(rr)ouvre-toi… Cyril Vandenbeusch face au mur

J’arrive à Picto pour rencontrer Cyril Vandenbeusch. Comment je fais : je sonne, je l’appelle ? Tiens, Alex Gérenton est là aussi : il lance des cailloux sur la vitre du labo, d’où l’oiseau de nuit finit par sortir. Sourire aux lèvres, il a le teint frais. C’est rassurant pour un artiste qui passe la moitié de sa vie dans des vapeurs d’émulsions et l’autre en chambre noire…

Tu fais quoi en ce moment ?

Beaucoup de rangement !

Ok, et si je t’avais rencontré quand tu sortais du dernier truc qui t’a passionné, tu m’aurais dit quoi ?

Ah, la passion c’est fascinant ! Mais j’ai de la peine avec ces questions-là… on y revient peut-être après ?

(c)CVDB

L’univers de Cyril VDB voyage entre le comestible et les toxiques, entre le buccal et le bocal : c’est les natures mortes de mets délicats, ou un portrait de vous sur une plaque de verre. C’est encore une chambre noire mobile de 6 tonnes, et c’est aussi des bocaux, beaucoup, beaucoup de beaux bocaux !

Ouais, c’est à peu près ça… Pas forcément pour les bocaux par contre : ça me fait penser à des conserves de cuisine. Je garde plutôt mes sels dans des flacons en plastique, ou des sachets : ça casse moins, c’est plus léger, c’est moins cher et ça grippe moins ! Il y a bien quelques bocaux pour le collodion, mais c’est tout.

En quoi consiste ton activité de photographe ?

Il y a une partie recherche d’images, d’idées, et une partie expérimenter des trucs. Et puis il y a une certaine fragilité aussi, que j’aime bien : du moment que tu lances un projet, de là à le faire aboutir… comme dans toute démarche artistique. Je me promène tout le temps avec mon appareil, mais mon travail, c’est surtout des images que je crée en studio.

Tu développes toutes tes photos toi-même ?

Oui, et je fais que du noir et blanc. Sauf quand je travaille sur digital : là, c’est la machine qui développe. Parfois, je reviens sur des photos que j’ai prises et j’en fais des séries. La photographie, c’est la capture d’instants et de points de vue, du coup ça finit par faire des collections.

Tu fais tout toi-même : les émulsions, la création d’images en studio, le tirage… Quels sont les moments que tu préfères dans tout ce processus ?

Le moment le plus chouette, c’est l’ensemble : quand t’as une idée, et quand elle est réalisée. J’aime bien aussi manipuler certains types d’appareils selon les projets, j’aime encore le côté magique de la pellicule quand l’image apparaît, et aussi préparer une émulsion, trouver des techniques pour l’étendre… Donc au final, j’aime assez bien toute la chaîne. J’aime pas quand ça rate, c’est plutôt ça ! (Rires)

Artiste, c’est vivre une vie un peu précaire ? Est-ce que tu troquerais ta lentille contre un plat de lentilles ?

Ben j’ai beaucoup de chance de faire quelque chose qui me passionne, qui n’est pas uniquement alimentaire. J’ai aussi de la chance de pratiquer en Suisse : je meurs pas de faim, je suis assez soutenu et je peux en vivre, même de manière un peu précaire, comme tu dis. J’ai surtout le plaisir de faire ce que j’aime, et de pouvoir continuer à le faire.

Ça marchera hyper bien quand tu seras mort ou quoi ? C’est encore comme ça ?

Faut voir. Est-ce que dans 20 ans on collectionnera encore des images ou est-ce qu’on sera complètement dématérialisés ? J’en ai aucune idée.

 

Encore en vie ? Cette question ! Du 14 au 15 octobre, dans le cadre des ateliers (rr)ouvre-toi… organisés par Act-Art, Cyril propose de nous conduire durant 36 heures dans le processus photographique de A à Z… On espère bien en revenir vivant ! On aurait des raisons d’en douter ?

Non : je suis pas encore cannibale ! On détaille la proposition ? Ou bien dis-moi comment tu te l’es imaginée ?

(c)CVDB

Ok, alors je l’imagine comme ça : celui qui veut faire les 36h va te voir mettre en scène un plat, préparer une émulsion, prendre des photos et les développer.

