Mathieu Kyriakidis et vous : Palabre

Palabre Kyriakidis Fabien Page
(c) Fabien Page

Mathieu Kyriakidis a une excellente oreille et les doigts qui vont avec. À une soirée, il chope une guitare, les gens chantent, il peut accompagner presque tout, et tout le monde – qu’on chante ou non à la perfection. Quand un copain se lance dans un Avec le temps aux accents espagnols, Mathieu la joue flamenco ; c’était à l’anniversaire de Gael, sa soeur, musicienne elle aussi, et c’était “très drôle et super musicalement”.

Est-ce que quelque chose t’a enchanté récemment ?

La Verità, un spectacle de nouveau cirque par la compagnie Finzi Pasca. C’était magnifique !

Je crois me souvenir que tu as un rapport étroit avec la mémoire : tu aimes énormément les romans de Modiano, par exemple. Quel est ton plus ancien souvenir ?

Attends, je rectifie : pour moi, Modiano, c’est beaucoup plus de la nostalgie que de la mémoire. La nostalgie, oui, elle berce mon univers intérieur depuis la prime enfance. Je sais pas comment te l’expliquer, mais je pense avoir une conscience du temps qui passe, que ce qui est là ne sera plus. J’accepte cette réalité, mais il y a une légère mélancolie. C’est exactement ce qui m’arrive avec Modiano : il écrit toujours le même livre, mais je le lis chaque fois avec un grand plaisir.

Alors peux-tu me parler de nostalgie ?

Enfant, j’étais parti en vacances, et on avait entendu sur une terrasse un type qui jouait de la Bossa Nova : One note samba, de Antonio Carlos Jobim, mon dieu musical. Je suis tombé en amour avec cette musique. Dans la Bossa Nova, tu as ces rythmes joyeux avec des harmonies tellement mélancoliques ! Le mélange des deux donne à cette musique quelque chose de si particulier, à la fois joie et tristesse, qui me fait vibrer.

Bobo Saloon (c) Frédéric Michaud

Peux-tu me parler un peu de Bobo Saloon, le premier album sur lequel tu as travaillé, je crois, et qui a remporté un beau succès d’estime ?

Oui, c’est le premier. C’était un projet à deux avec ma sœur Gael. Certains morceaux étaient d’elle, d’autres de moi, et sur les autres on a travaillé en binôme. Par contre, elle a écrit tous les textes.

 

Les rythmes de Mathieu Kyriakidis, c’est un peu comme votre semaine entière : un coup ça chaloupe, un coup ça chill out. Entretemps, ça danse, ça berce, ça jazz, ça palabre, ça secoue… Artiste de scène, face musiciens ou face public, portrait d’un musicien qui met des sons sur ses couleurs.

Oui, je fais des choses différentes au gré de mes envies. J’aime bien papillonner entre des styles de musiques qui peuvent être assez différents.

Que prends-tu ou que fais-tu pour te faire tourner la tête, ou pour te laisser un peu aller ?

Euh… tu me parles de quoi, de substances ? (Rires.)

De ce que tu veux : cette question m’est venue en écoutant les paroles d’une de tes chansons… laquelle…

Ah oui ! (Rire.) Je vois ce que c’est… attends… c’est dans… L’Espagnolette ! C’est marrant que tu me demandes ça. Cette chanson raconte la fin de soirée, l’idée de se lâcher en fait ; c’est quelque chose de pas hyper simple pour moi. Alors, ce que je prends… un peu d’alcool, quoi !

(c) Nicolas Brodard

Tu dis que c’est pas hyper simple pour toi de te lâcher, et pourtant ton parti pris musical est de faire ce qui te plaît…

Oui, L’Espagnolette fait partie de ces chansons et morceaux instrumentaux que j’ai écrits d’abord pour moi, pour le pur plaisir, puis que j’ai jouées avec quatre musiciens au premier festival Les Georges : Sylvain Maradan, le programmateur de l’époque, m’avait donné carte blanche, j’ai pensé que c’était l’occasion de les sortir. Ensuite, j’ai voulu rejouer ce répertoire tout seul et en faire comme un laboratoire d’arrangements. A cette occasion je me suis plongé dans le programme Ableton Live. Ça m’a ouvert tout un monde de possibilités techniques. En utilisant plusieurs loopers de Live, je peux construire l’architecture de mon morceau en direct, comme s’il y avait plusieurs musiciens. Cet été aux Francomanias de Bulle, le percussionniste Yvan Braillard complétait les arrangements au cymbalum et à la batterie, ce qui agrandit encore les possibilités d’arrangements.

