« Je me considère plutôt comme une messagère de l’Art Brut »

Lucienne Peiry par Philippe Couette

La Biennale des arts inclusifs revient pour une quatrième édition du 20 au 26 mai. Out of the Box propose des productions artistiques caractérisées par l’inclusion d’artistes en situation de handicap. A cette occasion, La Comédie de Genève accueille l’évènement « Écrits d’Art Brut à voix haute », mis sur pied notamment par l’historienne de l’art et ancienne directrice de Collection de l’Art Brut à Lausanne, Lucienne Peiry. Entretien. 

C’est une véritable mosaïque que propose l’évènement du 20 mai prochain, Ecrits d’art brut à voix haute. « Ce qui est intéressant dans ces écrits, c’est qu’ils ne sont jamais destinés à un public, au sens habituel du terme. Ils peuvent être rédigés à l’attention d’une identité spirituelle, et certaines lettres restent en souffrance » Des cris de douleur, des lettres d’amour, des poèmes ou des extraits de journaux intimes, écrits dans l’enfermement et l’exclusion de l’univers asilaire, à huis clos.

Sur scène, Lucienne Peiry retrace le parcours et les conditions de création de ces différents manuscrits. Elle livrera aussi son propre travail de recherche autour de leurs textes. « Je me considère plutôt comme une messagère de l’Art Brut : j’ouvre la boîte de pandore et quelque chose de bouleversant s’en échappe à chaque fois. »

L’art comme exutoire

L’Art Brut est réalisé par les personnes qui ne sortent pas des grandes écoles, qui sont toutes autodidactes et ressentent le besoin de s’exprimer.  Une non-connaissance de la culture classique, et une grande désinvolture caractérisent aussi leurs différentes approches : « On dit souvent qu’il est pratiqué par des personnes ignorantes. Pour moi, il ne faut pas l’entendre au sens péjoratif : leur ignorance est bénéfique puisque’elle va les pousser à créer, inventer, et repousser sans cesse les limites. Ils élaborent de A à Z leur expression artistique, si intime et personnelle », explique Lucienne Peiry.

Sept artistes vont être lus et interprétés lors de cet évènement. Aloïse, Adolf Wölfli, Jeanne Tripier, Laure Pigeon, Constance Schwartzlin-Berberat et d’autres seront mis en lumière. Des créateurs et créatrices toutes et tous écrivains, poètes ou épistoliers qu’affectionne la spécialiste d’Art Brut : « tous les manuscrits présentés sont intéressants, car ils lient l’écrit et l’image. La plupart sont calligraphiées ou ornementées, ce qui ajoute une dimension supplémentaire. » L’alphabet, comme un lasso, prend des allures singulières, le blanc tracé à l’aide de dentifrice, le papier de mauvaise qualité ajoute une nouvelle dimension à ces écrits, sélectionnés par affinité personnelle de Lucienne Peiry. Les œuvres de ces sept artistes, qui désarçonnent au premier abord, traduisent aussi les conditions de vie et d’enfermement qu’ils ont vécu.


Adolf Wölfli – Sans titre

Plus qu’une lecture, l’évènement « Écrits d’Art Brut à voix haute », invite les spectateurs et spectatrices à une expérience sensorielle. Les textes interprétés par la comédienne Anne Benoit, ainsi que le comédien et metteur en scène Alain Fromager, seront en plus projetés en grand format. Les parcours, les histoires souvent douloureuses, seront explicités par Lucienne Peiry : « il y a encore à l’heure actuelle une grande méconnaissance de ces écrits qui sont pourtant d’une poésie saisissante ». Des inscriptions désinvoltes, jouant avec le langage, avec une liberté troublante.

La Suisse, pionnière du genre

Présenté récemment à Paris (au Centre culturel suisse), l’évènement traduit un engouement de plus en plus présent pour le monde de l’Art Brut. « Voilà plus de 30 ans que je travaille dans ce milieu », confie Lucienne Peiry, « j’observe que l’intérêt est croissant depuis quelques années ». La Suisse est un véritable berceau pour ces artistes : Aloïse ou Adolf Wölfli (tous deux lus lors de l’évènement du 20 mai prochain) viennent du pays des Helvètes. La Collection de l’Art Brut de Lausanne, premier musée du genre créé grâce à la donation du peintre français Jean Dubuffet, a permis l’expansion à l’international de ce genre artistique.

Repenser le handicap

Unique en Suisse romande, le festival « Out of the Box » a pour but de repenser la relation entre l’art et le handicap. Grâce aux divers évènement et conférence, la manifestation invite à repenser le handicap, non pas comme une faiblesse, mais comme une valeur ajoutée aux créations de notre temps.  Avec une programmation locale et internationale, Out of the Box propose une série d’évènements pluridisciplinaire dans différents lieux du canton, comme Andata/Ritorno, ou le Grütli.

Une lecture à savourer lors de la soirée d’ouverture du festival le 20 mai prochain, tout comme le reste de la programmation du festival, disponible ici : site internet, facebook

Pour tout savoir sur le travail de Lucienne Peiry : son site internet

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