« Le dessin est l’un des meilleurs outils pour comprendre le monde. » Rencontre avec Fichtre

L’artiste Fichtre parcourt le monde du graphisme et de l’illustration depuis plus de dix ans. Actuellement en résidence en Afrique du Sud, le Veveysan nous parle de la condition des artistes en Suisse, de son utilisation d’Instagram et revient sur son travail.

« Le dessin, l’illustration m’ont permis de construire mon monde quand j’étais adolescent. » Baigné dans la culture dès l’enfance, Mathias Forbach décide de se lancer plus professionnellement dans ce domaine avec un Bachelor en Media & Interaction Design à l’ECAL, qu’il termine en 2005. Des études surtout centrées sur l’animation et le dessin, où le personnage de Fichtre a vu le jour. « J’ai été invité un jour à faire du graffiti et je devais me trouver un nom. J’en avais un peu marre des noms de graffeurs classiques et je trouvais drôle de détourner un vieux mot français, pour détoner. » explique le Romand, âgé aujourd’hui de 36 ans. Une prédilection pour le dessin, ses couleurs, sa liberté : « c’est un des meilleurs outils pour comprendre le monde. »

Le personnage Fichtre est aussi apparu au fil de ses études et de ses collaborations, comme avec son meilleur ami Thomas Koenig. « On a travaillé plusieurs années ensemble et fait une expo en commun qui m’a non seulement conforté, mais qui a aussi été une validation de mon travail ». Dessins sur papier, où plus récemment sur iPad, l’illustrateur multiplie les différents supports et les techniques. « J’aime aussi beaucoup les muraux. C’est un moyen de rendre visible mes créations. » 

Une carrière en voie de décollage

Après son master en Arts Visuels à la HEAD, les projets s’enchaînent, tant personnels que professionnels. Pendant près de 10 ans, l’illustrateur expose dans divers lieux en Suisse romande, faisant en moyenne une exposition par année. Il investit des grands évènements notamment au centre contemporain de la Chaux-de-Fonds lors de l’exposition Kunstkammer ou des endroits plus intimistes tels que L’Atelier ou la Placette à Lausanne. Mathias s’initiait déjà depuis quelques années à l’enseignement de l’illustration à l’École de design et haute école d’art du Valais. Il multiplie aussi les clients de renom : le Festival de la Cité, Le Temps, Red Bull ou encore la compagnie d’aviation Swiss.

Son travail avec Swiss sonne d’ailleurs comme une étape clé dans sa carrière. Leur collaboration débute en 2017 avec un premier avion sur la thématique de la Romandie, puis un second l’été dernier en hommage à la fête des Vignerons. « En tant que Veveysan, c’était incroyable de pouvoir être impliqué de cette manière dans cette fête traditionnelle. J’ai aussi participé au collage du sourire sur l’avion, ce qui était une étape super intéressante pour comprendre et visualiser mon travail sur un volume de cette ampleur. »

En plus de ces différents projets, Fichtre multiplie les collaborations avec d’autres artistes. C’est le cas début 2019 avec l’auteur Jon Monnard et la marque Avnier. Ensemble, ils allient illustration, écriture et mode avec le recueil intitulé Une griffe sur les yeux, et des t-shirts possédant une poche assez grande pour contenir l’ouvrage. « La littérature est très importante dans mon processus créatif et m’inspire au quotidien. Ça a toujours fait partie de mes envies de bosser avec un auteur et avec Jon ça a été très naturel et un vrai plaisir. » Une Griffe sur les Yeux ainsi que des t-shirts sont toujours disponibles à la vente.

Des artistes suisses en manque de reconnaissance

Si Mathias Forbach regrette quelque chose, c’est bien le manque de considération du dessin en Suisse. « Le graphisme est très encouragé dans les écoles ou ailleurs en Suisse romande. L’illustration est par contre considérée comme une sous-branche, souvent dévalorisée sauf à Genève, Lucerne et Sierre. » explique le jeune homme. Selon lui, pour être reconnu en Suisse, il faut avoir au préalable vendu ou exposé à l’étranger. « J’ai personnellement enfin l’impression de pouvoir affirmer mes choix en tant qu’artiste. C’est un processus long, mais assez normal en Suisse. On a aussi parfois le sentiment qu’on n’a pas le droit d’avoir du succès et je me suis longtemps interdit d’en avoir d’ailleurs. » Malgré ce défaut de reconnaissance ou d’une forte identité dans le domaine de l’illustration, il y a toujours de plus en plus de d’illustratrices et illustrateurs, ce qui est réjouissant. Mathias souligne aussi que cette vision très marqué des illustrateurs.trices est en train de changer.

Instagram, véritable vitrine

Avec plus de 5’000 followers sur Instagram, la visibilité de Fichtre est depuis longtemps décloisonnée des galeries et des musées. Un grand nombre d’abonnés, qui l’interroge : « Je sais l’importance de son image « au virtuel ». C’est un bon moyen de sonder aussi l’opinion des gens et de prendre la température. Quand je vois qu’un de mes dessins a plus de 1200 likes, non seulement ça me surprend, mais en plus ça m’encourage à poursuivre mon travail et mes recherches pour comprendre ce qui fait qu’une illustration soit forte ou pas. »

Mathias est d’ailleurs très actif sur les réseaux sociaux en publiant de nombreux stories et post. « J’aime en particulier le format de la story qui est encore plus instantané et génère beaucoup d’interactions. » Ses publications Instagram feront d’ailleurs l’objet d’une exposition dans un futur proche.

Prendre le temps de se ressourcer

« Pendant des années, j’ai jonglé entre différents projets tous très excitants. Mais j’avais envie d’un autre rythme, et de ralentir ». A l’heure actuelle, Mathias est en Afrique du Sud après avoir voyagé aux Philippines et à Hong Kong. Des voyages où il prend le temps de s’immerger dans la culture, de lire et d’explorer d’autres styles.

Mathias, à travers son personnage Fichtre se questionne beaucoup sur la notion du Temps, et du temps qui passe, un sujet qui l’inspire beaucoup dans ses dessins actuels. « A Hong Kong, j’ai commencé à faire des dessins plus réalistes et peut-être plus complexes que ce que je faisais avant. Je suis en train de sortir un peu de ma patte assez naïve. C’est la direction que je souhaite prendre actuellement. » Après l’Afrique du Sud et un bref retour en terres helvétiques, il se dirigera à New-York puis au Mexique, où il terminera son année sabbatique. L’artiste continue cependant de créer : il vient de publier 15 illustrations pour le programme culturel du service des bibliothèques et archives de Lausanne.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.