respectivement des études de droit et de géographie. Leur travail se démarque par un intérêt commun pour les portraits. “J’aime les profils atypiques, peu importe le physique de la personne que je prends en photo. Je choisis les gens au feeling, sans critère défini”, explique Régis, qui prend de nombreux clichés d’artistes et de mannequins locaux. “C’est pareil pour moi”, glisse Léa. “Je suis convaincue que l’on peut faire ressortir énormément de choses en capturant un regard. Avant tout, je veux que mon travail soit vivant, que l’on sente le vécu de la personne dont j’immortalise le visage.” Les deux compères se révèlent par ailleurs parfaitement complémentaires au niveau de leur technique photographique de prédilection. Tandis que Régis cultive une véritable passion pour l’argentique, Léa travaille avant tout avec des appareils numériques. “J’ai commencé avec les deux, avant de vendre mon numérique. Moi, ce qui me plait, ce sont les couleurs et le grain particulier que l’on peut tirer de l’argentique”, avance le passionné de boxe. “Pour ma part, je shoot surtout avec d’anciens boitiers, ce qui me permet d’avoir des réalisations assez brutes, sans artifice”, déclare la jeune femme. “J’apprécie le fait que l’aspect de mes photos ne fasse pas penser au numérique d’aujourd’hui.”

Un travail entre authenticité et volonté de perfectionnement

Au-delà de ces différences d’ordre technique, les deux vingtenaires possèdent le même goût pour l’authenticité et l’instant présent. “J’aime ces moments suspendus, hors du temps, où tout se déroule spontanément”, assure Léa. “Mon shooting préféré a eu lieu par hasard, avec des gens que je ne connaissais pas plus que ça. Au cours de la discussion, j’ai sorti mon appareil et les choses se sont faites naturellement. Je tiens à ce que mes photos soient aussi vraies que le moment qui les a précédées.” Cette vision sobre et dépouillée de la photographie se ressent particulièrement dans la série Rostos di Cabo Verde qu’elle a dévoilée il y a un an et demi. Il s’agit du premier projet photo que la jeune artiste a désiré présenter publiquement. “Je suis d’origine cap-verdienne, pays auquel je demeure très attachée. J’avais besoin de commencer par là, par l’endroit où je me sens le mieux, physiquement et spirituellement. À travers les clichés de cette série, je souhaitais perpétuer le sentiment de plénitude qui m’habitait quand j’étais sur place.” Nombre de réalisations de cette collection sont marquées par un noir et blanc élégant, qui met en valeur avec grâce et dignité les corps et les expressions faciales. Mais Léa l’assure, il ne s’agit là que de l’une des nombreuses facettes de son travail. Aujourd’hui, elle souhaite aller plus loin : l’amatrice de basket dévoilera bientôt de nouvelles collections de photos, d’une fois qu’elle aura trouvé une plateforme adéquate.

Pour sa série Rostos di Cabo Verde, Léa Miranda Monteiro a tenu à montrer la richesse de ce pays insulaire à travers des portraits bruts et spontanés de ses habitant·e·s.

Quant à Régis, il révèle garder un souvenir impérissable du travail qu’il a effectué en Côte d’Ivoire, son pays d’origine. “Je ne sais pas s’il y a vraiment eu un moment-clé dans mes projets. J’ai en effet l’impression d’apprendre à chaque shooting que j’organise. Tout est processus chez moi. Toutefois, malgré mon perfectionnisme, j’ai été très satisfait des photos prises à Abidjan, notamment celles avec des jumeaux. Ce travail m’a marqué, car l’un de mes appareils m’a lâché, ce qui m’a empêché de développer une partie de mon idée de base. Seul le shooting avec les deux frères a pu être exploité.” Cette série de clichés, sur le thème de la gémellité, se caractérise avant tout par une beauté formelle indéniable, mais aussi par la puissance émotionnelle qui s’en dégage. Du nom de Flesh of my Flesh, cette collection d’instantanés saisit par son aspect épuré et poétique, magnifiant avec panache de subtiles relations de fraternité.

