Michael Rampa au pouls de l’invisible

« Michael Rampa fait émerger au sein de son travail une tension énigmatique. Convoquant avec onirisme et esthétisme l’élément naturel, il propose une exploration maîtrisée des vides et des pleins, l’humain évoluant dans une solitude immobile. Autodidacte, l’artiste parvient à générer un espace imaginaire qui se révèle au regardeur comme une réminiscence. La fragilité de la mémoire et son inconsistance sont au coeur d’un travail qui semble initialement précis puis s’évanouit, se dilue et s’efface afin de laisser place aux vides. Une inégalable douceur s’empare du regardeur qui est immergé dans un univers oscillant entre légèreté chimérique et gravité d’un futur inquiétant. » (Morgane Paillard, Galerie C – Neuchâtel)

Est-ce que toi tu es calme au milieu des tempêtes ?

Le cataclysme est souvent intérieur. Difficile d’être calme…

Bon, avec une excellente maitrise technique, les tempêtes peuvent devenir du Turner par exemple : avec quelque chose de très serein…

Oui en effet (rire). Après, les correspondances entre l’auteur et son travail, c’est une mise en abyme qui ne marche pas toujours…

Ton soleil personnel, il est de quelle couleur ?

(Silence) Multicolore ! (Rire)

Dans les trois couleurs primaires, le jaune est la seule à porter son propre nom, purement descriptif, contrairement aux beaux mots « cyan » et « magenta ». Une injustice du vocable ?

Le magenta, inventé au XIXè siècle, a été baptisé d’après la bataille du même nom. C’est une question intéressante. En peinture, on n’obtient pas l’éventail incroyable qu’on a en imprimerie à partir de cyan, jaune et magenta, on utilise d’autres couleurs. Lorsqu’on mélange des pigments stables qui se rapprochent de ces trois primaires, le rose de quinachridone, par exemple, avec le bleu de phtalocyanine, ils produisent un beau violet. Les deux jaunes bien citron qui tiennent le mieux sont le jaune de cadmium et le jaune de bismuth, qui est non-toxique, mais très opaque, c’est celui que j’utilise. Sinon, il y a les jaunes azo, un petit peu plus fugaces…  c’est terre à terre, mais j’aime bien réfléchir à partir de la matière. Il y a une question de transparence… analogique !

Dans quelle mesure un autre sens peut interférer avec ce que tu vois ?

Tout est toujours synesthésique. Ce matin, après avoir bu un excellent thé vert gyokuro, je me suis arrêté à la volière de Mon Repos. J’y ai vu un faisan aux formes et aux couleurs spectaculaires essayer d’intimider des canes. Il y avait tous ces sons qui me rappellent l’Asie et l’Amérique centrale, je suis arrivé à l’atelier avec beaucoup plus de disponibilité. L’attention aux sense data ouvre, d’une certaine manière.

 

Je rejoins Michael dans son atelier Entre-Bois à Lausanne. Après qu’il m’a montré les photos de travaux anciens, à l’époque où il fréquentait les huiles de Balthus, travaux splendides, nous commençons nos échanges à vif, devant une très grande peinture bleue, selon son habitude de dessiner à l’aquarelle d’une seule couleur.

C’est une sorte de texte, un dessin qui se fait à petites touches et grandes épargnes. Il va y avoir plusieurs travaux sur ce même sujet, qui était à l’origine pour une exposition : j’avais fait un cavalier de la sorte en 2014…

Dans le cadre du projet lancé par Yannick Lambelet avec Sébastien Mettraux et David Weishaar sur le thème des quatre cavaliers de l’Apocalypse ?

C’est ça ! Yannick nous a embarqués dans ce quatuor sur Apocalypse 6, 1-5. en attribuant un cavalier à chacun. Nous nous sommes fixé des contraintes : le cheval devrait regarder à gauche, par exemple. Celui que tu vois là, c’est le premier : celui de la conquête…

C’est une conquête bien paisible…

Exactement, j’allais y venir : ce garçon a l’air bien peu conquérant, et il est sur un cheval de carrousel qui ne va nulle part. Ce tourner-en-rond me permet d’embrasser une notion du temps plus kaïrologique que chronologique. On ne le voit pas là, mais le personnage a les mains comme ça, tournées vers le haut (il ouvre les mains en réceptacle) : disponible à l’Événement.

Qu’est-ce que ces quatre cavaliers nous disent aujourd’hui, selon toi ?

(Silence). Tu ouvres une boîte de Pandore : en eschatologie, tout dépend si tu es a-millénariste, pré-millénariste, post-millénariste, etc. ! (Rires) Les quatre cavaliers de l’Apocalypse racontent aujourd’hui ce qui est de l’ordre de l’insaisissable et qui traverse toute la tradition judéo-chrétienne : un Dieu qui se révèle mais qui ne se laisse jamais saisir. Cette tension m’interpelle. En tournant sur soi, on remarque quelque chose qu’on n’avait pas vu, d’où le carrousel. J’aime bien cette notion de la conversion : c’est en tournant que les choses se révèlent. Peut-être les derviches… Ce que tu regardes là, c’est un repentir.

Je voyais que la couleur est légèrement différente.

