Les Chroniques d’une huître: “Parle de ta génération!”

Avec “Les Chroniques d’une huître”, Epic signe sa première rubrique écrite récurrente.

Arrêtons le blabla et les paroles inutiles , rien de mieux qu’un bon vieux coup de gueule pour nous remettre les idées en place. Voici ce que nous propose ce premier volet écrit par Sarah, juste deux mots pour conclure: bonne lecture !

 

“Aujourd’hui, je me sens triste.

Je me suis réveillée à 15 heures.
Je me suis réveillée et déjà la moitié de ma journée était finie. Des heures où j’aurais pu faire quelque chose de constructif. Mais non, j’ai préféré les méandres d’un sommeil paresseux. Je sais pas trop pourquoi, mais j’ai le blues. Tout me semble étrangement vide.

Il neige. De gros flocons lourds tombent au travers de ma vitre sale, qui vont bientôt rendre les angles et les rebords de ma ville d’un blanc cotonneux. Un coton qui donne encore plus envie de m’enfermer, de m’évader, de faire de ce 15m2 le lieu de mes errances imaginaires.

Aujourd’hui j’ai vingt-quatre ans.
J’ai vingt-quatre ans mais j’ai pourtant l’impression d’avoir vécu treize vies. C’est peut-être ça la jeunesse, croire qu’on est sage avant l’heure, nous les blasés, nous et notre conscience ramollie par le surplus du tout. Nous sommes une jeunesse de talentueux apathiques – le monde appartient à ceux qui rêvent trop désormais.

Aujourd’hui, j’ai l’impression de faire partie de cette génération qui ne s’accomplit que par demi- mesure. Demi-engagement, demi-histoire de cul et demi- aspirations vite essoufflées.

Mais alors, parle. Parle leur de ta génération. Sois le témoin de ton temps, sois une source qui agit et qui réfléchit, au lieu de maudire inlassablement ces jours qui sont les tiens.

Aujourd’hui Charlie est mort et le monde est toujours autant rempli d’amalgames. Nous vivons dans un flux constant d’images et d’informations ininterrompus – surcharge cognitive dans laquelle on se noie. Pour résumer la situation, c’est comme si tous les matins on te disait « Ceci est l’état du monde, t’es sacrément dans la merde mon petit. Une merde étouffante même.Voilà. Passe une sainte journée ». Et toi tu sais bien que t’es dans la merde, mais tu fais rien. Tu fais rien parce que de toute manière à quoi bon, tout va tellement vite.

Tout va trop vite et tout fait très peur. Alors tu mets tes grosses bottes et tes œillères, tu continues à avancer d’un pas noble et assuré. Et si tu continues à avoir peur c’est pas grave tu les emmerdes. Ce soir tu te défonceras la gueule pour oublier autres bassesses et vicissitudes humaines.
Alors à quoi bon, tu te le répètes– mieux vaut danser les pieds dans la merde, mais la tête dans les étoiles.

Aujourd’hui, la notion d’intimité s’est estompée d’une manière imperceptible : la sphère de nos impressions et de nos émois est devenue publique. Construction identitaire factice à travers le masque social : on s’invente une image d’un moi fantasmé et on se délecte des commentaires d’autrui. Bien sûr que je suis bonne, tu crois quoi ?

Un mensonge d’autant plus vicieux, car nous sommes les premiers consentant à ce viol numérique généralisé. Mais on s’enfout, les soixante « j’aime » de nos amis adorés nous font oublier que nous sommes les victimes de notre propre égocentrisme. Aujourd’hui, l’eau de Narcisse s’est mué en mur Facebook.

Aujourd’hui, l’amour s’est transformé en une pseudo- sentimentalité deux point zéro. Les gens sont mornes et décolorés car plus personnes ne reçoit de lettres enflammées. Tweets, whatsapps et autres snapchats sont désormais les vestiges d’un lyrisme passé. Pratique, tu peux baiser derrière ton écran de smartphone : d’un doigt on peut faire défiler des centaines de visages et choisir le plus beau morceau de viande. Les rencontres humaines sont devenues les produits du rayon boucherie d’un hypermarché impersonnel. Vite consommé, emballé c’est pesé. Comment il s’appelait déjà ?

Aujourd’hui je suis triste et mon monde manque cruellement de poésie. Alors vas leur parler de ta génération.”

Sarah.

 

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