Régis Phares Kacou a notamment travaillé sur le thème de la gémellité, dont il a tiré une série de photographies : Flesh of my Flesh.

Une visibilité aussi inattendue que formatrice

Aujourd’hui, Léa et Régis voient leurs projets photos shootés en bonne partie en Afrique côtoyer les réalisations de Kwaku Alston, l’homme qui a immortalisé Barack Obama. C’est que Black Art Matters constitue pour les deux jeunes gens une possibilité unique de faire connaître leur travail de leurs pairs, mais aussi du grand public. “À vrai dire, aucun de nous deux n’était au courant de la tenue de cette exposition. Nous avons appris son existence grâce à un ami ivoirien, qui est également photographe”, explique Régis. “Nous avons donc envoyé sans trop d’espoir une quinzaine de photographies en lien avec le thème de l’exposition, soit l’identité noire.” “Nous avons vraiment su à la dernière minute que nous étions sélectionnés pour exposer. C’était seulement quatre jours avant le vernissage ! Autant dire qu’au début on était un peu interloqués, puis franchement impressionnés et reconnaissants de l’opportunité que nous était donnée”, ajoute Léa.

De cette expérience unique, les deux Genevois tirent une satisfaction sans borne. “Je crois que BAM m’a redonné foi en moi-même”, avoue Régis. “En général, je manque de confiance en mon travail, c’est pour ça que je suis un éternel insatisfait. J’ai également été très touché par les retours que j’ai reçus de la part des gens présents sur place mais aussi sur Instagram. De plus, cela m’a permis de parler de photographie de façon plus sérieuse avec mes parents, ce que j’évitais auparavant de faire par manque d’assurance et par pudeur.” “De mon côté, cela m’a fait chaud au coeur de voir mes gens du Cap-Vert dans une exposition de cette envergure”, sourit Léa. “Je suis fière qu’autant de visiteurs puissent découvrir la beauté et la diversité des habitants de mon pays. En outre, je trouve capital de visibiliser, à travers l’espace proposé par BAM, le travail d’artistes malheureusement parfois mis de côté.” Désormais, les deux compères partagent une volonté plus ferme que jamais de shooter encore davantage, afin d’atteindre, à terme, une forme de quintessence artistique. Avant cela, il leur est permis de savourer l’honneur qui leur est fait de pouvoir exposer à côté de photographes de renom. Mais ne dit-on pas que l’on n’a que ce que l’on mérite ?

Une amitié sans faille

Au moment d’évoquer le travail de l’autre, les deux acolytes ne tarissent pas d’éloge. “Je dirais que le mot “intriguant” est celui qui décrit le mieux l’oeuvre de Régis”, affirme Léa. “Quand je vois ses photos, j’ai directement envie d’en savoir plus, de me plonger dans son univers. Je trouve également que son style est plus lumineux que par le passé. Ses photographies sont claires, il affine bien sa patte.” “Ce que j’aime chez Léa, c’est avant tout les histoires qu’elle parvient à raconter à travers ses photos”, renchérit Régis. “On sent que derrière chaque prise il y a une rencontre particulière, un instant spécial, que l’on a envie de découvrir.” On devine, par les regards et les rires échangés entre les deux complices, une amitié solide et sincère. Cette dernière est aussi imbibée d’un profond respect pour le travail de l’autre, et une envie irrépressible de grandir ensemble dans la photographie. Avec, en filigrane, une volonté affirmée d’exposer à Genève et d’obtenir localement davantage de visibilité pour leur travail. Pour l’heure, le meilleur moyen de les soutenir est de découvrir leurs réalisations à l’occasion d’un petit séjour à Zurich, et ce jusqu’au 23 août !

Toutes les informations relatives à l’acquisition de billets pour l’exposition Black Art Matters se trouvent ici.

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