Tu as fait un nombre assez hallucinant de collaboration. Peux-tu me raconter quelques unes qui t’ont marqué ?

Celle qui m’a le plus marqué, c’était cette expérience complètement hors du commun avec les réalisateurs Sam et Fred Guillaume et le home-école romand Les Buissonnets : devoir intégrer dans la bande musicale d’un film d’animation des enfants et adolescents en situation de handicap. C’était d’abord une certaine appréhension, mais ça a été une expérience merveilleuse !

Palabre en plein air

Peux-tu nous parler de cette démarche de faire jouer des non musiciens ?

Pour moi, c’est amener des non-musiciens à jouer de la musique. Tout le monde écoute de la musique, mais en jouer, faire partie d’un groupe, c’est une sensation incroyable… Je suis un peu en train de creuser un petit puits autour de cette idée : par hasard, juste après Le Conte des Sables d’Or, j’ai composé la musique pour Les Acteurs de bonne foi : il fallait que les acteurs jouent des instruments eux-mêmes. Je trouve merveilleux que des gens qui n’ont jamais fait ça puissent y goûter, et en plus, je vois des non musiciens qui en fait sont des musiciens qui s’ignorent.

Petit passage par ton activité de direction d’orchestre, un kif ?

J’ai dirigé pendant une dizaine d’années le Fribourg Jazz Orchestra. On était venu me demander si je voulais diriger le big band sans avoir à m’occuper des aspects administratifs. Pour moi, c’était un luxe ! J’ai fait ça avec un très grand plaisir, et ça m’a aussi beaucoup appris. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens internationaux comme Lew Soloff ou les New-York Voices, mais aussi des musiciens suisses incroyables comme Florian Favre ou Stefan Aeby.

Les ambiances musicales que tu développes vont du jazz aux airs populaires, en passant par la comédie musicale, la chanson, le trip-hop, le disco, les gammes orientales… Est-ce que j’en oublie ?

Palabre Kyriakidis Fabien Page
(c) Fabien Page

Il m’arrive aussi de faire des choses vraiment très pop. Pour moi, les styles sont des médias, des moyens de faire passer une musique. J’adore arranger, et suivant avec qui je travaille, je m’insère dans le contexte.

J’ai même vu « tranquilo » sur ton Soundcloud. C’est un style, ça ? Ou alors c’est un terme de musico ?

J’ai dû faire ça il y a très très longtemps : #tranquilo. J’ai mis un peu des trucs à la va-vite ! (Rires.)

Dans cet univers très éclectique, si tu étais tenu de choisir une note, un accord, ou une suite de notes fondatrice de ton univers, une espèce de note Big Bang, quelle serait-elle ?

Euh… comment dire… ce serait peut-être un accord diminué : disons que c’est un empilement de tierces mineures. C’est un accord étrange et de passage que j’aime bien : ni majeur, ni mineur et qui est aussi très mathématique.

Sur le visuel du projet Elgreco, on te voit lunettes noires, mi profil, mi trois-quarts. Est-ce que tu joues un air quand tu souhaites qu’on ne t’aborde pas, ou qu’on t’aborde ?

Ah non : si je souhaite qu’on m’aborde, je vais aborder, je pense. Par contre, c’est marrant que tu me demandes si je prends un air pour ne pas qu’on m’aborde, parce que… je suis tellement peu physionomiste, mais tellement peu ! C’en est presque maladif, quoi… il y a des gens, je sais que je les connais, mais impossible de les replacer. Ça me gêne beaucoup, alors justement, au contraire : j’aurais envie de gommer ça et que ce soit beaucoup plus simple !

Dans Les Météores, seuls éléments de l’univers Elgreco qui ont surgi dans l’atmosphère des réseaux sociaux, j’entends comme un écho à La Marche du lion, de Camille Saint-Saëns : le lion a choisi de chalouper plutôt que rugir ?