Ce premier grand format fonctionne comme un poncif, je me permets des aller/retour. Le support est une vieille toile abimée, et si je la présente, j’aime bien qu’elle reste dans cet état, non pas comme un produit fini, mais comme une sorte de topographie de recherche. La grande question de la dimension formelle se pose toujours à moi. Etant donné qu’il s’agit d’un texte, c’est comme quand on écoute parler : au bout d’un moment, le bruit ! Est-ce que ça a encore un sens ? Comment faire image ? Je suis un piètre communicateur, parce que je pars tout de suite dans des détails ou des éléments touffus. Pour cette peinture, c’est pareil : si tu regardes une partie comme celle-ci, tout se délite.

Je vais essayer de te brider pour la suite, alors ! (Rires) Le dernier moment qui t’a ébloui, c’est quoi ?

Ce matin : un monsieur vient pour changer la position des fenêtres chez nous. Je lui ai servi ce thé dont je te parlais. Partager ce thé délicieux, aux saveurs riches, avec cet homme fin et sensible, c’était beau !

Selon une certaine sensibilité visuelle, on pourrait reprocher aux écoles d’art et à l’Art dit contemporain en général d’avoir oublié l’éternité du beau. Tu n’as pas suivi d’école, comment tu appréhendes le beau ?

Je pense que le beau est circonstanciel. C’est une catégorie historique. Ce qu’on pourrait mettre sous ce mot aujourd’hui, c’est beaucoup de choses : une expérience qui me frappe, par exemple…

Pour moi, c’est exactement ça, la définition du beau. Je pensais à ce projet de faire de l’art plutôt que du beau…

Oui. Ça a été nécessaire pour intégrer d’autres formes de beauté, comme le concept, la délectation intellectuelle, ou l’engagement politique et social. Les performances choquantes de Günter Brus, impressionnantes et bien sûr politiques, se retrouvent peut-être plutôt du côté du sublime ou autre chose encore… Le minimalisme nous a sensibilisés quant à notre rapport à l’espace. Les intensités ressenties lorsque nous nous laissons emporter par ces trajectoires sont magnifiques ! Il a été possible d’intégrer ces formes d’expériences à celle du beau… mais on pourrait aussi l’appeler autrement.

Est-ce que ton inspiration bat la trépidance ou le mortel ennui ?

Ah, je comprends. La trépidance le plus souvent!

 

Les toiles de Michael Rampa attrapent les après-midi d’un vide désœuvré : ni stress, ni cohue, ni bruit, mais un ennui sourd. Broussailles et silhouettes surgissent de touches éparses, posées au rythme de son pouls. Aux personnages sclérosés, immobiles comme figés dans une dés-action lancinante répondent de concert l’énergie de feuillages irréels et la puissance de la lumière.

Je trouve qu’il y a un fort contraste entre tes paysages et tes personnages : on se demande ce qu’ils peuvent bien foutre ces gens, là… Ils ont autre chose en tête que d’être peints ?

Ces personnes n’ont rien à foutre là ! Comme nous ici. Et pourtant…

On dirait qu’elles ont traversé fougères et fourrés pour arriver à un non-lieu d’où elles ne savent plus repartir. Elles sont bloquées ?

Elles ont une autonomie, donc je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question (rire).

On vit plus intensément en été ?

Non.

Tes tableaux sont baignés de lumière, et j’ai lu que tu étais parti en Amérique centrale pour chercher de nouvelles lumières.

Je pensais pouvoir enrichir mon vocabulaire en observant le sujet “in the flesh”. C’est le contraire qui est arrivé : la forêt est beaucoup plus folle en vrai : dans le Corcovado au Costa Rica, je me suis retrouvé face à des figuiers étrangleurs qui produisent des portes à angles droits (rires), des branches et des racines qui font « poup-poup » ! Incroyable! À mon retour, impossible de peindre ces espaces. Si tu veux, c’est comme si j’avais un peu compris l’irréconciliable gouffre entre nature et culture (rires).

The Hanged II

Ta lumière préférée, elle jaillit d’où ?

La lumière rasante de fin septembre : on voit les frondaisons et le soleil qui traverse les strates de feuilles, les insectes en suspens… Le scintillement du soleil d’été sur l’eau aussi, quand il dialogue avec le bruissement des feuilles et un brouhaha léger de l’environnement. Et puis encore le jeu du clair obscur, en début ou en fin de journées.

Tu peux me parler de l’épargne, ces zones laissées vierges ?

C’est une façon d’indiquer le seuil de quelque chose qui s’offre en dehors de la saisie visuelle pure. J’explore les rapports entre deux pôles impossibles, je cherche un passage : y a-t-il vraiment ici ce qu’on pense voir ? En se tenant au seuil, on passe d’une dimension à l’autre : visuel & imaginaire, par exemple.

Quels sont tes projets à venir ?

Un duo avec le photographe Nicolas Dhervillers du 9 juin au 8 juillet 2018 à la Ferme de la Chapelle à Lancy et une expo collective à la Galerie C à Neuchâtel en automne 2018.

Est-ce qu’il y a des aspects de ton travail qu’on a zappés ici ?

Plein : on refait une interview ?

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