Ouais, en fait pour la prise de vue, je vais utiliser une émulsion industrielle : à un certain moment, il faut savoir baster ! (Rires) Préparer une émulsion négative, ça prend deux jours : il y a d’abord entre 45 minutes et 2 heures de préparation, puis la laver, etc.

Eh ben ! Alors qu’est-ce qu’on va te voir faire ?

Il y a les infos sur mon site (ici) si jamais, mais en bref, c’est : prise de vue, tirages d’essai, un grand tirage, puis tirage sur un mur. Durant ces 36 heures, je vais préparer le studio, prendre le modèle en photo, développer, faire des tirages, choisir une image, l’agrandir une première fois, fabriquer une émulsion, l’enduire sur un grand papier, tirer l’image, faire un bout d’essai, la développer pour voir ce qu’elle donne en grand, et enfin reproduire tout ce procédé, mais directement sur un mur.

C’est inédit de développer une photo directement sur un mur ?

Relativement. J’ai pas tellement cherché à vrai dire. Ça s’est fait déjà, dans les années 1980 par exemple, et il y a un gars qui a fait ça à Toulouse, mais j’ai rien vu de ce type ces 10 dernières années. Je précise aussi que ce n’est pas un cours : je n’aurai pas le temps de tout expliquer.

Pourquoi ce titre : Encore en vie ?

C’est un jeu avec ce qu’on peut entendre dans les mots “still life”. La nature morte parle de notre rapport à la vie, au temps. Et comme j’aime bien travailler avec de la matière comestible, il y a cette interrogation entre le sujet photographié et l’objet photographique, qui dure dans le temps : au moment où la photo est vue, le sujet est-il encore en vie ?

C’est une performance ?

Euh… j’aime pas trop ce terme, mais en effet, durant 36 heures, on sera pas loin de l’effort physique !

Tu travailles beaucoup la nuit ?

Ouais ! J’aime bien la nuit : pas de téléphone portable, pas de magasin, pas de distractions. Sur certaines périodes, je me décale complètement et ne travaille que la nuit.

Est-ce que ça t’évoque quelque chose, le fait que ton activité dépend autant de la lumière que de l’obscurité ?

(c)CVDB

(Silence.) Je sais pas bien quoi répondre à ta question : photographie, ça veut dire écrire avec la lumière, alors forcément, je dépends de la lumière. Et pour la chambre noire, c’est sûr que ma démarche est entièrement artisanale, mais après, j’ai pas thématisé cet aspect.

Comment tu la sens ?

Ben je te dirai ça dimanche ! (Rires)

Que peut-on souhaiter à un artiste qui invite dans sa chambre noire et dans son labo. Une bonne nuit, et peut-être aussi une petite mort ?

Qu’est-ce qu’on peut lui souhaiter… au théâtre, on dit: “merde”. En photo, on dit : “le petit oiseau va sortir !” (Rires) Là, le petit oiseau, il va se cuisiner.

Quels sont tes projets à venir ?

Je vais faire une intervention pour le Galpon en novembre-décembre, dans le cadre de la création Les Suppliants : une image tirée en grand qui risque de se dégrader avec le temps, et il y a d’autres choses aussi… Et bien sûr, je vais continuer à projeter des images sur les murs !

Le Galpon, ça tombe bien : c’est justement une chambre noire, cette salle. C’est pour ça que tu interviens là-bas ou rien à voir ?

C’est vrai, mais en l’occurrence, je vais travailler à l’extérieur. Je fais pas mal de choses avec ce théâtre.

Ok, maintenant flash ! Tu te poses une question que j’aurais oublié de te poser.

Et c’est toi qui réponds ?

Non, toi. L’idée c’est que tu puisses communiquer sur ton travail.

Ah non, je veux bien poser une question, mais c’est plus drôle si c’est toi qui réponds… Comment je vais la formuler… Ok : “comment tu conçois ton rapport au temps ?”

Euh… je conçois mon rapport au temps comme une chose qui passe, et qui me dépasse… ça fait une réponse ?

(c)CVDB

Ouais ! Très bien… vu qu’on est dans les natures mortes (Rires)

 

 

Encore en vie ? Une proposition photographique de Cyril Vandenbeusch, du 14 au 15 octobre dans le cadre des ateliers Act-Art (rr)ouvre-toi… (événement facebook ici)

Pour voir la photo développée sur le mur, on peut aussi contacter Cyril via son site.

 

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