Tiens ! C’est marrant, j’y avais pas du tout pensé comme ça. Attends, je le mets, là. Je pense que je connais ce morceau… Ah ouais ! d’accord : je vois la parenté, mais c’est du pur hasard : le début ressemble un peu, les quatre-cinq premières notes, mais en fait, rien à voir… Le projet Elgreco, c’est un clin d’œil à mes origines helléniques et à la musique que j’ai pu entendre depuis mon enfance : du rebétiko, des airs tournés vers l’Orient, avec des orgues…

 

Dans la performance participative Palabre, Mathieu Kyriakidis coordonne les musiciens à l’aide d’un code lumineux qu’il actionne par des touches. Une sorte de mise en abyme instrumentale : il joue d’un instrument, qui envoie des signes à des musiciens, qui eux-mêmes jouent d’un instrument…

Palabre au Castrum (c) Cie de l’Orchestre Animé

Oui, on peut le voir comme un orgue dont les musiciens seraient les tuyaux…

Du coup, l’air qui passe par ces tuyaux, c’est leur propre inspiration ?

C’est ça. Ils peuvent jouer comme bon leur semble : de manière très rythmique, ou pas du tout… Je me suis inspiré de la tradition sub-saharienne de la Palabre : il n’est pas question de chercher l’harmonie par suffrage majoritaire mais par un consensus de toute l’assemblée. Chaque voix est respectée et écoutée sans hiérarchie. Les interprètes peuvent d’ailleurs n’avoir aucune expérience en musique, il faut juste qu’ils fassent résonner leur instrument au moment opportun.

Il y a un endroit où tu aimerais monter Palabre ?

Pas un endroit précis, mais j’aimerais bien le faire une fois en pleine nature. C’est un projet complètement autonome au niveau technique : j’ai besoin d’aucune prise électrique. Je l’avais conçu dans cet esprit : jouer n’importe où en n’ayant besoin d’aucune technique extérieure.

Le palabrophone

A l’Ancienne Gare, ce sera la deuxième édition de Palabre. Comment tu la sens ?

Je la sens bien : à Yverdon, pour le Castrum, on était sur la place Pestalozzi, avec des terrasses autour, en plein été ; d’une certaine manière, on faisait partie du ramdam général. A Fribourg, on sera dans la salle du Nouveau Monde, il y aura donc une acoustique différente. Et autre chose aussi, il y a une part d’inconnu à chaque fois : le système conçu pour les musiciens éphémères, cet instrument que j’appelle le palabrophone, je ne peux jamais le pratiquer tout seul, j’ai besoin des gens pour le faire.

Est-ce qu’il y a des aspects de ton travail que j’ai zappés ?

Écoute… oui, peut-être : je fais Palabre avec la Cie de l’Orchestre Animé, que j’ai fondée il y a trois ans pour Marceau et le Grand Rasant. Avec Mélanie Richoz et Baptiste Cochard, on a créé toute une histoire autour de l’idée de mêler spectacle et prouesse technique : tu as un écran, avec un dessin animé dont les personnages chantent des chansons, et des musiciens sur scène, qui assurent l’accompagnement en direct.

A part de la musique, écris-tu aussi des textes, peut-être sous un nom de plume ?

(Rire.) Non, j’ai pas de secret comme ça… J’écris les paroles de certaines chansons. A côté de la musique, je renoue de plus en plus avec l’écriture. C’est arrivé que j’écrive pour d’autres, Par exemple, pour La Nuit de l’Ours : le projet initial était d’avoir La Vie en rose comme chanson d’intro, mais c’était un tel merdier avec les ayants-droits que c’était juste pas possible ! Les frères Guillaume m’ont alors demandé d’écrire un truc avec cette idée de la nana en pâmoison devant son mec, mais il fallait qu’on sente quelque chose d’un peu fêlé. J’ai fait une musique et un texte témoin, en attendant qu’ils trouvent à qui demander les paroles. Ils ont finalement gardé mon texte, et ça m’a beaucoup flatté ! C’est chanté par ma sœur Gael et ça s’appelle « Dans les bras de mon Doux »

 

Palabre, concerts participatifs gratuits et ouverts à tou-te-s

Samedi 11 novembre 2017 : 15h-15h30 & 17h-17h30

Nouveau Monde, Fribourg

Dans le cadre des 10 ans de l’Association Ancienne Gare

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