La saison 2021-2022 bat son plein à Saint-Gervais. Avec une particularité cette année : une bonne moitié des spectacles programmés dans le théâtre genevois sont des reports. Annulées en raison de la crise sanitaire, plus d’une vingtaine de pièces seront en effet reprises jusqu’en 2023 au sein de l’établissement culturel de la rue du Temple. Parmi celles-ci, La Possession, conçue par les compagnies La Multinationale et La Filiale Fantôme, s’affirme comme l’une des affiches les plus surprenantes de cette première partie de saison.
Qui ne s’est jamais senti mal dans sa peau, prisonnier d’une réalité qui nous oppresse et nous enchaîne ? Qui n’a jamais songé à troquer son existence pour celle d’un autre individu, ne serait-ce que le temps d’une journée ? C’est ce mal qui habite une femme, prise dans la spirale infernale d’un quotidien qui ne fait qu’empirer de jour en jour. Sa vie défile, son destin poursuit inlassablement sa marche fatidique. L’impossibilité de changer le cours des choses l’angoisse, et le sentiment d’être captive de sa propre réalité l’obsède. Elle se met ainsi en tête qu’elle a été ensorcelée, que l’on cherche à lui nuire. C’est alors qu’une personne, consciente de sa détresse, lui fait une proposition peu commune : sortir d’elle-même, pour se parer du corps d’une autre et repartir de zéro. Recommencer sa vie, littéralement.
Le dédoublement, un thème clé
François-Xavier Rouyer est le metteur en scène qui se cache derrière cette Possession, à l’affiche du 20 au 24 octobre au Théâtre Saint-Gervais. Celui qui a suivi des études de cinéma à Paris et de mise en scène à la Manufacture de Lausanne connait une grande obsession qui traverse son travail artistique : la fascination pour le dédoublement qu’induit forcément le théâtre, puisqu’il pousse chaque comédien·ne·x à faire croire, le temps d’une pièce, qu’il est un·e·x autre. Mais que se passe-t-il donc, dans la psyché de cet individu qui prête sa peau ? Quelles transformations sont à l’oeuvre, quels monstres assoupis sont éveillés par ce travestissement soudain ?
François-Xavier Rouyer est aussi cinéaste, et cela se ressent quand on découvre les premières images de sa Possession, créée en 2019. On pourrait jurer y reconnaitre l’influence de Carrie au bal du diable, d’Aliens ou de La Nuit des morts-vivants, entre autres. Le metteur en scène lie d’ailleurs très clairement sa pièce à l’univers du film d’horreur, puisqu’il confie désirer expérimenter l’épouvante au théâtre. Qu’on se comprenne : non pas celle qui intrigue seulement, mais bien l’épouvante qui effraie, qui perturbe durablement le·la·x spectateur·ice·x, à l’image du sentiment que le cinéma d’un John Carpenter ou d’un Wes Craven peut provoquer. Se rendre au Théâtre Saint-Gervais cette semaine sera définitivement le meilleur moyen de vérifier si le pari est gagné.
Comment reprendre le fil de notre vie ?
La Possession évoque également en filigrane notre société actuelle, au capitalisme vorace qui colonise nos esprits. Le spectacle esquisse ainsi notre monde désenchanté, rationalisé à l’extrême et étranger à la fantaisie. Une société où tout se calcule, où chaque individu est enjoint à devenir l’entrepreneur de soi, à correspondre à une logique de marché qui aliène et limite les possibilités d’épanouissement, même s’il faudrait se « réaliser » coûte que coûte. L’injonction à mener une vie épanouie et sans accroc est un idéal tragique, car irréalisable. Pourtant, nous essayons sans relâche. Et, si l’échec advient, nous ne retrouvons seuls avec les fantômes d’une vie possible, celle des autres qui, eux, semblent avoir réussi. Mais alors, comment sortir de cet ensorcellement ? Éléments de réponse jusqu’à dimanche soir à Saint-Gervais.
Toutes les informations sont à retrouver sur le site du Théâtre Saint-Gervais.